Une grosse « vente de feu », on connaît ça à Montréal !

Au printemps 1995, peu après un conflit de travail ayant mis fin à leur exceptionnelle saison, les Expos ont laissé aller leurs meilleurs joueurs. Le lien de confiance avec les partisans s'est rompu. Et le compte à rebours vers le transfert de la concession s'est enclenché.

Ces jours-ci, les fans des Marlins de Miami vivent une expérience semblable. Trois vedettes du club ont changé d'adresse. Le redoutable frappeur Giancarlo Stanton est passé aux Yankees de New York, le voltigeur Marcell Ozuna a fait ses valises pour St. Louis et Dee Gordon a pris la direction de Seattle.

Cette tournure des évènements devrait inquiéter tous ceux qui rêvent du retour des Expos. Beaucoup plus que l'élection de Valérie Plante à la mairie de Montréal. L'opération expéditive des Marlins démontre en effet comment une équipe payée trop cher se retrouve vite prise à la gorge.

Plus tôt cet automne, les Marlins ont été vendus à un groupe d'investisseurs dont fait partie Derek Jeter, l'ancienne gloire des Yankees. Prix de la transaction ? 1,2 milliard US. Le vendeur ? Ce cher Jeffrey Loria qui, décidément, a toujours la bosse des affaires.

À Miami, la nouvelle a été accueillie comme une bouffée d'air frais. Les Marlins ne seraient plus administrés à la petite semaine, ils joueraient désormais dans la cour des grands. Et Jeter, bombardé grand manitou du secteur baseball, conférerait à l'équipe une crédibilité immédiate.

La désillusion a été brutale. Au lieu d'investir, les nouveaux patrons des Marlins ont sabré les dépenses. À leurs yeux, même s'il est un joueur électrisant, Stanton avait un vilain défaut : un contrat gigantesque qui lui rapportera 295 millions US au cours des 10 prochaines années. Ozuna, lui, est admissible à l'arbitrage salarial, un exercice qui le rendra riche. Quant à Gordon, son entente lui vaudra 37,9 millions US jusqu'en 2020.

Les Marlins, bien sûr, ont indiqué qu'ils souhaitaient reconstruire l'organisation « de la bonne manière ». Mais le mois dernier, Scott Boras, un des agents les plus influents de l'industrie, a offert une interprétation différente des faits. À son avis, les nouveaux proprios réduisent leur masse salariale pour rembourser les emprunts nécessaires à l'achat de l'équipe. « Cela n'a rien à voir avec les fans, cela n'a rien à voir avec gagner, a-t-il dit au USA Today. Il s'agit simplement d'un plan financier qui fait l'affaire des propriétaires sans tenir compte de son impact sur l'ensemble du baseball majeur. »

En tant qu'agent, Boras n'apprécie évidemment pas les organisations qui optent pour un régime salarial minceur. Mais ses propos font la preuve des dangers de verser une somme ahurissante pour mettre le grappin sur un club.

Avec leurs nombreux joueurs de premier plan, la reconstruction complète n'était pas un passage obligé pour les Marlins. Leur situation sur le terrain n'avait rien à voir avec celle, par exemple, des Astros de Houston, qui ont choisi cette voie en 2011. Voilà pourquoi les justifications de Jeter sont si peu convaincantes.

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Qu'en serait-il des Expos 2.0 si le groupe piloté par Stephen Bronfman devait verser 1,2 milliard US pour obtenir une équipe de l'expansion ? L'organisation aurait-elle ensuite les moyens d'investir sérieusement dans des joueurs de qualité ou serait-elle en éternelle reconstruction ?

Rappelons-nous : après la « vente de feu » de 1995, les Expos n'ont pas toujours aligné de mauvaises équipes. Ainsi, une année plus tard, ils ont terminé au deuxième rang de la division Est de la Ligue nationale avec 88 victoires. Si le système éliminatoire d'aujourd'hui avait alors été en vigueur, ils auraient disputé au moins un match d'après-saison.

Hélas, on savait que ce succès n'aurait pas de suite. L'organisation ne voulait pas dépenser. D'ailleurs, s'il existe une constante dans l'histoire des Expos après l'explosion des salaires dans les années 80, c'est bien celle-ci : les DG de l'équipe ont dû faire des acrobaties pour présenter une formation acceptable. Leurs efforts ont été récompensés... puisque plusieurs d'entre eux se sont ensuite trouvé des emplois ailleurs ! Mais les fans n'ont pas été gagnants.

D'où cette question : si les Expos 2.0 sont administrés comme l'ont été leurs prédécesseurs, les foules seront-elles au rendez-vous ? Pour les deux ou trois premières saisons, aucun doute là-dessus. Une agréable combinaison de nouveauté et de nostalgie fera son effet. Mais après, il arrivera quoi ?

Pensons à un jeune joueur de la trempe de Giancarlo Stanton. Les Expos 2.0 devraient-ils éventuellement se départir d'un gars aussi doué comme les Marlins l'ont fait ? Tomberons-nous dans le déjà-vu ? Après tout, Gary Carter est parti parce qu'il gagnait trop d'argent. Andre Dawson aussi. Et Larry Walker. Et John Wetteland. Et Marquis Grissom. Et Pedro Martinez. Et Vladimir Guerrero... C'est bien beau, la reconstruction. Mais quand ça devient la norme, le désabusement s'empare des fans.

C'était vrai à Montréal. Et ce l'est aujourd'hui à Miami.

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Il faudra beaucoup, beaucoup d'argent pour ramener les Expos à Montréal. Si la LNH, avec des revenus annuels de 4,5 milliards US, exige 650 millions US pour une équipe de l'expansion, combien le baseball majeur, avec ses revenus de 10 milliards, demandera-t-il ?

Sans compter la problématique du financement du nouveau stade. Les réserves de Valérie Plante à l'idée que la Ville participe financièrement à la construction d'un nouveau stade sont compréhensibles.

Puisque l'administration municipale ne profiterait guère des revenus fiscaux engendrés par la présence des Expos 2.0, pourquoi les contribuables montréalais devraient-ils casquer ? Ce dossier interpelle d'abord les gouvernements fédéral et provincial. C'est vers eux que les promoteurs du projet doivent se tourner.

J'ajouterai ceci : l'expérience de la Formule électrique l'été dernier, avec son gouffre financier, justifie le scepticisme de la mairesse. Pour une administration municipale, investir dans le sport professionnel est un risque énorme. Et de mauvaises surprises sont parfois au rendez-vous, comme le démontre cette triste histoire.

Photo Jasen Vinlove, archives USA TODAY Sports

Derek Jeter