Vous entendre parler de Wolfe, de Montcalm et de cette partie de votre histoire que vous appelez «La Conquête» me renvoie en courant à mon statut d'immigré. Soudainement, je ne veux plus être d'ici, je ne veux même pas entendre ce que vous dites.

Je ne connais pas un autre peuple qui ait autant besoin d'Histoire que vous, non pour s'en éclairer ou s'en libérer, mais pour s'en irriter encore et encore, s'en oppresser toujours un peu plus. Dans La Vigile du Québec, Fernand Dumont parle d'un peuple qui a grandi dans «l'obscurité historique». Vous connaissez ma trivialité, je parlerais plutôt d'un gros bouton sur le front que vous vous plaisez à vous regratter régulièrement au sang.

Mais ce n'est pas du tout ce que je voulais dire à propos de la reconstitution de la bataille des plaines d'Abraham. Je me fous que cette bataille ait été une grande défaite ; ce que je trouve complètement débile, moi, c'est de reconstituer une bataille, n'importe quelle bataille. Gagnée ou perdue, j'en ai rien à foutre, ce que je trouve niaiseux tout autant que cette mode des spectacles moyenâgeux, c'est de se prêter à des bouffonneries touristico-historiques.

Vous saviez, vous, qu'il existe à Ottawa cette chose incroyable que l'on nomme la Commission des champs de bataille nationaux? Moi pas. Je vous rappelle que notre grand et beau pays, le Canada, n'est pas foutu de se donner un ministère de la Culture qui porte courageusement le nom de ministère de la Culture du Canada, mais il se vante d'une Commission des champs de bataille nationaux!

Vous saviez, vous, qu'il existe des gens, des adultes, des pères de famille, des plombiers, des chefs de bureau, des barbiers, des policiers, peut-être même des journalistes qui font partie de corps civils rassemblés tout exprès pour reconstituer des batailles? Pour composer des tableaux vivants qui vont faire revivre les grandes boucheries de l'Histoire?

L'Histoire n'a rien à faire ici. Ni la culture. Ils sont dans la plate figuration, dans l'émoustillement au son du fifre et du tambour. Sont tout à la joie de se déguiser en hussard, en grenadier, en zouave, en bachi-bouzouk portant tricorne, molletières, tunique rouge fendue au cul, et vont s'exposer par de beaux samedis après-midi à la fausse mitraille, ah je meurs, et de s'abattre dans l'herbe en se tenant le coeur.

Dites-moi, sont-ce d'incultes naïfs qui s'imaginent servir l'Histoire? Ou des pervers qui s'excitent à enfiler l'habit du zouave et qui le soir retournent sur les Plaines, cette fois déguisés en infirmière?

Ira-t-il au cégep?

Pourquoi n'a-t-on pas aidé David? se demandait une dame dans notre page Forum, l'autre jour. Elle ne comprend pas pourquoi ses amis ne l'ont pas défendu, pourquoi ses tourmenteurs n'ont pas été sanctionnés avant, pourquoi les parents, pourquoi l'école, pourquoi, pourquoi.

Elle parle de ce garçon de 14 ans, David Fortin, disparu depuis une semaine, qui était le souffre-douleur de son école à Alma.

Pourquoi n'a-t-on pas aidé David? C'eût été une bonne question il y a 15 jours, sauf que, il y a 15 jours, elle ne se posait pas. Il y a 15 jours, le jeune David était un enfant rejet comme des centaines d'autres dans les écoles du Québec, du Canada et d'ailleurs. D'ailleurs, il recevait de l'aide. Pas assez? Qui peut le dire?

C'est un vieux thème qu'ont traité souvent la littérature (Les désarrois de l'élève Törless - Musil) et le cinéma. Même moi, comme journaliste, j'y ai touché quelquefois, un sujet éprouvant qui va touiller au plus glauque de l'homme et de sa fiancée.

Pourquoi n'a-t-on pas aimé David? C'est déjà une bien meilleure question.

Parce que c'était un rejet. Le rejet, dans une école, fait l'objet d'une sorte d'activité parascolaire et carnassière. En tout cas, il n'est pas là pour qu'on l'aime; il est là pour qu'on le fasse chier.

Je me souviens parce que je l'ai déjà écrit pour illustrer le même sujet : je suis chez des amis, leur fille de 12 ans me parle d'une autre fille en me précisant, sans aucun état d'âme, que cette fille-là est le rejet de l'école.

Pourquoi c'est le rejet?

Parce qu'elle l'a pas.

Elle a pas quoi?

Elle l'a pas! Tu comprends pas ce que ça veut dire? Elle l'a pas, c'est tout.

Ça vaut toutes les explications de tous les psys que j'ai entendus toute la semaine. Je vais vous raconter un truc un peu épouvantable. À trois reprises au cours des dernières années, des parents m'ont téléphoné pour me parler de leur enfant rejet. Les trois fois, je les ai rencontrés. Les trois fois, ils me sont tombés sur les rognons quelque chose de rare. Et quand j'ai rencontré les enfants, même réaction épidermique, même épouvantable lien: Ah! c'est pour ça!

Je ne suis pas en train de vous dire qu'on est rejet de mère en fils. Je ne suis pas en train de vous dire que lorsqu'on est rejet on a juste à prendre son trou. Je vous dis qu'un rejet est un petit malaise ambulant.

Pourquoi n'a-t-on pas aimé David?

Parce qu'il voulait trop qu'on l'aime.

Lucas, aujourd'hui monteur de lignes, me raconte: Je voulais trop. S'il y a un mot que tu peux accoler aux rejets c'est bien celui-là: trop.

Sauf que c'est un mot qu'on peut aussi accoler à tous les ados, non? Trop d'hormones, trop d'intensité, trop de fébrilité?

Justement. C'est aussi le but ultime de leur game: cacher cette intensité, cette fébrilité, avoir l'air cool. Le rejet, c'est celui qui n'arrive pas à avoir l'air cool. Plus il essaie, plus il est ridicule. Moins il est cool. Plus on le niaise.

Lucian (d'origine roumaine), aujourd'hui à l'Université McGill: à un moment donné, à mon école, tout le monde s'est mis à apprendre par coeur les répliques d'Elvis Gratton. Alors moi aussi. Mais j'avais un petit accent et je zozotais un peu. C'est allé aussi loin que de me forcer à donner un show au salon des étudiants. Ce fut un freak-show, bien entendu. J'étais devenu plus pathétique qu'Elvis Gratton.

Ça s'est fini comment?

Ça ne s'est pas fini avant le cégep. Tous les rejets, le soir, rêvent du cégep.

Pourquoi David est-il parti?

Pour quelques-uns, le cégep est bien loin.