C'est pas pour me vanter, mais mardi soir j'ai joué au basket. Je m'étais pelleté un rectangle sous le panneau en prévision du budget, et quand Patrice Roy a ouvert son téléjournal avec ledit budget, je suis allé chercher mon ballon à la cave.

Où tu vas? m'a dit ma fiancée.

Devine, j'ai dit en faisant tourner le ballon sur mon doigt devant son nez.

Il faisait -12. Mais sans un souffle de vent et c'était comme zéro. Même qu'après quelques paniers, c'était le printemps. Sauf pour le ballon qui, bientôt, a cessé de rebondir, un effet du froid. Le ciel était plein d'étoiles. Le silence végétal. Je jouais à la lueur diffuse de l'ampoule sur la galerie qui m'éclairait de biais, c'est ainsi que le basket peut être un loisir aussi romantique que la lecture à la bougie. Dans mon iPod, j'avais choisi cette liste de lecture où je fais alterner Martin Léon avec Delerm et Camille.

Martin Léon: même la lune semblait morte\j'ai mis la clé dans porte\je suis revenu vivre en ville

Delerm: c'est le soir où près du métro\nous avons croisé Modiano

Camille: endormie cheveux mouillés\bras repliés

Puis mon iPod s'est tu pour la même raison que mon ballon ne rebondissait plus: le froid. Moi, j'avais de plus en plus chaud, le ballon faisait des floutches éraillés en passant dans le filet plein de glaçons qui obturaient les mailles. Entre les floutches, toujours le silence végétal et toujours les étoiles. Voilà, c'est vraiment tout ce que j'ai à dire sur le budget, c'est pas beaucoup mais c'est de bon coeur.

Je n'ai pas regardé le Téléjournal de 22 heures, j'ai plutôt regardé pour la seconde fois en quatre jours, un film magnifique, La graine et le mulet. Je suis là-dessus en phase avec les critiques qui ont beaucoup aimé aussi, tel Cassivi qui me raconte cependant que de nombreux lecteurs lui ont manifesté leur désaccord sur le ton: on sait bien, vous autres les intellos. Je vous jure que Cassivi n'est pas intello, encore moins que moi. Si, c'est possible ; la preuve, il a presque aimé les Ch'tis et pas tant détesté La grande séduction. Mais on parle moins ici de fautes de goût que de l'obligation qui est faite à tous les critiques d'aimer ça de temps en temps, surtout quand s'annonce un triomphe populaire.

La médiaphobie ambiante véhicule que la critique en général se plaît à toujours aller contre les goûts populaires alors que c'est exactement le contraire: la critique en général se mortifie d'avoir à dire d'une merde qu'elle en est une ; c'est bien pourquoi elle en oublie quelques-unes, par lassitude d'être toujours la mouche du coche.

Pour revenir à ce film magnifique qu'est La graine et le mulet - et non pas la graine du mulet, y'a pas personne qui suce un mulet dans ce film-là - je ne saurais trop conseiller à ceux qui ont adoré les Ch'tis de le relouer plutôt. Et là-dessus, c'est vrai, je n'ai vraiment plus rien à dire du budget.

ÉCOLOGIE - On peut maintenant aborder le vrai sujet de cette chronique: les poêles à bois. Si on en venait à interdire mon poêle à bois, j'en serais malheureux moins pour la chaleur qu'il ne me donnerait plus que pour tout le reste. Le reste: ne plus aller bûcher les arbres que les grands vents et la foudre couchent dans mon bois. Le reste: scier, fendre, et corder entre deux fûts, le tremble, l'érable, le pommier, le cerisier (celui de Pennsylvanie) et même le spongieux bouleau. Le reste: ces vivifiantes journées d'octobre et de novembre, mais aussi de mars et d'avril passées dans la forêt. Le reste: plastronner devant la visite (qui s'en fout!) oui madame, j'ai sorti tout ça à la brouette!

Je savais déjà qu'il n'était rien de moins écologique que l'invraisemblable dépense de temps et d'énergie qu'il faut déployer pour sortir du bois et amener jusqu'au foyer une simple bûche. Mais je voyais dans ce gaspillage de temps un éloge à la lenteur, une rupture avec la sacro-sainte utilité.

Voilà beaucoup moins léger. Voilà qu'on me dit que, lorsqu'il brûle, mon bois n'est pas écologique non plus. Qu'il laisse dans l'air un smog plein de particules cancérigènes. Ciel. J'étais là à cocooner dans sa douce chaleur, à faire mijoter des soupes sur son rond en me racontant qu'elles y retrouvaient des saveurs d'antan, à y faire griller parfois des châtaignes des Pouilles, et vous me dites que ce faisant, mon poêle donne le cancer à des petits enfants? Ciel.

Les gens qui nous gouvernent n'osent pas toucher aux sables bitumineux qui pourrissent l'air de ce pays, n'osent pas toucher ou si peu à l'industrie des pesticides qui nous empoisonnent au sens premier de mot, n'osent pas faire les liens entre le cancer, l'obésité, le diabète, les allergies et les bouillies médicamentées dont on nourrit nos poulets, nos vaches, nos porcs, mais... mais ils veulent éteindre mon petit feu. En préparation de la chose, ils ont même obtenu que les bulletins de météo précisent, c'est tout nouveau, que le smog est la faute de mon poêle à bois.

J'avoue que celle-là a mis le feu à ma cheminée.

Question: quand, au lieu de vous réjouir comme une dinde de la prochaine bordée, allez-vous ajouter à votre bulletin météo des informations ponctuelles sur le réchauffement climatique, rappeler ses conséquences dramatiques, sécheresses et inondations, et rappeler que la première cause de ce réchauffement, sans doute le plus grand défi auquel doit faire face la planète, est la croissance économique, pas mon petit poêle à bois qui n'est pas un facteur de croissance économique, qui serait même plutôt le contraire.

Et dans les quotidiennes nouvelles sur le cancer, après avoir nommé mon poêle à bois, serait-il possible de nommer aussi le nom de quelques-unes des grandes compagnies qui produisent des pesticides, comme Mosanto, Bayer, Syngenta, Dow, Dupont, etc., autant responsables que mon poêle, combien on pari? de l'augmentation du cancer du côlon, de l'estomac, de la vessie, du pancréas, de l'utérus, de la leucémie, je continue?