Ce n'est pas pour me vanter, mais je dois être le seul chroniqueur de l'hémisphère Nord à n'avoir pas encore dit un mot du Bye Bye, et au lieu de m'en remercier, vous me dites quoi? Vous me dites: allez, monsieur le chroniqueur, pour nous faire plaisir, juste quelques lignes, un petit mot...

O.K., un mot. Mais un seul. Et au hasard. En ouvrant au hasard un dictionnaire tiré au hasard de ma pile de dictionnaires. Voilà, j'ai tiré Le Nouveau Littré. Attention, j'ouvre. Page 641, le premier mot en haut de la page, c'est un mot composé: «Gras-fondu ou gras-fondure». L'un et l'autre se disent. Attendez que je lise la définition... Ah non! Non! Vous allez croire que j'ai triché:

 

Gras-fondu ou gras-fondure: diarrhée chez la vache et le cheval.

C'est l'histoire de ma vie, mon vieux. Je fuis le sens, et toujours le sens me rattrape, me tire par la manche, jamais de repos. Tiens, le coup du dictionnaire ouvert à n'importe quelle page que je viens d'exécuter devant vous, je le fais souvent tout seul. Eh bien jamais, vous m'entendez, jamais je ne tombe sur des mots innocents comme moulinette ou bretelle ou mouchoir ou saucisson ou ficelle ou Nouveau-Brunswick.

L'autre jour je parcourais l'hebdo français Le Point - ce n'est quand même pas Tel quel, Le Point - et je tombe sur cette phrase dans une critique littéraire: «Les chagrins sont des malaises vagaux.» Vagaux? Pluriel de vagal, relatif aux nerfs vagues (on en a deux), appelés aussi nerfs pneumogastriques. On les dit vagues à cause de leurs ramifications dispersées. Bref, les chagrins seraient des malaises pneumogastriques et se soigneraient au bicarbonate.

Dans le même article, on parle d'un monsieur bien-pensant et «doloriste», en plus de traiter le philosophe Finkielkraut de «mécontemporain»... Je suis à la veille de m'abonner à Paris-Match.

Jamais de repos. Prenez ma chronique de jeudi, «Pauvre Palestine». Savez-vous combien j'ai reçu de courriels? Environ 17 millions. J'ai eu l'étourderie, à la fin de la chronique, de dire que je ne comprenais pas pourquoi les États-Unis étaient toujours aussi outrageusement du bord d'Israël. C'est incroyable le nombre de lecteurs qui se sont fait un devoir de m'expliquer.

C'est drôle parce que j'avais d'abord bâti cette chronique en expliquant justement le pourquoi de cet appui indéfectible. Mon propos ne portait pas tant sur le lobby juif que sur ce qu'Israël représente pour la droite chrétienne américaine. À la dernière minute, en me relisant, j'ai dit fuck, c'est pas une chronique c'est un éditorial. J'ai tout scrapé et rebâti en vitesse une petite Palestine pour les nuls, en concluant donc par cette question (c'est mon côté scout interactif): pourquoi diable les Américains, qui disposent d'un moyen de pression décisif, ne l'ont-ils jamais utilisé pour imposer la paix?

C'est drôle, vos réponses, c'est à peu près la chronique que j'ai scrapée parce que je la trouvais trop éditoriale. Vous avez d'ailleurs un style très éditorial, en cela qu'on a l'impression que les choses ne sont là qu'en support à votre opinion. Les hommes sont tourmentés par l'opinion qu'ils ont des choses, non par les choses mêmes. (Épictète)

Vous aimez les solos de tambour plus que moi. Plus je vieillis, plus la petite musique me suffit. J'expliquais cela l'autre jour à un lecteur fâché. Selon lui, il y avait dans ma chronique trop de mots et pas assez d'idées. Il avait raison pour les idées. Il n'y en avait aucune. J'ai été un peu raide, je lui ai dit regarde, j'ai pas que ça à donner: une petite musique. Pour la totale, les grandes orgues, tu vas lire les pages éditoriales et tu me fais pas chier.

N'allez pas croire que je n'ai que des teigneux. La gentille Mme Pauline Marois m'a écrit. Une carte officielle avec l'estampille de l'Assemblée nationale, Baie-Saint-Paul, par le peintre Normand Boisvert, et griffonné en pattes de mouches: Je ne vous lis pas toujours mais quand je le fais, généralement j'aime, même si je ne suis pas toujours d'accord. Traduisons: je ne vous lis pas, mais quand ça m'arrive par accident, je vous trouve assez nul, c'est pas grave, allez! Elle me rend élégamment, je trouve, le faux compliment que je lui ai fait l'autre jour en la traitant de fausse matante.

M. Charest m'a oublié. Gilles Duceppe aussi, mais je crois qu'il a écrit à Yves Boisvert, je vais m'en souvenir. Françoise David? On doit aller manger un de ces midis, j'ai assez hâte de dire des folies dans le dos d'Amir, qui m'a téléphoné mais je dormais. Ma fiancée me l'a dit trois jours après: Amir a téléphoné. Ah ben.

Longue lettre de Michel Garneau, le poète: Je m'abstiens d'habitude d'envoyer des poèmes par la tête des gens qui ne sont pas déjà mes victimes intimes... sur le thème de la vieillesse - oh le maudit naufrage lent/ah l'atroce noeud coulant.

Jean-François est poète autrement: je suis de la gauche monoparentale du Plateau, des parents agriculteurs, des oncles homos, des frères qui se présentent pour les Verts, des immigrants dans les partys de Noël au fond d'un rang gaspésien... cette gauche-là qui a voté Amir et ne le regrette pas...

Chronique-école, chronique-religion, chronique-Palestine, des milliards de courriels, je réponds à quelques-uns, j'imprime les plus pertinents, je leur mets un trombone, j'écris Palestine au crayon gras rouge au travers de la première copie et cela va s'ajouter sur la pile des courriels-écoles, des courriels-religions, des courriels-olympiques.

Répondre quoi?

Que je vous aime et vous hayis en même temps? Je sais, je sais, vous aussi. Juste un truc: est-ce bien nécessaire de me l'écrire si souvent?