Ils sont jeunes, rapides et créatifs. Comment ne pas apprécier ces spectaculaires Maple Leafs de Toronto qui débarquent samedi soir au Centre Bell ?

Malgré ses immenses moyens financiers, cette organisation a longtemps été la risée de la LNH. Ses déboires font partie de la légende. Aujourd'hui, elle est un modèle pour ses concurrentes.

Dans notre numéro de vendredi, mon collègue Mathias Brunet a identifié les 10 étapes ayant conduit à ce changement de trajectoire. Un principe a servi de point d'ancrage : la « reconstruction complète ».

Avec raison, ces deux mots suscitent la crainte de plusieurs propriétaires d'équipe. Le succès de l'opération n'est pas garanti. Si le plan ne fonctionne pas, si les espoirs autour desquels on veut bâtir ne deviennent pas les vedettes attendues, la traversée du désert sera interminable.

Les Maple Leafs ont néanmoins foncé dans cette direction. Le rapiéçage des dernières années n'ayant fourni aucun résultat encourageant, mieux valait tenter ce coup d'audace. Dans ce marché fou de hockey, les fans n'abandonneraient pas le navire. Les revenus de l'organisation seraient ainsi préservés, une composante essentielle de l'équation.

Les Maple Leafs sont toujours à la recherche de leur première Coupe Stanley depuis 1967. Mais Brendan Shanahan, l'homme fort de l'organisation, a déjà remporté son pari. L'équipe comptera parmi les meilleures du circuit durant de nombreuses saisons.

Quand on observe la progression fulgurante des Maple Leafs, une question s'impose : cette approche devrait-elle inspirer le Canadien ?

Peut-on envisager un scénario où Geoff Molson sacrifierait quelques saisons afin de bâtir une véritable équipe de premier plan, capable de se rendre jusqu'au bout ?

Il est trop tôt pour envisager un changement de cap pareil. La saison 2017-2018 commence à peine et, malgré la morosité ambiante, il faut laisser la chance au coureur. Cette équipe nous surprendra peut-être. Mais peut-être pas non plus. Auquel cas l'établissement d'un nouveau plan allant plus loin que « Avec Carey, tout est possible » deviendra incontournable.

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En raison de ses succès jusqu'en 1993, année de sa dernière Coupe Stanley, la « reconstruction complète » est un concept absent de l'ADN du Canadien. Lors des périodes plus sombres qui ont suivi, on s'est plutôt rabattu sur des changements de directeur général ou d'entraîneur.

Ce n'est pas étonnant. Car l'idée d'une « reconstruction complète » va à l'encontre d'une théorie répandue : les fans du CH n'accepteraient jamais de voir leur équipe engluée au bas du classement quatre ou cinq saisons d'affilée.

Je me souviens d'un entretien avec Marc Bergevin en avril 2015. Nous parlions des Panthers de la Floride. Le DG du CH m'avait rappelé qu'ils avaient profité de nombreux hauts choix au repêchage. « À Montréal, je n'aurai jamais ce luxe, m'avait-il dit. Et aucun autre DG ne l'aura après moi. Parce qu'on ne pourrait pas finir aussi bas au classement si longtemps. Ça ne marcherait pas. »

À Montréal, participer aux séries éliminatoires est une nécessité. Et lorsque cette cible n'est pas atteinte, comme en 2012 et 2016, il faut corriger ce dérapage le plus vite possible.

Cette vision des choses peut-elle conduire au succès dans le hockey d'aujourd'hui ? Après tout, les Maple Leafs et les Oilers d'Edmonton, les prochaines puissances de la LNH, ont mangé leur pain noir avant d'émerger avec éclat la saison dernière. Cela prouve qu'il s'agit d'une recette gagnante, non ?

La réponse est plus complexe qu'on pourrait le croire. Ces deux clubs n'ont participé aux séries qu'une seule fois de 2006 à 2016, soit en 11 saisons ! C'est donc dire que leurs échecs répétés n'ont pas automatiquement conduit au succès. Ils sont très longtemps demeurés derniers de classe.

Les Oilers, par exemple, ont obtenu le premier choix au repêchage trois années d'affilée, de 2010 à 2012. En théorie, cet atout aurait dû leur permettre de prendre leur envol beaucoup plus tôt. Mais les choses n'ont pas fonctionné ainsi. Et il a fallu un heureux coup du sort pour les sortir du marasme : cette victoire à la loterie leur donnant Connor McDavid en 2015.

Les Maple Leafs ont aussi été favorisés par la chance, ayant obtenu Auston Matthews en 2016.

Parce que choisir au premier rang n'est pas suffisant pour relancer une équipe d'un seul coup. Un talent hors norme doit aussi être disponible, ce qui est l'exception plutôt que la règle.

Ainsi, au printemps dernier, les Devils du New Jersey ont opté pour Nico Hischier en ouverture du repêchage. Voilà un solide joueur. Mais marquera-t-il la LNH à la manière d'un McDavid ou d'un Matthews ? On peut en douter.

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Les fans du CH accepteraient-ils une « reconstruction complète » si l'équipe était exclue des prochaines séries éliminatoires ? C'est facile de répondre oui, mais j'ai mes doutes à ce sujet. Imaginez l'état d'esprit si le CH ratait ce rendez-vous aussi souvent que les Maple Leafs ou les Oilers au cours des dernières années.

Je vois très mal Geoff Molson se lancer dans une aventure semblable, sans assurance qu'elle portera ses fruits. Les Maple Leafs ont plongé après des saisons et des saisons de petite misère, ce qui n'est pas le cas du CH. Et puisqu'il s'agirait d'une opération à haut risque, il faudrait une direction hockey vendue à l'idée.

À Toronto, Brendan Shanahan s'est entouré d'adjoints solides, qui « font la différence ». En peu de temps, les Maple Leafs ont réussi un virage majeur. Mais n'oublions pas que l'acquisition de Matthews, parce qu'il rend tous ses coéquipiers meilleurs, leur permet de brûler les étapes.

À court et à moyen terme, j'ai l'impression que le CH continuera avec son plan actuel : se faufiler en séries éliminatoires et souhaiter un miracle par la suite. L'équipe compte juste assez de bons joueurs, dont un solide gardien, pour entretenir un minimum d'espoir.

Mais peu importe les choix du Canadien, les Maple Leafs tiendront le haut du pavé dans la division Atlantique durant plusieurs saisons. Pour eux, le concept de « reconstruction complète » a payé. On verra la Coupe Stanley dans la rue Yonge bien avant que dans la rue Sherbrooke.