Dans la longue et tumultueuse histoire des relations sportives entre Montréal et Toronto, il s'agit d'une anomalie. Encourager une équipe de la Ville Reine ne fait pas partie de nos gènes. Voilà pourquoi l'intérêt de milliers de Québécois envers les Blue Jays est un phénomène si particulier.

Cet été, j'ai assisté à quelques matchs de l'équipe au Centre Rogers. Ma plus grande surprise: le nombre de francophones du Québec au rendez-vous. Suffit de faire la file devant un comptoir alimentaire ou de visiter la boutique de souvenirs pour le réaliser. On entend souvent parler français. L'évaluation n'a rien de scientifique, mais l'époque où les amateurs d'ici appuyaient en masse les Red Sox de Boston et les Yankees de New York au détriment des Blue Jays semble terminée.

Bien sûr, la valeur du dollar canadien par rapport à la devise américaine explique en partie pourquoi nos passionnés de baseball vont vivre l'expérience des ligues majeures à Toronto plutôt qu'au sud de la frontière. Mais ce changement de cap tient aussi à deux autres facteurs: les succès des Blue Jays sur le terrain depuis deux ans et leur appui remarquable à l'éventuel retour des Expos.

L'an dernier, la poussée des Blue Jays dans la dernière ligne droite du calendrier a servi de prélude à de formidables rencontres éliminatoires. Le retentissant coup de circuit de Jose Bautista dans le cinquième match de la série contre les Rangers du Texas, et la manière dont il a projeté son bâton après avoir complété son élan - le fameux bat flip -, a frappé les imaginations... même à Montréal!

Cette mini-fièvre du baseball n'avait évidemment aucune commune mesure avec celle qui nous ensorcelait parfois à la belle époque des Expos. Mais c'était tout de même une rupture profonde avec l'indifférence des dernières années face aux séries éliminatoires des ligues majeures.

En acceptant de disputer deux matchs pré-saison à Montréal chaque printemps depuis 2014, les Blue Jays ont aussi fait un geste significatif. Sans cette ouverture, on ne parlerait pas du retour possible des Expos. Le succès de ces rencontres a étonné les dirigeants du baseball majeur. Et aujourd'hui, le commissaire Rob Manfred évoque ouvertement Montréal comme candidat à un club de l'expansion.

Résultat, les Blue Jays comptent des milliers de nouveaux partisans à Montréal et partout au Québec. Et ces jours-ci, ceux-ci vivent avec le même désarroi que les gens de Toronto l'inquiétante glissade de l'équipe au classement.

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L'effondrement d'un club en septembre, au moment où ses espoirs de remporter un championnat sont réels, représente un des phénomènes les plus fascinants du baseball.

Tenez, en 1964, les Phillies de Philadelphie détenaient une avance de six matchs et demi au sommet de la Ligue nationale avec 12 rencontres à disputer. Le championnat semblait dans la poche ! Mais une horrible séquence de 10 revers consécutifs a gâché la fête. Cette glissade est à jamais inscrite dans l'histoire sportive de cette ville. Qui était le gérant des Phillies? Gene Mauch, qui deviendra cinq ans plus tard le premier pilote des Expos.

La situation actuelle des Blue Jays n'est pas aussi dramatique. N'empêche que le 31 août dernier, ils menaient la division Est de la Ligue américaine par deux matchs. Depuis ce temps, leur fiche est de 3 victoires et 9 revers. Ils ont ainsi cédé le premier rang aux puissants Red Sox.

Hier après-midi, les Blue Jays ont conclu un difficile séjour à domicile par une défaite de 8-1 face aux Rays de Tampa Bay. Reconnus pour leur force de frappe, ils n'ont cogné que deux coups sûrs.

Le plus grave n'est cependant pas le pointage, mais le fait que l'équipe ait semblé psychologiquement ébranlée lorsque les Rays ont réussi une poussée de trois points en quatrième manche. Comme si la confiance n'y était plus. «On a atteint le fond du baril», a dit le gérant John Gibbons, après la rencontre. «Je ne vois pas comment on peut aller plus bas.»

Depuis le début du mois, les Blue Jays ont perdu de toutes les manières. Leurs lanceurs partants ont connu de gros ennuis, ceux de longue relève aussi. Au même moment, l'attaque a souvent été discrète.

Les blessures font aussi mal aux Blue Jays. Hier, le troisième-but Josh Donaldson, joueur par excellence de la Ligue américaine la saison dernière, a raté un troisième match consécutif en raison d'une hanche endolorie. Ce malaise l'ennuie depuis un certain temps. Avant d'être contraint à l'inactivité, il n'avait réussi aucun coup sûr à ses 23 dernières présences au bâton.

L'absence de Donaldson est significative. Ce gars-là joue avec une énergie incroyable. Rarement vu un tel mélange de talent et de combativité.

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Les Blue Jays amorcent ce soir une série de sept matchs dans l'ouest américain: quatre contre les Angels de Los Angeles et trois contre les Mariners de Seattle. «Ce voyage en dira long sur nos perspectives cette saison», a reconnu John Gibbons, en entrevue à MLB.com.

Si les Blue Jays ne mettent pas fin à leur dérapage et ratent les séries éliminatoires, attendons-nous à du brasse-camarade à Toronto. L'automne dernier, le départ de l'ancien DG Alex Anthopoulos est resté dans la gorge de plusieurs analystes et amateurs. Le Montréalais a eu le courage de quitter son poste plutôt que de perdre son autonomie d'action après l'embauche d'un nouveau président, Mark Shapiro.

Si l'an 1 du règne Shapiro se termine sur un effondrement historique, sa propre crédibilité, comme celle de toute l'organisation, sera durement touchée.