Pour dire les choses comme elles sont, ce dernier samedi des Jeux dont on attendait monts et merveilles pour le Canada aura été plutôt merdique. Marie-Hélène Prémont qui s'éclipse rapidement, bonsoir madame; van Koeverden qui gagne une médaille de consolation en perdant son premier 500 mètres de l'année; et Gary Reed, vice-champion du monde sur 800 mètres qui finit quatrième. Mais ça, ce serait plutôt une très bonne performance.

J'étais au stade, j'ai vu sa course, j'ai surtout vu Reed 10 minutes après dans la zone mixte, il agonisait ou presque, n'avait pas encore récupéré, il se tenait à la barrière qui sépare les athlètes des journalistes, penché en avant comme s'il allait vomir.Le 800 est une course brutale, souvent échevelée, on s'y marche beaucoup sur les pieds, aussi la manière de Gary Reed est-elle de contrôler la course de l'arrière, il regarde les choses aller et amorce sa remontée quand il reste 200 mètres.

Hier ça n'a pas fonctionné. Il s'est fait piéger dans la courbe du dernier 200 justement, ce qu'il nous confirme dans un souffle : «Je me suis laissé enfermer, quand j'ai réussi à me dégager, c'était parti devant et je n'ai jamais pu remonter pour être dans les médailles. Je suis déçu bien sûr, c'est dur de finir quatrième.»

Ce sont les deux Kenyans qui ont emballé la course après un premier tour (53,35) que Reed a passé bon dernier, peut-être qu'il exagère dans la patience, peut-être qu'il en met un peu trop dans l'attente, peut-être aussi que ça allait trop vite devant, tout simplement. C'est le Kenyan Wilfred Bungei qui l'a emporté devant Ahmed Ismaïl du Soudan, l'autre Kenyan et champion du monde Alfred Yego complète le podium.

«Je suis déçu de ma quatrième place, mais on est aux Jeux olympiques, quatrième ce n'est quand même pas si mal»... C'est la meilleure performance des Canadiens en athlétisme, j'oserais dire avant la médaille de bronze de Priscilla Lopez dans le 100 m haies. Si l'on ajoute Jessica Zelinka (sixième à l'heptathlon), Dylan Armsrong (quatrième au poids) et l'honorable prestation du relais (sixième), l'athlétisme canadien sauve les meubles, sans plus.

USAIN QUI ? - Mes jeux se sont terminés en apothéose par le grand numéro des Éthiopiens dans un 5000 mètres d'anthologie. Comme dans une course de vélo, dans le 5000 et le 10 000 il s'agit de mettre la table pour l'attaque décisive. En voyant les trois Éthiopiens se relayer devant, comment ne pas évoquer le train bleu des US Postal de la belle époque, préparant l'attaque de Armstrong dans une étape de montagne ?

Kenenisa Bekele, son petit frère Tariku et Cherkos le troisième Éthiopien ont marqué le tempo jusqu'à ce que Kenenisa prenne les commandes seul, à trois tours de la fin. Le faux Américain Bernard Lagat, champion du monde en titre, lâché depuis longtemps, il ne restait plus dans la roue de l'aîné des Bekele que les deux Kenyans et un Ougandais.

L'attaque de Kenenisa dans le dernier tour était écrite dans le ciel. De toute beauté. Limpidité, puissance, vitesse. Courir, le retour aux sources. À l'essentiel. Usain Bolt ne m'arrache pas un frisson. Pour Bekele, j'étais debout, je criais, j'applaudissais. Amusées, les jeunes Chinoises qui nous distribuent les feuilles de départ me regardaient du coin de l'oeil : eh ben, pépé, on s'agite?

Pépé n'a même pas attendu la fin du saut en hauteur des dames et les relais 4x400 pour aller se coucher. Pépé termine les Jeux dans état proche du Nebraska si vous voulez savoir.

La synchro, ça monte ou ça descend

Difficile à suivre la nage synchro. D'abord hier, il fallait savoir reconnaître les animaux dans les figures que les Canadiennes faisaient dans l'eau, je crois y être parvenu, en tout cas j'ai très bien reconnu la souris blanche et le lapin. Ce qui est beaucoup plus difficile, c'est de suivre la compétition elle-même, qui c'est qui gagne, qui c'est qui perd et pourquoi.

Il faut savoir qu'en nage synchro, ce n'est pas la performance qui décide du rang.

Le rang est décidé avant la compétition. Les premières en ce moment ce sont les Russes. Quoi qu'elles fasses elles seront premières pendant deux ou trois ans, on ne sait pas. Les secondes aussi sont connues, les Espagnoles. Et les troisièmes. C'est comme ça.

À partir de la quatrième, cinquième, sixième place, ça marche, en apparence, comme dans n'importe quel autre sport, la meilleure performance obtient la meilleure note. En apparence seulement. En réalité, le rang d'un pays dépend d'abord du courant qui le porte : ascendant ou descendant. Prenons le Canada, il est monté très haut, et forcément ne pouvait que redescendre. Une fois dans l'ascenseur qui descend, quoi que tu fasses, ça descend. Pareil quand t'es dans celui qui monte. Le Canada est descendu jusqu'au septième rang. Tu ne peux pas aller plus bas. Plus bas, y'a l'Arabie saoudite, la Guinée et une île de l'océan Indien protectorat du Luxembourg, dont j'oublie le nom. Quand t'es septième, tu ne peux que remonter. Mais ça prend des années. En arrivant à Pékin, les Canadiennes étaient sixièmes. Derrière les Américaines. Et il était écrit qu'elles repartiraient de Pékin sixièmes.

J'étais assis à côté de la maman d'une nageuse, Mme Tessier, maman d'Ève Lamoureux, quand le tableau a affiché la note du Canada. Et voilà Mme Tessier qui se met à crier comme une démente : on les a battues ! On les a battues !

Qui ?

Les Américaines! On a les a battues.

Ça vous donne une médaille?

Ben non pas une médaille, mais on remonte d'une place.

Remonter d'une place : un tremblement de terre dans le monde ultra conservateur de la synchro. Séisme que les Canadiennes doivent à leur extraordinaire performance ou parce qu'elles sont dans l'ascenseur qui monte et les Américaines dans celui qui descend?

Va savoir.

En tout cas elles ont terminé quatrièmes, devançant même les Japonaises pénalisées de deux points parce qu'une nageuse a failli se noyer et qu'elle a touché le fond de la piscine. T'as pas le droit de toucher le fond de la piscine en nage synchro, même quand tu te noies.

Personnellement, j'ai préféré la routine des Canadiennes, à cause du thème des animaux. J'aime beaucoup les animaux. Je regrette seulement un truc, puisque tout ça se passe dans l'eau, pourquoi ne pas représenter des animaux aquatiques? Pourquoi le lapin et pas l'écrevisse, ça nage pas un lapin.

Je m'amuse (tout en n'étant pas si loin de la réalité), je m'amuse mais les huit jeunes filles étaient folles de joie d'avoir battu les Américaines. Elles en ont pleuré. Les voilà payées de leurs efforts, et quels efforts. On n'imagine pas. Qu'on apprécie ou non leur performance, ce sont d'incroyables athlètes, des gymnastes en fait, qui s'entraînent avec la même rigueur, et dans la même douleur que les gymnastes.

Dans la zone mixte, Marie-Pierre Gagné qui en est à ses deuxièmes Jeux olympiques souriait plus largement que les autres :

Je prends ma retraite, c'était ma dernière compétition.

Cela a tellement l'air de vous faire plaisir! D'habitude les athlètes à leur dernière compétition sont un peu tristes...

Pas moi. Je ne me lèverai plus à 5 h 45 tous les matins, toute l'année. Plus de régime à suivre. Et là, tout de suite, je pars avec mon copain, pour deux mois de vacances en Asie, sac au dos.

Des sacrées belles gamines, qui méritent pas mal mieux que les fossiles qui, me dit-on, gouvernent leur sport au plus haut niveau.