Ce qui s'est produit hier n'est pas banal.

Un des meilleurs joueurs de hockey au monde, dont la relation avec sa ville d'adoption a parfois été complexe, a choisi de poursuivre l'aventure jusqu'à la fin de sa carrière. Et c'est avec enthousiasme qu'il continuera de défendre les couleurs du Canadien, affirmant que l'idée de porter un autre chandail lui semblerait « trop étrange ».

Qui aurait pensé à cette tournure des évènements au printemps 2013, lorsque Carey Price a expliqué combien l'absence d'anonymat à Montréal lui pesait, à tel point qu'il disait ne plus sortir de chez lui pour faire l'épicerie ?

Qui aurait cru que cet homme si discret, n'ayant aucun goût pour les artifices de la vie de vedette, en vienne à trouver le bonheur dans ce marché fou de hockey, où son rendement est scruté à la loupe jour après jour ?

Bien sûr, l'argent et la sécurité jouent un rôle fondamental dans l'équation. Le Canadien était la seule organisation en mesure de prolonger le contrat de Carey Price dès maintenant. Comment dire non à 84 millions US ?

Mais Price, ne l'oublions pas, aurait pu vouloir profiter de son autonomie dans un an. Sa situation contractuelle serait alors devenue une immense distraction, la pire façon pour une équipe d'amorcer une saison. Marc Bergevin avait d'ailleurs reconnu qu'un problème surgirait si les deux parties n'arrivaient pas à s'entendre cet été. Price et le CH ont plutôt conclu une entente de huit ans dès le début de juillet. Cela témoigne de la solidité de leur relation.

Price envoie ainsi un message percutant aux quatre coins de la LNH. Jouer à Montréal est exigeant, mais l'expérience est fabuleuse. Cette ambiance folle des matchs éliminatoires au Centre Bell efface les désagréments liés à nos hivers interminables ou aux excès de notre passion quasi obsessionnelle pour le hockey.

À une époque où plusieurs joueurs autonomes refusent de jouer à Montréal - Marc Bergevin a répété s'être buté à des refus samedi -, et où des stars préfèrent la discrétion de marchés du sud des États-Unis où le hockey occupe un rôle secondaire, Price illustre que sa conception du sport est celle d'un champion.

Les grands athlètes n'ont jamais craint les gros marchés. Au contraire, ils carburent à cet engouement extraordinaire suscité par leur équipe. Surtout quand ils sentent que les amateurs leur vouent un grand respect.

« La ville de Montréal a toujours bien traité ma famille, a dit Price. Les gens respectent notre espace personnel et nous leur en sommes reconnaissants. »

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Que s'est-il produit pour que Price s'épanouisse enfin à Montréal ? « J'ai vu un changement, reconnaît Bergevin. Et j'utiliserais le mot "maturité" pour l'expliquer. »

À sa façon, Price a plus tard donné raison à son patron. « Avoir une famille et être beaucoup à la maison change ta perspective sur les choses... »

Le nom de Price alimente notre actualité sportive depuis le repêchage de juin 2005. Nous l'avons vu se développer sous nos yeux. Quand il parle des « hauts » et des « bas » de son séjour à Montréal, des évènements nous reviennent spontanément en mémoire : matchs mémorables, blessures au genou...

Au fil de ce parcours, une constance se dégage : les DG du Canadien ont toujours reconnu son talent et misé sur lui pour conduire l'équipe aux grands honneurs. Ce fut le cas de Bob Gainey, qui l'a repêché ; de Pierre Gauthier qui, devant trancher entre Jaroslav Halak et lui, a échangé le Slovaque aux Blues de St. Louis ; et de Bergevin, qui le qualifie de joueur de concession.

Price n'a pas instantanément comblé les attentes. Mais entre juillet 2013 et février 2014, deux évènements clés lui ont permis de franchir l'ultime étape le séparant de l'excellence.

D'abord, l'embauche de Stéphane Waite, une décision majeure de Bergevin. Sous la gouverne de son nouvel entraîneur spécialisé, Price a grandi en confiance.

Ensuite, les Jeux olympiques de Sotchi. Comment oublier l'éclat dans ses yeux lorsque, peu après son arrivée en Russie, il a évalué sur une échelle de 1 à 10 son niveau d'enthousiasme : « C'est au-delà de 10. C'est de l'excitation pure. »

Price a connu un tournoi formidable. Il a compris qu'il avait sa place au sein de cette formidable équipe canadienne. Ses arrêts ont souvent fait pencher la balance. Rentrer au pays la médaille d'or au cou a été la plus belle réussite de sa carrière.

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Au palmarès de Price, déjà marqué par de grands championnats et de nombreux trophées individuels, il ne manque que la Coupe Stanley. Sa décision de rester à Montréal est une marque de confiance envers Marc Bergevin. Il estime que le DG bâtira une équipe capable de se rendre jusqu'au bout.

Cette conviction aura un impact sur l'attitude de l'équipe, dont il est le grand leader. Si Price y croit, les autres lui emboîteront le pas. Tout cela ne rendra pas la tâche plus facile, mais l'optimisme des joueurs sera sans doute plus grand que celui des amateurs à l'ouverture de la prochaine saison.

Cela dit, une question s'impose : à une époque où les meilleures équipes de la LNH sont bâties autour d'un joueur vedette au centre et non pas devant le but, Bergevin devait-il lui accorder pareil gros lot ? Price, après tout, aura 38 ans à la fin de son contrat. En « âge hockey », c'est beaucoup plus vieux que Jonathan Toews ou Patrick Kane, qui ont obtenu un pacte identique en 2014 et qui le compléteront respectivement à l'âge de 35 et 34 ans.

« Dans un monde idéal, on lui aurait donné moins, admet Bergevin. Mais ça fait partie des négociations. Et Carey a encore beaucoup de bon hockey devant lui. »

On aura amplement le temps de discuter de cet enjeu délicat. Mais aujourd'hui, saluons plutôt l'engagement de Price envers Montréal. Le numéro 31 a manifestement le CH tatoué sur le coeur.