Si vous aimez encourager des athlètes olympiques qui vivent à Montréal, la danse sur glace est le sport pour vous! Les trois couples qui occupent le sommet du classement après le programme court s'entraînent au Complexe récréatif Gadbois, dans le sud-ouest de la ville. Ils habitent le quartier Saint-Henri et font leurs courses au marché Atwater.

Cette extraordinaire histoire commence en 2010 lorsque Patrice Lauzon et Marie-France Dubreuil ouvrent leur école de patinage peu après leur retraite sportive. Quelques années plus tôt, les deux athlètes avaient mis le cap sur la France pour préparer les Jeux de 2006 à Turin.

Comme l'a écrit mon collègue Simon Drouin en octobre dernier, une question leur trottait en tête en bouclant leurs valises: pourquoi devaient-ils s'établir outre-Atlantique? Après tout, le Canada est un pays de sports d'hiver, le patinage artistique est populaire et ce ne sont pas les arénas qui manquent.

«Pour moi, ça ne marchait pas, a rappelé Lauzon, lundi (heure locale), après avoir vu ses protégés dominer le volet initial de la compétition. C'est à ce moment qu'on s'est donné un but: un jour, on ouvrirait notre centre à Montréal.

- Croyais-tu qu'il prendrait une telle expansion?

- Pas aussi vite! Habituellement, c'est plus long que ça...»

La mesure de ce succès éclatant est apparue durant la première des deux manches de danse sur glace. Les Canadiens Tessa Virtue et Scott Moir ont obtenu le meilleur score, fracassant le record mondial. Les Français Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron ont terminé deuxièmes, devant les Américains Madison Hubbell et Zachary Donohue.

Les six athlètes se côtoient quotidiennement à Montréal, patinant sur des glaces nommées en l'honneur de Sylvio et George Mantha, joueurs du Canadien dans les années 20 et 30. Ils visent tous la médaille d'or en se fiant aux conseils de Marie-France Dubreuil et Patrice Lauzon.

En patinage artistique, cela n'a rien d'étonnant. À preuve, les médaillés d'or et de bronze du concours individuel chez les hommes, Yuzuru Hanyu et Javier Fernández, s'entraînent ensemble à Toronto sous l'oeil de l'ancien médaillé olympique canadien Brian Orser.

Lauzon, qui compartimente son esprit pour se concentrer sur les besoins de chacun, rappelle que le patinage n'est pas comme un match de tennis ou un combat de boxe, où les adversaires sont carrément opposés l'un à l'autre. «L'idée est d'aller sur la patinoire et de donner le meilleur de soi-même...»

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Donner le meilleur d'eux-mêmes, voilà ce que Moir et Virtue ont réussi. Leur magnifique performance, géniale combinaison de sensualité et de puissance athlétique sur les airs de Sympathy for the Devil, Hotel California et Oye Como Va, leur permet d'aborder la dernière phase de la compétition, la danse libre, en position de tête. Mais leur cran sera mis à rude épreuve au moment où ils s'élanceront sur la patinoire, dernier duo de la journée.

«C'est spécial d'aller sur cette scène avec autant de pression, a dit Moir. Parce qu'on l'a fait si souvent, les gens pensent nous savons composer avec cette situation. Mais chaque expérience est différente. Aujourd'hui, mon niveau de nervosité était sûrement dans le top 3 de ma carrière.»

Moir et Virtue ont fait une longue pause après les Jeux de Sotchi. Mais ils ont repris la compétition dans l'espoir de remporter l'or à PyeongChang.

«On aime patiner ensemble, a dit Moir. Ça fait 20 ans qu'on le fait, on a vécu des tas de choses... Alors quand on se regarde dans les yeux sur la glace, c'est une joie et on n'a pas besoin de faire semblant. On a passé des heures dans de vieux et sombres arénas de hockey à répéter nos programmes. Tout ça dans le but de se retrouver sous les feux de la rampe et de savourer le moment ensemble. C'est pour ça qu'on patine...»

Papadakis et Cizeron seront les principaux rivaux de Virtue et Moir. Les deux jeunes Français ont obtenu beaucoup de succès depuis trois ans et la lutte s'annonce serrée enter les deux duos. Celui qui maîtrisera le mieux ses nerfs dans cet environnement tendu montera sans doute sur la plus haute marche du podium. Pour autant que les vêtements restent bien accrochés.

Dans le programme court, le haut de Papadakis s'est en effet détaché à la hauteur du cou, découvrant une partie de sa poitrine. «Ça m'a déconcentrée, a-t-elle dit. C'est mon pire cauchemar qui survient aux Olympiques. Ça s'est produit dès le début de notre programme et je n'avais pas d'autre choix que de prier et continuer.»

Le vêtement est attaché par des crochets et une couture est ensuite réalisée pour parer à toute éventualité. «Le doigt ou la main de Guillaume a dû passer au mauvais endroit et ça l'a décousu», a expliqué à Eurosport Romain Haguenauer, un entraîneur français établi à Montréal, où il seconde Dubreuil et Lauzon.

Au même réseau, Dubreuil a ajouté: «Ça s'est défait sur le deuxième mouvement. Guillaume la tient par le cou, il l'a sans doute déchiré. Parfois, en compétition, vous avez un peu plus d'adrénaline, de puissance que d'habitude.»

Lauzon a plus tard expliqué que si le duo s'était arrêté pour remettre le vêtement en place, les juges lui auraient infligé une forte pénalité de 5 points.

Sans cette terrible malchance, Papadakis et Cizeron auraient-ils devancé Virtue et Moir? On ne le saura jamais, mais les deux Français se poseront longtemps la question.

Dubreuil et Lauzon ont aussi vécu une dure épreuve à Turin en 2006, quand Marie-France a chuté en fin de programme court. Elle a subi une blessure les ayant contraints à l'abandon. Les deux savent mieux que quiconque que l'imprévu fait aussi partie de la danse sur glace.

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Papadakis et Cizeron s'entraînaient déjà à Montréal quand le duo canadien a repris du service. «Ils nous ont accueillis à bras ouverts, a dit Moir, même s'ils savaient qu'on lutterait pour l'or olympique. Ça illustre combien ce sont des gens fantastiques.»

Moir a aussi souligné le travail de Lauzon, Dubreuil et Haguenauer. «Ils ont créé une culture très spéciale au Centre Gadbois. Ils exigent que tout le monde soit un joueur d'équipe. Participer à cette aventure est l'une des joies de notre carrière.»

Des milliers de kilomètres séparent le Québec de la Corée du Sud. Mais quand la compétition de danse libre s'amorcera, un air de Montréal flottera dans le Palais des glaces de Gangneung.

PHOTO ARIS MESSINIS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Les Français Guillaume Cizeron et Gabriella Papadakis ont été déconcentrés par un pépin d'ordre vestimentaire...