Des nerfs d’acier, une concentration absolue, une maîtrise de soi exceptionnelle. Voilà ce que Bianca Andreescu a montré en battant Serena Williams en finale des Internationaux des États-Unis. Il lui a fallu une force de caractère inouïe pour contrer la remontée de sa rivale au deuxième set. Et pour résister à la pression féroce d’une foule acquise à son adversaire. Son triomphe est un moment immense dans l’histoire du sport canadien.

Au-delà de son considérable talent, comment a-t-elle pu réussir ça ? Comment a-t-elle pu accomplir, à l’âge de 19 ans, ce qu’aucun athlète canadien, homme ou femme, n’avait accompli jusque-là, soit remporter un titre du Grand Chelem en simple ? Comment a-t-elle pu performer à un si haut niveau dans un contexte aussi chaud ?

Le tennis n’est pas un sport collectif, où les autres membres de l’équipe portent aussi une partie de la pression. Andreescu était là, seule dans sa moitié de terrain, les yeux de millions d’amateurs de tennis à travers le monde fixés sur elle. À l’autre bout, une légende du sport, appuyée à fond par « son » public, n’attendait que ses erreurs pour détruire son moral et imposer sa loi. Peut-on imaginer une scène plus intimidante ?

Le premier réflexe est d’attribuer une partie du succès d’Andreescu à l’insouciance de la jeunesse. Après tout, sa carrière est peut-être encore trop nouvelle pour qu’elle connaisse la peur ou le doute. Mais cette explication ne résiste pas à l’analyse. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder un autre moment significatif de la journée de samedi : la conférence de presse d’Andreescu.

PHOTO CHARLES KRUPA, ASSOCIATED PRESS

La Canadienne Bianca Andreescu a remporté les Internationaux de tennis des États-Unis, samedi.

Durant cette vingtaine de minutes, elle a énoncé des principes fondamentaux d’un ton presque détaché, comme s’il s’agissait d’une évidence. « Ta meilleure arme, c’est d’être aussi bien préparée que possible », a-t-elle dit.

La préparation. En sport comme dans les autres secteurs de la vie, c’est la composante essentielle du succès. « À ce niveau, tout le monde sait comment jouer au tennis, a-t-elle ajouté. Ce qui sépare les meilleures des autres, c’est simplement l’état d’esprit. »

Le mois dernier, après avoir été consolée par Andreescu à la suite de son abandon en finale de la Coupe Rogers, Serena Williams l’a complimentée : « Bianca a une vieille âme. » Quand un journaliste lui a demandé de préciser sa pensée, Williams a parlé de sagesse : « Elle n’a pas l’air d’avoir 19 ans : ses mots sur le terrain, son jeu, son attitude, ses gestes… »

Serena Williams évolue au plus haut niveau du tennis professionnel depuis plus de 20 ans. Des jeunes joueuses de talent, elle en a vu des dizaines. Mais elle et son entraîneur Patrick Mouratoglou ont vite compris qu’Andreescu était différente des autres. « Elle peut gagner ce tournoi », a dit Mouratoglou à ESPN, au début de la semaine dernière. Et pour être sûr que son message ne soit pas perçu comme une banale remarque sympathique, il a précisé : « Je ne le dirais pas si je ne le pensais pas. »

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Alors, Andreescu est-elle vraiment une « vieille âme » ? Je l’ignore. Mais on peut avancer ceci : son approche du sport n’est pas seulement extraordinaire pour une jeune athlète, mais bel et bien pour tous les athlètes, peu importe leur âge.

Bien sûr, l’expérience aide plusieurs d’entre eux à mieux naviguer dans ce milieu exigeant. Mais ce n’est pas parce qu’on atteint 25 ou 30 ans qu’on devient automatiquement plus apte à gérer les pièges d’une carrière professionnelle, à composer avec les hauts et les bas, à rebondir après des moments difficiles.

En revenant avec éclat après avoir été longtemps tenue à l’écart des terrains en raison d’une blessure à une épaule, Bianca Andreescu a montré sa pugnacité. Sur le plan psychologique, elle ne fait pas mystère de sa recette gagnante : la méditation et la visualisation, des concepts appris de sa mère quand elle avait 12 ans.

À l’âge de 16 ans, après avoir gagné l’important tournoi junior de l’Orange Bowl, son rêve de remporter un jour les Internationaux des États-Unis s’est affermi. Elle a alors écrit son nom sur un chèque avec le montant de la bourse attribuée à la gagnante. À partir de ce moment, elle a « visualisé » une éventuelle victoire à New York. L’anecdote, qu’elle a racontée jeudi dernier, est significative : elle illustre à quel point ses objectifs sont ancrés dans sa tête et dans son cœur.

Samedi, avant sa finale contre Williams, Andreescu a, comme à l’habitude, soigné sa préparation mentale. « J’imagine des situations susceptibles de se produire durant le match et je trouve des manières de les aborder. Je me prépare ainsi à toutes les possibilités. »

Cela l’a sûrement aidée à briser l’élan de sa rivale en fin de deuxième manche. Les cris de la foule l’ont ébranlée, mais pas assez pour briser sa bulle.

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Sur le site USOpen.org, j’ai écouté les conférences de presse d’Andreescu la semaine dernière. Un élément m’a impressionné. Interrogée sur l’aide que lui apporte Sylvain Bruneau, elle a vanté ses qualités humaines, en plus de souligner sa « connaissance » du tennis. Un entraîneur peut-il rêver d’une plus belle marque d’appréciation ?

Tout au long de sa folle chevauchée vers le titre, Andreescu a respecté des plans de match bien conçus. Pour vaincre Serena Williams à New York, une stratégie d’une redoutable efficacité s’impose. C’est à la joueuse de la mettre en pratique. Et Andreescu, avec ses coups puissants et diversifiés, l’a fait à la perfection. Mais c’est à l’entraîneur d’en dessiner les paramètres. Alors rendons hommage à cet homme impressionnant. Et ajoutons son nom à la liste des meilleurs entraîneurs, tous sports confondus, à s’être développés au Québec.

Je le rappelle : jamais encore un athlète canadien n’avait remporté un titre du Grand Chelem en simple. Au-delà de l’exploit sportif, la fougue d’Andreescu et son tempérament de battante inspireront des jeunes – et des moins jeunes – partout au pays. Sa victoire à New York, sur la scène la plus folle du tennis international, est monumentale.