Bien sûr que Didier Drogba a commis une erreur. Refuser de se présenter au stade pour un match de son équipe est inadmissible. En agissant ainsi lors de la visite du Toronto FC le 16 octobre, il a fragilisé le lien de confiance avec son employeur. Tout à sa colère, il n'a pas pensé aux fans. Ce ne fut pas le moment le plus glorieux de sa carrière.

Drogba croyait-il que l'organisation camouflerait l'affaire en invoquant une excuse bidon pour justifier son absence? A-t-il été surpris que Mauro Biello, immédiatement après la rencontre, explique avec des mots venus du coeur que son joueur-vedette avait abdiqué devant sa première responsabilité?

Difficile de répondre à cette question. Le principal intéressé se refuse à toute déclaration publique depuis ce temps, se contentant de quelques banalités sur Twitter. Mais on peut croire qu'il n'avait pas anticipé cet élan de transparence du coach, qui a changé la trame narrative de façon draconienne.

Cette fois, la direction n'a pas mis de gants blancs pour lui faire savoir son mécontentement. Rien à voir avec les efforts diplomatiques de janvier dernier pour le convaincre de respecter son contrat plutôt que d'accepter un poste avec l'équipe de Chelsea. L'heure n'était plus aux accommodements raisonnables.

Alors bravo à Biello et à ses patrons, des gens fiers qui se sont tenus debout.

Mais une fois qu'on a dit ça, il reste quoi? Hélas, rien d'autre qu'une situation malheureuse où les gagnants n'ont pas grand-chose à célébrer. Car si l'Impact tombe en vacances ce soir à Washington, la saison se terminera sur un gâchis.

D'où cette question clé: si l'organisation a géré la crise avec succès, est-elle responsable de l'avoir provoquée?

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Une vedette de la dimension de Drogba, l'Impact n'en alignera sans doute plus avant des années: athlète de premier plan, parcours sportif tout en exploits, personnalité attachante, conscience sociale forte, don pour la communication...

Pour un salaire somme toute modeste (quatre fois moins que Sebastian Giovinco du FC Toronto, par exemple), Drogba a métamorphosé l'Impact dès son arrivée à Montréal à l'été 2015. 

Sans être le sauveur de la concession, il a drôlement facilité la vie de Joey Saputo. Alors que l'équipe n'allait nulle part, Drogba est débarqué à l'aéroport Trudeau devant des fans en délire.

Du coup, l'Impact s'est redressé. Son identité sur la scène internationale s'est raffermie, des milliers de Québécois ont réalisé que le soccer de la MLS avait du coffre, les gradins se sont remplis, la vente d'abonnements a enfin décollé... Mieux encore, l'Impact a aligné les victoires et s'est taillé une place en séries éliminatoires. Ce fut le bonheur au stade Saputo jusqu'à la fin de cette belle aventure. Imaginez: au bilan de fin de saison, les dirigeants de l'équipe ont souri. C'était la première fois en quatre ans qu'on voyait ça.

Le mérite de ce succès revient en grande partie à Drogba. Mais aussi à Biello. Nommé entraîneur-chef en vue de la dernière ligne droite, il a accompli un boulot exceptionnel. Qui l'aurait cru? Drogba-Biello, un duo de choc comme l'Impact n'en avait jamais eu!

Mais cette belle complicité s'est éteinte d'un coup. La veille de ce fameux match contre le Toronto FC, Biello a rencontré Drogba après l'entraînement. Il lui a annoncé qu'il ne serait pas du 11 partant, qu'il serait sans doute appelé en relève après l'heure de jeu à l'image d'un match précédent contre San Jose.

Drogba ne l'a pas accepté. Peut-on l'en blâmer? Sans être aussi dominant que l'automne dernier, il demeure un attaquant de premier plan, capable par sa seule présence d'inquiéter la défense adverse. 

C'était potentiellement son dernier match de saison devant les fans montréalais. Bien reposé, il avait sûrement l'intention d'en mettre plein la vue.

Biello en a décidé autrement. Lors de leur rencontre, a-t-il bien expliqué son raisonnement à Drogba? A-t-il cru que son attaquant se rangerait sagement à sa décision?

Et de son côté, Drogba a-t-il seulement essayé de comprendre son patron? Ou, envahi par la déception, s'est-il refermé comme une huître? Nous n'étions pas là, ni vous ni moi, et nous ne le saurons jamais. Mais de voir ces deux gars qui ont tant fait ensemble, qui ont été les principaux responsables de l'émergence de l'Impact en 2015, se retrouver soudainement si loin l'un de l'autre est infiniment regrettable.

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«Mauro, comment est ta relation avec Didier aujourd'hui?»

Une tuque enfoncée sur la tête, le coach de l'Impact brave le vent froid qui, venu du fleuve, balaie le complexe d'entraînement de l'équipe. Nous sommes mardi après-midi, à 48 heures du match où l'Impact jouera sa saison. Quelques minutes plus tôt, le numéro 11 a fait un court jogging pendant que ses coéquipiers tapaient dans le ballon. Biello sait déjà qu'il ne pourra compter sur lui à Washington, ni comme partant ni en relève...

«La relation est correcte, répond-il. C'est sûr que certaines choses sont arrivées. Mais je suis l'entraîneur et je dois prendre des décisions. Et même lui sait qu'il ne peut pas les contrôler. À la fin, on avance.»

Quand je demande à Biello si, près de deux semaines plus tard, il demeure à l'aise avec tout ce qui s'est produit, il fait une pause. Puis, d'un ton tranquille, il dit: «J'ai pris une décision et je vis avec. C'est juste ça.»

Drogba n'a pas annoncé ses intentions en vue de la prochaine saison. Mais on se doute tous qu'à moins d'une super-extra-colossale surprise, il ne reviendra pas à Montréal. Si l'Impact perd ce soir, c'est donc sur cet énorme malentendu que son séjour à Montréal aura pris fin. Comme dernier message de son entraîneur, Drogba aura appris que l'Impact forme une meilleure équipe lorsqu'il cède son poste de partant. Dur et, à mon avis, pas du tout convaincant.

Voilà pourquoi je souhaite une victoire de l'Impact à Washington. Afin d'éviter ce gâchis. Et permettre la tenue d'au moins un autre match au stade Saputo cet automne. Peut-être pour la dernière fois, Drogba et les fans de l'Impact auraient alors la chance de se saluer avec chaleur.