Dans un monde idéal, le bilan de fin de saison que tiendra la direction du Canadien dans une dizaine de jours serait l'occasion de dresser un état des lieux sans complaisance autour de trois axes : reconnaître des erreurs importantes dans l'évaluation des joueurs, énoncer la philosophie du plan de relance et lancer un message d'espoir crédible aux fans, en promettant notamment l'arrivée de sang neuf pour mieux entourer Marc Bergevin.

Quelles sont les chances qu'on assiste à un exercice pareil ? Minuscules, puisque le DG demeure aux commandes. Et si on se fie à ses propos plus tôt ce mois-ci lors d'une réunion en Floride, rien, absolument rien, n'indique qu'il est animé par un sentiment d'urgence. À moins que Geoff Molson ne le pousse dans ses derniers retranchements, ce dont je doute beaucoup, on entendra le même argumentaire qu'au cours des dernières années, celui qui fait maintenant rager les fans.

Vous connaissez la cassette aussi bien que moi : la réalité de la LNH n'a rien à voir avec un jeu sur PlayStation, obtenir de bons joueurs est très difficile, le plafond salarial impose des contraintes terribles, les blessures nous ont fait mal, d'autres bonnes équipes ont connu des ennuis dans le passé, je n'arrêterai jamais de travailler pour améliorer l'équipe...

Bref, si l'organisation n'obtient pas beaucoup de succès sur la patinoire, elle est championne des excuses. Et à moins d'une immense surprise, on verra durant ce bilan une direction sur la défensive et opaque comme jamais.

Geoff Molson accompagnera-t-il son DG et son entraîneur-chef sur la tribune, comme ce fut le cas après la désastreuse saison 2015-2016 ? La question n'est pas anodine. À l'époque, sa seule présence avait envoyé un message clair de solidarité. Le président-propriétaire avait déclaré avec conviction que Bergevin comptait « parmi les meilleurs » DG de la LNH. S'il est présent, le répétera-t-il ?

***

Ce n'est pas pour tourner le fer dans la plaie qu'il est important que la direction reconnaisse ses erreurs. Mais simplement pour qu'elle donne un sens véritable aux mots. Lors du bilan de 2016, Geoff Molson et Marc Bergevin avaient en effet assuré avoir « appris » de cette descente aux enfers. Un joli concept, qui aurait pu être la promesse d'une analyse en profondeur.

On a vite constaté qu'il s'agissait plutôt d'un exercice de relations publiques. Après 44 minutes de bilan, Bergevin avait réaligné le tir : « Avec un Carey Price en santé, nous ne sommes pas assis ici aujourd'hui. »

En clair, la malchance avait causé la perte du CH, rien d'autre.

Je crains qu'on n'assiste à la répétition de ce scénario. Préparons-nous à entendre davantage parler des blessures de Carey Price et de Shea Weber que du pitoyable manque de punch à l'attaque, de la surévaluation de plusieurs joueurs, du développement au ralenti de la relève et des ratés dans le recrutement des joueurs professionnels.

Quant à cet énigmatique « plan » souvent évoqué par Geoff Molson, il faudrait en dévoiler les contours avec les fans. Bien sûr, personne ne s'attend à ce que Bergevin identifie les joueurs qui l'intéressent sur le marché des transactions. Mais s'il se livrait à une analyse sans faux-fuyants de son équipe, à l'image de l'Impact l'automne dernier, cela donnerait déjà une indication de ses priorités.

Sans révéler les secrets de son organisation, Joey Saputo en avait assez dit pour convaincre les partisans d'une chose : il savait où il s'en allait. L'Impact, avait-il expliqué détails à l'appui, n'avait pas développé une « identité claire » et des correctifs seraient apportés. Il a tenu promesse.

Aujourd'hui, des fissures se dessinent peu à peu sur l'image de marque du Canadien. Le Groupe CH est pourtant une entreprise qui a connu un développement fulgurant depuis que Geoff Molson et ses partenaires en ont fait l'acquisition.

Mais le rendement de l'équipe, clairement engagée dans la mauvaise direction, fait mal à l'entreprise. Il suffit de circuler un peu à Montréal, d'écouter l'opinion d'amateurs oeuvrant dans des milieux différents, pour comprendre le sérieux du problème.

Voilà pourquoi il est si important de présenter aux partisans un « plan » cohérent, et non pas un ramassis de bonnes intentions.

Ce sera ensuite à Bergevin de faire la preuve de sa capacité à l'exécuter, même si ses ennuis de l'été dernier suscitent des inquiétudes.

À l'évidence, le DG a un énorme besoin d'aide. Aura-t-il le cran d'intégrer à son entourage des gens capables d'apporter de la fraîcheur aux discussions ? Ou évitera-t-il plutôt de sortir de sa zone de confort en conservant la même garde rapprochée ?

Si Bergevin conclut qu'aucun changement marqué n'est nécessaire autour de lui, il mettra son patron dans une fâcheuse position. Plus tôt ce mois-ci, Geoff Molson a lui-même évoqué la nécessité pour le CH de se « regarder dans le miroir » et de se demander si l'organisation « avait toutes les bonnes personnes en place ».

Quand un propriétaire-président s'exprime ainsi, c'est que sa réflexion est très avancée. Curieusement, Bergevin ne semblait pas avoir bien saisi ce message lorsqu'il a été questionné là-dessus trois jours plus tard. La commande du patron, pleine de bon sens, paraît pourtant claire.

***

En confirmant le maintien de Bergevin en poste, Geoff Molson lui montre tout son appui. Mais redonner un élan à l'équipe sera une tâche immense.

Le bilan de fin de saison permettra de voir comment le CH entrevoit la difficile suite des choses. Tout commence par une analyse lucide de la situation, ce qui représenterait déjà une avancée. Si l'organisation agit ainsi, elle recommencera peut-être à générer de l'espoir, un défi incontournable pour une équipe professionnelle.

En sera-t-elle capable ?