En deux jours, il est devenu un favori de la foule. Son énergie sur le terrain, son sens du spectacle et sa capacité à réussir le gros coup au bon moment séduisent les amateurs. Âgé d'à peine 18 ans, Denis Shapovalov en met plein la vue à la Coupe Rogers.

Quelques minutes après avoir expédié son idole Juan Martín del Potro en deux manches hier après-midi, le jeune Canadien s'est retrouvé en salle de presse. Une mèche rebelle balayant son front, il a répondu avec aplomb aux questions des journalistes. En voilà un qui, à première vue, semble bien équipé pour composer avec les inévitables attentes auxquelles un athlète prometteur est confronté.

« Je joue pour moi et non pas pour ce que les gens peuvent penser de moi, a lancé Shapovalov. Je sais ce que je suis capable de faire. Parfois, je me surprends, comme aujourd'hui ! Mais au bout du compte, c'est un sport. On a de bonnes et de moins bonnes semaines. Il faut trouver en soi la manière de s'accrocher. »

En écoutant Shapovalov s'exprimer avec assurance, je me suis demandé à quoi ressemblerait sa carrière dans trois ou quatre ans. 

Car si le talent est essentiel pour se joindre à l'élite mondiale, d'autres qualités deviennent nécessaires pour demeurer au sommet et s'imposer de manière durable parmi les meilleurs.

L'exemple d'Eugenie Bouchard, qui traverse une période pénible, en est la preuve. En 2014, elle semblait destinée aux plus grands honneurs. Ses succès dans les tournois du Grand Chelem (deux demi-finales et une finale) promettaient un feu d'artifice au cours des années suivantes. Le rêve ne s'est pas concrétisé. Aujourd'hui, en panne sèche de confiance, elle est incapable de retrouver le chemin de la victoire. Ses propos après son élimination dès le premier tour de la Coupe Rogers à Toronto mardi ont donné la mesure de son désarroi.

Ironiquement, sur une publicité affichée cette semaine au stade Uniprix visant à faire la promotion du tournoi de l'an prochain, on aperçoit une photo de Bouchard accompagnée de l'une de ses citations : « La route vers le succès n'est jamais une ligne droite. »

C'est vrai. Mais qui s'attendait à un si long détour ?

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Comment expliquer les ennuis de Bouchard depuis trois ans ? Elle a sans doute cru que demeurer au sommet, un défi redoutable dans tous les sports, serait plus simple que ce ne l'est en réalité. Voilà pourquoi les jeunes athlètes surdoués doivent réaliser l'ampleur du défi à relever.

Tennis Canada, qui accomplit un travail exceptionnel dans le développement de l'élite, devra en tenir compte en aidant Shapovalov et Félix Auger-Aliassime à progresser. Le parcours de Bouchard depuis trois ans rappelle durement les pièges du sport de haut niveau.

Cette semaine, par exemple, Shapovalov joue sur le court central et est porté par l'appui de la foule. Ce ne sera pas le cas durant la suite du calendrier, où il redeviendra un espoir parmi tous les autres. Venus des quatre coins du monde, ses rivaux veulent aussi accomplir leur rêve. Auger-Aliassime et lui rencontreront inévitablement des difficultés.

Comment s'y prendront-ils pour vaincre ces difficultés ? Comment feront-ils leur place dans un univers si concurrentiel ? Comment composeront-ils avec cette arrivée dans la cour des grands ?

Hier, après sa victoire contre Peter Polansky, Roger Federer s'est exprimé à ce sujet. Les propos du grand champion ont été super intéressants.

« Il faut aimer être le centre d'attention, a-t-il dit. Ce n'est pas une mauvaise chose que les gens parlent de toi. Tu peux prendre ça comme quelque chose de positif. Et après, il faut gérer les moments, vouloir jouer sur le central, vouloir jouer contre les meilleurs joueurs, faire ses preuves, ne pas avoir peur de ces moments.

« C'est normal d'être nerveux, c'est normal de se sentir un peu mal à l'aise, tu connais les joueurs pour les avoir vus à la télé et tout à coup, tu es dans le vestiaire et le salon des joueurs avec eux, tu rencontres la presse comme eux. Les choses changent, mais c'est le rêve, ça donne énormément d'énergie et de motivation pour les entraînements.

« L'entourage est aussi très important, la confiance en tes parents, ton entraîneur, tes copains, c'est important d'avoir quelqu'un avec qui parler de ces moments, c'est important aussi d'avoir de bons coéquipiers d'entraînement... »

Federer a aussi évoqué l'importance pour les jeunes de discuter avec leurs aînés, ceux qui sont déjà passés par là. Il a cité les noms de Milos Raonic, Daniel Nestor et Frédéric Niemeyer : « Ça peut aider dans un moment clé de la carrière d'un jeune joueur. »

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Le temps file dans le tennis de haut niveau. Voilà pourquoi les erreurs d'aiguillage sont si coûteuses. Comme l'a rapporté mon collègue Michel Marois hier, Bouchard a fait allusion à ce phénomène cette semaine. « Je suis encore relativement jeune, mais je me sens vieille dans un certain sens, a-t-elle dit. Cela fait plusieurs années déjà que je suis sur le circuit. »

Shapovalov, lui, a noté après son match d'hier combien il avait grandi en 2017. Mais dans son cas, le ton était plus positif. Rappelons-nous : en février dernier, dans un geste de dépit, il avait malencontreusement expédié une balle dans l'oeil de l'arbitre en match de la Coupe Davis.

« Je suis une personne complètement différente d'il y a six mois, a-t-il estimé. C'est plutôt bizarre de dire ça. Mais au tennis, tu es forcé de développer très vite ta maturité. »

Shapovalov a expliqué que son entraîneur Martin Laurendeau et lui travaillaient fort afin d'améliorer l'aspect mental de son jeu. Et il juge que cela a paru cette semaine.

Tant mieux. Car à ce niveau de compétition, la manière d'approcher et de gérer sa carrière fait la différence. Comme le dit Shapovalov avec la candeur de ses 18 ans, il faut trouver en soi les ressources pour s'accrocher. Mais dans les moments très difficiles, comme le constate Bouchard, c'est toujours plus simple à dire qu'à faire. Non, la route vers le succès n'est pas une ligne droite.

Photo Olivier PontBriand, La Presse

Roger Federer affrontait hier le Canadien Peter Polansky, contre qui il l'a facilement emporté.