Je planche depuis plusieurs jours sur une chronique à propos des Expos 2.0. Sans jamais trouver le bon angle d’attaque malgré les développements encourageants survenus au cours du dernier mois.

Il y a eu cette présentation de Stephen Bronfman devant un comité municipal examinant l’avenir du quartier où le nouveau stade serait bâti. Il a parlé de sa « vision », un édifice « écoresponsable » capable d’accueillir des matchs de baseball, de football et de soccer.

Il y a eu cette nouvelle du Tampa Bay Times confirmant que les Rays ont « formellement » demandé au maire de St. Petersburg, où est situé leur stade, de discuter d’une garde partagée avec Montréal.

PHOTO REINHOLD MATAY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le Tropicana Field, domicile des Rays de Tampa Bay

Il y a cette demande de la Ville de Montréal à la Caisse de dépôt et placement, maître d’œuvre du REM, de construire une station près de l’éventuel stade.

Il y a eu ces données sur la « vigueur renversante de l’économie du Québec », rapportées par mon collègue Francis Vailles. Jamais, écrit-il, n’avons-nous connu « une période de croissance continue aussi longue » depuis que ces statistiques sont publiées, soit 1997. Il ajoute que « les investissements sont au rendez-vous » dans les secteurs public et privé. Bref, nous sommes des premiers de classe. Voilà de douces nouvelles aux oreilles du baseball majeur.

Il y a eu cette lettre d’appui signée par trois canons du monde des affaires : « Si ce projet peut se concrétiser, sa réalisation pourrait procurer des retombées significatives pour Montréal et le Québec », ont écrit Louis Vachon (Banque Nationale), Daniel Lamarre (Cirque du Soleil) et, étonnamment, Lucien Bouchard.

Pour ceux qui ont suivi l’interminable feuilleton ayant conduit au départ des Expos en 2004, retrouver le nom de l’ancien premier ministre du Québec au bas de cette lettre a représenté l’ironie suprême. À la fin des années 90, si le stade envisagé au sud du Centre Bell n’a pas été construit, c’est en bonne partie en raison de son opposition.

La situation économique du Québec n’était évidemment pas favorable. Mais l’histoire retiendra que M. Bouchard, après avoir dit « niet », n’a jamais utilisé ses considérables pouvoirs et son leadership naturel pour rassembler les intervenants ou proposer des pistes de solution. Il s’en est lavé les mains, point à la ligne.

Quelques années plus tôt, son prédécesseur Jacques Parizeau s’était montré plus proactif dans l’espoir de sauver les Nordiques. Au lieu de simplement refuser le plan des propriétaires de l’équipe (les profits d’un nouveau casino financeraient la construction d’un nouvel amphithéâtre), son gouvernement avait offert une solution de rechange crédible. Cette ouverture a été rejetée, mais personne n’a pu lui reprocher d’avoir simplement fait la sourde oreille.

Cela dit, le Groupe de Montréal se réjouira avec raison de l’appui de M. Bouchard, autre signe de l’enthousiasme du milieu des affaires face à la perspective du retour du baseball majeur.

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Compte tenu de toutes ces bonnes nouvelles, pourquoi ai-je éprouvé autant d’ennuis à amorcer une chronique célébrant ce cheminement ? Après tout, l’idée de retrouver nos Z’Amours m’enthousiasme. Et cela, malgré mes interrogations sur des aspects clés du projet, comme le financement du nouveau stade (des fonds privés à 100 %, vraiment ?), la valeur du contrat de télé locale et la capacité de remplir les gradins après l’engouement des premières saisons.

Les Expos ont fait partie de ma vie dès l’âge de 9 ans. Je me souviens avec bonheur de ces visites au parc Jarry pour voir jouer Rusty Staub, puis celles au Stade olympique où les Pirates de Pittsburgh brisaient nos rêves.

On oublie parfois à quel point l’équipe a été populaire à la fin des années 70 et au début des années 80. Elle était imbriquée dans le tissu social de la ville et du Québec tout entier.

Hélas, la malchance a fait partie de son ADN. La grève des joueurs de 1994 occupe le premier rang d’une longue liste de moments crève-cœur. Si les Expos avaient remporté la Série mondiale cette saison-là, la suite des évènements aurait été différente.

Alors, oui, je souhaite le retour des Z’Amours. Mais pas selon la formule proposée. C’est pourquoi le déclic nécessaire à la rédaction de la chronique « positive » que j’envisageais ne s’est pas produit. Parce qu’au fond de moi-même, je ne crois pas à ces Expos à deux têtes, plan bancal qui me semble farfelu. Malgré mon amour du baseball, la perspective d’accueillir un club pareil ne m’enthousiasme pas.

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Le sang qui coule dans les veines du sport professionnel, c’est l’attachement des fans à leur équipe, ces liens qui se forgent dans les victoires, les échecs, les joies immenses et les déceptions cruelles. C’est dans la continuité que l’affection pour une équipe se transmet de génération en génération. On aime « nos » joueurs, d’autres nous tapent sur les nerfs. Mais ils font partie de notre équipe et on s’intéresse à eux.

Comment développer ce sentiment essentiel envers une moitié d’équipe, dont la plupart des membres n’auront aucun attachement à Montréal ? Comment créer cette synergie avec les fans ? Comment sentir une complicité avec un club qui disputera son premier match à Montréal à la mi-saison, fin juin ?

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Des amateurs de baseball regardent un match préparatoire des Blue Jays de Toronto au Stade olympique de Montréal.

Ce club bizarroïde n’aura rien à voir avec des Expos 2.0. Ses matchs seront simplement un ajout au calendrier estival de Montréal dans un quartier stimulant pour les promoteurs immobiliers. Et comme le dicton « loin des yeux, loin du cœur » s’applique au sport professionnel, sa première moitié de saison, avec Tampa Bay comme port d’attache, n’obtiendra guère de résonance dans notre marché. Quelles chaînes québécoises de télé ou de radio voudront diffuser ses matchs durant les trois premiers mois du calendrier ? Quels médias écrits couvriront à fond ses activités ?

Ce concept de moitié d’équipe mine déjà le concept de nouveau stade. On a longtemps rêvé d’un endroit intimiste, bâti pour le baseball. Quand M. Bronfman parle d’y accueillir des matchs de soccer ou de football pour mieux l’occuper, on devine les compromis envisagés sur le plan architectural. Impossible de loger de manière optimale les terrains nécessaires à ces sports dans un stade purement destiné au baseball. Il faudra trouver des accommodements qui, forcément, diminueront la magie de l’endroit.

Les plus optimistes diront que le concept de garde partagée est une première étape dans le but de transférer pour de bon les Rays à Montréal. Si c’est le cas, tant mieux. Mais ce souhait repose uniquement sur l’espoir. Pour l’instant, on parle d’une équipe divisée entre deux marchés éloignés de 2500 kilomètres.

Montréal doit-il s’enflammer pour ce projet ? Chacun a sa réponse. La mienne est claire : une équipe en garde partagée demeure une mauvaise idée.