Françoise David venait d'aller donner des entrevues à Radio-Canada, dont les studios sont à Ottawa. Nous étions revenus dans Hull, nous attendions que le feu passe au vert au coin Saint-Rédempteur et Des Allumettières, à côté d'une énorme bétonnière. Penché à la fenêtre, le chauffeur de la bétonnière fait signe à Françoise de baisser sa vitre et, par-dessus le bruit du moteur :

Bonjour madame David ! Je viens de vous entendre à la radio. C'était très bien. Y auraient dû vous inviter au débat des chefs. C'est plate, y a pas de candidat de Québec solidaire dans mon comté... J'aurais voté pour vous.

Quel comté?

Gatineau.

Mais si, y en a un...

Rose de bonheur, qu'elle était, Françoise David. Mettons que Québec solidaire aurait des sous pour de la pub à télé et qu'ils auraient imaginé un clip comme celui-là, j'eusse été le premier à me moquer: hé, hé, pousse pas, Françoise !

Comme on dit, ça fait du bien quand ça passe, mais ça ne passe pas souvent! On était loin de la foule en délire, mercredi matin, à 7h30, au parking de l'hôpital des Vallées de l'Outaouais. C'était le changement de quart des infirmières. Était-ce le vent glacial? L'accueil m'a semblé plutôt froid.

Bonjour, je suis Françoise David, de Québec solidaire. Bonne chance, répondaient brièvement les employés qui sortaient du parking. Françoise les accompagnait quelques pas en leur tendant son dépliant. Bonjour, je suis Françoise David, de Québec solidaire. Okéééé, fait un monsieur qui n'a visiblement aucune idée de qui elle est. Il met le déliant dans sa poche, visiblement déçu que ce ne soit pas pour annoncer l'ouverture d'un nouveau restaurant chinois.

Bonjour, je suis Françoise David, de Québec solidaire. Oui, oui, jé vous réconné, sourit une grosse dame haïtienne. Une autre Haïtienne, tout de suite après : Mme David! je vous ai vue à la télé, mais je n'ai pas le droit de voter, je ne suis pas encore résidente permanente.

J'ai voté pour vous la dernière fois, dit un monsieur. Savez-vous pourquoi? Les trois semaines de congé payé que vous proposez dans votre programme.

Après l'hôpital, on est allés distribuer d'autres dépliants devant la Promenade du Portage, où sont regroupés les bureaux des fonctionnaires fédéraux. À l'arrêt d'autobus, un jeune homme cravaté accueille chaleureusement Françoise : Je regrette tellement que vous ne soyez pas invitée au débat des chefs. Je l'accroche un peu plus loin : Voterez-vous Québec solidaire?

Ah! Ça, c'est une autre histoire!

Un monsieur s'avance, la main tendue : Bonjour, madame David, soyez la bienvenue en Outaouais. Un militaire bourru refuse le dépliant: Ça ne me concerne pas! Ce en quoi il se trompe. Dans les engagements électoraux de QS, trois articles pour promouvoir la paix, dont celui-ci : interdire le recrutement pour les Forces armées dans les écoles.

Nous sommes accompagnés bien sûr du candidat local de Québec solidaire, Bill Clennett - 10 % aux dernières partielles. Personnage fascinant. J'y reviendrai dans une autre chronique. Pour l'instant, mon sujet d'observation, mon unique bibite, dirait l'entomologiste, c'est Françoise, juste Françoise.

Comment se débrouille-t-elle? J'ai envie d'employer un mot scout: vaillante! On devine qu'elle n'a pas fait ce trottoir-là si souvent. Avec sa gang de filles, oui. Mais ce racolage au ras des pâquerettes? Ce rentre-dedans individuel ? Bonjour, je suis Françoise David, de Québec solidaire. Vaillante, voilà. Volontariste. Un peu carrée. Comme un scout qui allumerait son feu en prétendant enflammer les grosses bûches d'entrée, la santé, l'éducation, une fiscalité équitable, tiens toé. Me semble qu'elle n'y met pas assez de petit bois, pas assez de menues brindilles...

On a passé deux heures à l'Université du Québec, un petit stand improvisé près de la cafétéria qui n'a pas attiré 10 étudiants. Pas cinq. Pas trois, en fait. Françoise a donné une entrevue pour la radio étudiante à un animateur qui venait manifestement d'apprendre son nom et celui de son parti, elle a fait le tour des tables à la cafétéria. Ces deux-là, tiens : Ah, vous êtes dans la politique ? Vous êtes pas menteurs, vous, au moins ? Pas voleurs ? Ce niveau-là.

Vers la fin de l'après-midi, visite du Gîte L'Ami, un centre d'hébergement pour sans-abri tenu par des gens admirables qui prennent soin d'une clientèle, on s'en doute, très déconnectée. Était-ce bien nécessaire de faire le tour des tables ? Bonjour, je suis Françoise David, de Québec solidaire. Question de l'itinérant: C'est quoi, ça? Le Bloc pot?

Le lendemain, à l'heure du midi, visite à la Résidence de l'Île, sa première résidence de vieux de la campagne électorale. À sa place je n'en ferais pas d'autre. Elle n'en convaincra pas un sur 100 000.

Hein? Qu'est-ce que vous dites?

Allez savoir s'ils sont sourds ou s'ils ne veulent pas entendre. Un vieux monsieur pourtant, seul à sa table: Vous, là, madame David, je vous aime parce que vous n'êtes pas agressive. Le début d'un échange intéressant? Même pas. Rien qu'une marotte: la politique, c'est toujours des maudites chicanes. Il est prêt à voter pour n'importe qui qui propose n'importe quoi sans chicaner.

Vous ai-je déjà dit qu'un jour je vais me retrouver dans un de ces endroits, non plus comme journaliste, mais comme pensionnaire et que je vais très certainement y devenir tueur en série?

J'ai déjà entendu mon ami Amir, et Françoise aussi, sinon se plaindre des journalistes, regretter que la presse en général n'accorde pas à Québec solidaire l'attention que leur parti mérite.

C'est sans doute vrai en dehors des campagnes électorales ; ce n'est pas du tout ce que j'ai constaté sur le terrain durant cette mini-tournée en Outaouais. Françoise a donné 223 entrevues en une journée et demie, dont deux à Radio-Canada, une en direct à la radio et une à la télé.

Elle a aussi été reçue par l'équipe éditoriale du Droit. L'excellent compte rendu de cette rencontre occupait toute la page 2 le lendemain, illustré d'une superbe photo sur trois colonnes, photo sur laquelle Françoise ressemble d'ailleurs à Amir, ma fiancée vient de me le faire observer : hé, elle ressemble à Amir là-dessus, c'est exprès pour pogner?

Même l'éditorial du Droit, sous un titre qui s'annonçait pourtant varlopant - «Confusion à gauche» - conseille au parti libéral d'emprunter à Québec solidaire son idée de Pharma-Québec (production et distribution étatisées de médicaments), éditorial qui se concluait ainsi : Québec solidaire peut contribuer de belle façon au débat public en offrant ses idées aux partis au pouvoir. Cela sous la plume d'un éditorialiste - Pierre Jury - qui n'est pas connu pour ses sympathies de gauche.

Je ne dis pas que ce n'est pas mérité. Je dis que c'est inespéré. Pour les consoler de leur absence du débat des chefs? Peut-être. Une absence, si ça continue, qui va finir par faire aussi grand tapage que l'eût fait leur présence.

Deux fois, au cours de cette tournée, Françoise a été reçue par des groupes communautaires, une fois par ceux appartenant au réseau de l'itinérance, l'autre fois au centre Jules-Desbiens. Elle s'est assise à une table hétéroclite composée d'intervenants en toxicomanie, famille, handicapés, mourants, logements sociaux, douleur chronique, etc.

Vous rappeler, même si ce n'est pas mon sujet ici, que le communautaire, ce sont ces gens qui, dans des conditions de précarité presque égales à celles de leur «clientèle», suppléent de plus en plus à la désaffection de l'État pour le «social».

C'est justement ce dont ils ont plein le cul : suppléer, seulement suppléer. Offrir, à bien meilleur coût, bien sûr, les ressources que l'État n'offre plus. Ils ne sont pas venus au communautaire pour verser dans la bienfaisance, ils sont venus au communautaire par goût de l'action politique, pour agir en amont des problèmes.

Ce n'est pas aux libéraux, ni aux péquistes, ni aux verts qu'ils peuvent expliquer ça. À Françoise David, ils n'ont rien à expliquer. C'était absolument fascinant et même émouvant de les entendre échanger avec Françoise.

Il y a donc tous ces gens qui traitent Françoise et Amir de pelleteux de nuages et il y a ces autres gens, de terrain - j'insiste : DE TERRAIN - pour lesquels Amir et Françoise incarnent un idéal citoyen.

Je vais terminer là-dessus : pour ces gens (et, le dirai-je, pour moi aussi), il importe assez peu qu'Amir et Françoise soient battus le 8 décembre. Il importe assez peu que Québec solidaire obtienne moins de 5% des votes.

Ce qui importe, c'est qu'on entende encore leur voix après le 8 décembre. Pauvres ou riches, de droite ou de gauche, nous avons tous besoin de cette pensée critique, de ce minimum (même très minimum à moins de 5%) de décence.