Au lendemain des jeux d'Athènes, il y a quatre ans, j'écrivais que les médias devaient quelques excuses à la Grèce et aux Grecs pour avoir douté de leur capacité à organiser des Jeux, qui furent ma foi plutôt réussis.

Personne n'a jamais douté de la capacité des Chinois à organiser des Jeux. Mais tout le monde, je m'inclus, a douté du reste. De tout le reste.

Ah la pollution mon vieux. On n'en reviendrait pas tous vivants.

Et la censure! Les journalistes étrangers allaient vivre l'enfer dans ce pays qui ne connaît pas la liberté de presse. On pariait sur combien seraient expulsés.

Dans l'avion qui m'amenait à Pékin, j'avais souligné cette phrase dans un journal français (L'Équipe) : Le chauvinisme est paroxystique en Chine où l'on vénère surtout les champions nationaux... C'tu écœurant de vénérer surtout les champions nationaux, les Français ne sont pas comme ça, nous non plus d'ailleurs, si on vénérait tant Maurice Richard c'est parce qu'il était d'origine turque.

Et le marathon? Combien de morts au marathon, dans cette humidité et cette chaleur? Le tata qui demandait ça, c'est moi. Non seulement personne n'est mort, mais 76 coureurs ont allègrement complété les 42 kilomètres en ce beau dimanche matin. Le Kenyan Samuel Wansiru s'est imposé en 2:06:32, tellement pas un chrono de canicule et de pollution, que c'est le record olympique !

Et la sécurité? Les Chinois allaient avoir le doigt sur la gâchette. Gare aux récalcitrants. Je n'ai pas vu une arme à feu de tous les Jeux. Pas une foutue mitraillette. Les contrôles toujours extrêmement courtois. Le moins oppressant de tous les services de sécurité depuis les Jeux de Munich.

Enfin, disions-nous, ces Jeux seraient les plus politiques de l'histoire. Leur réussite même cautionnerait le régime qui survit par la censure et la répression.

Les Jeux cautionnent toujours le régime qui les accueille.

Je pense au contraire que ces Jeux-ci vont faire plus de bien aux Chinois qu'à leurs maîtres. Lu Xum, poète et écrivain chinois contemporain (il est mort en 1936), disait que les Chinois n'ont jamais eu que de deux façons de considérer les étrangers : soit comme des purs connards, soit comme des êtres supérieurs.

Ces Jeux les aideront considérablement à les voir comme des semblables.

L'AIR DU PAYS — Ça fait un mois que je suis à Pékin et je resterais bien. Pourtant c'est laid, ça s'peut pas. Pourtant, hors de la bulle olympique, sont pas si fins que ça. Et je me tannerais vite de leur bouffe, pas si géniale que ça.

Ça fait un mois que je suis à Pékin et je resterais bien. Mais non, je n'ai pas rencontré une Chinoise, qu'allez-vous chercher là. Je vais vous dire : ça fait un mois que je suis à Pékin et je n'ai pas pensé à la mort une seule fois.

POIL DE CHAMEAU — Je regarde la cérémonie de clôture à la télé tout en tapant ce texte, vous avez vu qu'on avait procédé à la remise des médailles du marathon. Vous avez peut-être noté que le vainqueur de la médaille d'argent était Marocain. Quand il s'est penché pour que Jacques Rogge lui passe la médaille au cou, j'ai reconnu Ali.

Dans la petite ville où j'ai grandi, il y avait un Nord-Africain, un Arabe, qui vendait des tapis qu'il portait sur chaque épaule. Ali. On se moquait de son accent : Mon zami, j'ti vends un tapis pour ta moukère, pas cher, après a va ti faire des plaisirs...

Le Marocain qui a gagné la médaille d'argent, c'était Ali tout craché. Vous avez remarqué que Rogge et lui se sont échangé quelques mots ? Je niaise pas, ils se sont vraiment parlé. Combien on parie : excusi missieu Rogge, ji profite de l'occasion, ji vends di beaux tapis, pas cher, du poil de chameau...

D'imaginer la stupeur de ce foutu Belge coincé dans sa dignité, j'en ai pleuré tant j'ai ri.

LES POMPIERS — Dans le quartier des Lamas, un hôtel chinois. À côté de la porte, de la grandeur d'une affiche de cinéma, une photo de l'ancien président du CIO Juan Antonio Samaranch. Mais ça je ne le sais pas encore, il a fallu que je le demande au planton sur le perron.

C'est qui lui?

Juan Antonio Samaranch. Et de m'expliquer que c'est un grand ami de la Chine parce que c'est lui qui, il y a sept ans, a annoncé que Pékin organiserait les Jeux de 2008.

Je lui dis: vous savez qu'il est mort.

Ho! Ho! Mais non, je ne savais pas. Il en était tout bouleversé. Un cancer?

Non un camion de pompier. Je ne sais pas comment on dit camion de pompier en anglais. À la place j'ai dit pin-pon pin-pon. Il dû croire que c'était le nom de la maladie. Il a répété la chose à ses amis, qui l'ont répété à leur tour, bientôt tout Pékin a su que Samaranch était mort, pin-pon pin-pon.

Samedi j'étais au Stade national pour le 800 de Reed et voilà qu'ils annoncent la cérémonie de remise des médailles pour le décathlon, les médailles seront remise par M. Juan Antonio Samaranch.

Il y a eu comme un murmure interrogateur dans le stade : pin-pon pin-pon?

LA JAMAÏQUE — Mon papier Vive la Jamaïque a été mal reçu. Peut-être me suis-je mal exprimé. Transposons. La Jamaïque est une île de deux millions et demi d'habitants. Supposons un Grand Montréal qui engloberait Laval et la Rive-Sud pour atteindre la même population.

Disons que trois athlètes du Grand Montréal participeraient à la finale du 100 mètres, rien que cela serait éminemment suspect. Je vous souligne que le Canada tout entier n'a pas été foutu d'en qualifier un seul pour les demi-finales. En plus de nos trois hommes, on aurait aussi trois filles en finale du 100 féminin, et elles auraient fait, comme les Jamaïcaines, un, deux, trois sur le podium!

C'est pas fini. Trois autres filles dans la finale du 200, une le gagne, l'autre termine troisième. Victoire aussi dans le relais 4x100. Pour faire bonne mesure, on raflerait l'or du 400 haies féminin. Et pourquoi pas, un coup parti : la médaille d'argent du 400 chez les filles.

Imaginez. Les athlètes du Grand Montréal rapporteraient onze (ONZE) médailles de Pékin. Toutes dans le sprint.

Imaginez, on capote pour une médaille de bronze en canot. Imaginez trois Québécoises qui ramassent les trois médailles du 100!

Vous ne pensez pas que quelqu'un soulèverait la question du dopage?

Vous me répondez des niaiseries du genre: c'est parce qu'ils sont doués naturellement. Et la meilleure: c'est parce qu'ils ont des bons entraîneurs. Là vous n'avez pas tort. Trevor Graham, le coach de Marion Jones, de Tim Montgomery, de CJ Hunter est d'origine jamaïcaine.

LE MIRACLE DES JEUX — À la base il y a des enfants, vos enfants qui jouent. Certains de ces enfants montrent un talent qui les fait entrer dans l'élite. Les meilleurs de cette élite se retrouvent aux Jeux olympiques. En entrant dans l'élite, vos enfants substituent aux valeurs angéliques de leurs débuts, celles plus rigoureuses du travail, de la production de performances. En arrivant aux Jeux olympiques, ils se frottent à d'autres valeurs encore, la plupart bêtement grandiloquentes. Et souvent ils deviennent des petits cons sans intérêt, sans culture, sans perspective. Des fois ils deviennent des PME, entraîneurs, agent, manager, psychothérapeute, kiné.

Le miracle est que quelques-uns traversent tout cela sans se dénaturer. Une Christine Girard, un Thomas Hall, les garçons du huit de pointe qui ont gagné l'or au bassin d'aviron, les gamines de la nage synchro... ceux-là nous permettent encore d'y croire. Merci.