Si Robert Wetenhall et son fils Andrew avaient entièrement confiance en Jacques Chapdelaine, ils n'auraient pas accolé l'étiquette « par intérim » à son nouveau titre d'entraîneur-chef des Alouettes. Et ils n'auraient pas déjà annoncé qu'un « processus d'évaluation » serait bientôt lancé afin de pourvoir le poste de manière permanente en vue de la prochaine saison.

Pour l'instant, Chapdelaine n'a que deux certitudes : il dirigera les Alouettes pour les six dernières rencontres de la saison et sera convié en entrevue, comme d'autres candidats, en vue de la suite des choses.

L'histoire retiendra, hélas, que c'est avec des pincettes, et sans engagement clair pour l'avenir, que l'organisation confie pour la première fois à un francophone la responsabilité de diriger l'équipe. Comme s'il s'agissait d'une rupture si brutale avec le passé que la prudence était absolument de mise.

Ce grand jour pour le football québécois perd donc un peu de son lustre. Chapdelaine se retrouve devant une mission titanesque. Andrew Wetenhall, le fils du propriétaire Robert Wetenhall, a clairement établi son objectif : « Nous voulons participer aux séries cette saison », a-t-il dit, ajoutant que l'équipe actuelle était « très compétitive ».

Vraiment ? Alors comment expliquer cette fiche de trois victoires et neuf revers ? Et cette incapacité quasi chronique de l'offensive à générer des points ? Comme l'impression que la haute direction éprouve des ennuis à analyser objectivement la situation. Et que, malheureusement pour Chapdelaine, elle a déjà ciblé le responsable si le rebond espéré ne se matérialise pas.

Voilà pourquoi on doit souhaiter à Chapdelaine la meilleure des chances. Accepter le poste dans un tel contexte démontre du cran. Les Alouettes auraient dû lui assurer qu'il demeurerait en poste au début de la saison 2017. Tout simplement parce que l'équipe est au fond du baril, minée par ses mauvais résultats et un esprit d'équipe suspect, comme en fait foi la récente altercation entre le quart Rakeem Cato et le receveur Duron Carter.

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En point de presse, Chapdelaine a donné l'impression d'un homme confiant en lui et bien organisé. Tant mieux, parce que sa liste de tâches est impressionnante : relancer l'attaque, créer l'harmonie dans le vestiaire, redonner confiance à l'ensemble du groupe et gérer la déception des autres entraîneurs qui auraient voulu remplacer Popp. Ce n'est pas tout : il doit aussi redorer l'image de l'organisation, entachée par les échecs des dernières années. Lourd mandat, on en conviendra.

Chapdelaine réussira-t-il ? On en aura une première indication le 2 octobre, lorsqu'il dirigera son premier match au stade Percival-Molson contre les Argonauts de Toronto. S'il prépare son équipe avec l'adresse qu'il a montrée en commentant la signification des mots « par intérim » greffés à son titre, les Alouettes seront à surveiller !

« La réalité, c'est qu'on est toujours embauchés par intérim », a-t-il dit avec philosophie, expliquant qu'il entendait saisir l'occasion s'offrant à lui. Pas question de sentir son rayon d'action limité par ces deux mots accrochés à son titre. Dans sa tête, Chapdelaine est convaincu qu'il sera en poste très longtemps.

Pour cela, il devra faire les choses à sa manière et imposer son style. En commençant par exercer un contrôle complet de l'offensive, même s'il risque de faire mal à Anthony Calvillo, une gloire de l'équipe. Si Chapdelaine a été choisi pour succéder à Popp, c'est justement en raison de son expertise en attaque. Son travail sera d'abord jugé là-dessus.

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Sur le plan du football, la nomination de Chapdelaine redonnera espoir aux fans et, espérons-le, aux joueurs. Jim Popp, malgré ses qualités, n'était pas fait pour ce boulot. L'organisation a cependant trop tardé avant de le relever de ses fonctions.

Si Wetenhall père et fils étaient passés à l'action il y a un mois, Chapdelaine aurait profité d'une meilleure marge de manoeuvre. Cela dit, son arrivée aux commandes apporte une bouffée d'air frais. Un entraîneur-chef qui parle français est un atout immense pour tisser des liens avec les amateurs. Il sera mieux branché que ses prédécesseurs sur la perception de l'équipe dans la communauté. Du coup, toute l'organisation profitera d'un meilleur ancrage dans son milieu.

En cas de succès, Chapdelaine gagnera en influence au sein de l'organisation. Il profitera de l'appui massif du public francophone, heureux, avec raison, de le voir accéder à ce poste. Et il pourrait devenir le premier entraîneur-chef des Alouettes à faire consensus depuis Marc Trestman, parti dans la NFL après la saison 2012. 

Au football, personne n'est plus important que le « coach ». C'est autour de lui que tout s'articule.

Une incertitude demeure : quels seront les liens entre Popp et Chapdelaine ? Le DG jouit toujours de l'affection et du respect des Wetenhall. Son avis sur la nomination d'un entraîneur-chef permanent, sans être décisif, sera sûrement pris en considération.

Pour le président des Alouettes, Mark Weightman, la promotion de Chapdelaine est une excellente nouvelle. Coincé entre la famille Wetenhall et Jim Popp, Weightman travaille comme un défoncé pour que l'équipe conserve une place prépondérante dans notre paysage sportif. Il n'a pas reçu beaucoup d'aide au cours des dernières années. La nouvelle d'hier, qui ravive l'intérêt autour des Alouettes, le soulage sûrement.

Alors bon succès, monsieur Chapdelaine ! Et souhaitons que le demi-vote de confiance que vous ont accordé les Wetenhall se transforme en appui plein et entier.