Un dixième de seconde. Moins de temps qu'il n'en faut pour cligner des yeux. C'est par cet écart lilliputien que la nageuse Sandrine Mainville a raté sa qualification au relais en vue des Jeux de Londres en 2012. Sa peine a été immense. Son rêve olympique, alors à portée de main, s'est envolé comme un bout de papier emporté par un vent violent.

Ce fut le premier échec de sa carrière. « Jusque-là, tout marchait, dans le sport comme au plan académique, reconnaît son père, Luc. C'est une fille très volontaire, profondément engagée dans tout ce qu'elle entreprend. »

Sandrine a mis quelques semaines à se remettre du choc, ajoute sa mère, Chantal Bourgoing. « Puis, après un mois, elle nous a dit qu'elle embarquait pour un nouveau cycle de quatre ans. Et on n'a plus entendu parler de sa peine. »

C'était dimanche midi, au Parc olympique de Barra. Pendant que Sandrine, médaille de bronze au cou, accordait des entrevues, ses parents, légèrement en retrait, racontaient avec plaisir son parcours, celui d'une jeune femme de 24 ans ayant transformé le coup dur de 2012 en tremplin pour atteindre ses objectifs.

Samedi soir, avec ses coéquipières Penny Oleksiak, Chantal Van Landeghem et Taylor Ruck, Sandrine a permis au Canada de remporter sa première médaille des Jeux de Rio. 

Le quatuor a terminé au troisième rang de la finale du 4 x 100 m, style libre. C'était la première fois en 28 ans qu'une nageuse québécoise montait sur un podium olympique !

Dans la famille Mainville, qu'on devine puissamment soudée, le sport est une valeur fondamentale. Luc, gestionnaire d'entreprises en sciences de la vie, a été un avironneur de premier plan, obtenant de nombreux records canadiens dans la catégorie des poids légers, à l'époque où cette discipline n'était pas inscrite au programme olympique ; Chantal, responsable aquatique dans un centre sportif, a aussi fait de la natation et, encore récemment, participait à des triathlons.

« On a voulu exposer nos enfants au plus grand nombre de sports possible et les laisser choisir celui qui les intéressait le plus, explique M. Mainville. À l'âge de 11 ans, Sandrine nous a dit qu'elle ne souhaitait plus participer à des sports d'équipe. Elle ne trouvait pas les autres assez motivés ! Elle en voulait un où ce serait elle contre les autres. C'est ainsi qu'elle a choisi la natation. »

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Un dixième de seconde. Ce souvenir est devenu un élément de motivation pour Sandrine. En vue de Rio 2016, elle devait tracer une nouvelle feuille de route, qui lui permettrait d'éviter de revivre pareille déception. Cela a signifié une chose : sortir de sa zone de confort.

Elle a ainsi quitté Montréal et rejoint le Centre d'entraînement de Toronto, dirigé par l'entraîneur britannique Ben Titley. Elle s'est inscrite à des leçons de yoga et de danse, pour améliorer sa flexibilité. Elle a soigné encore davantage sa nutrition. Et elle a mis ses études en droit à l'Université de Montréal largement en suspens.

Au même moment, deux jeunes nageuses canadiennes émergeaient sur la scène nationale. Deux diamants bruts, avec le potentiel de porter la natation canadienne à des nouveaux sommets : Penny Oleksiak et Taylor Ruck. Elles sont grandes, puissantes, et n'ont que 16 ans. Pas facile de lutter contre ces prometteuses athlètes pour obtenir une place au sein de l'équipe olympique.

Comment a composé Sandrine devant cette compétition inattendue ? Avec générosité, rien d'autre. Elle a pris Oleksiak, sa coéquipière d'entraînement, sous son aile. Est devenue sa grande soeur d'un moment. Lui a expliqué pourquoi elle devait accorder beaucoup d'importance à l'alimentation. L'a aidée à faire ses devoirs quand celle-ci venait la saluer après une journée d'école. En retour, Penny a aidé Sandrine à garder son calme dans les minutes précédant une course.

Au bout du compte, Penny s'est qualifiée pour les épreuves individuelles à Rio. Pas Sandrine, même si ses temps étaient de niveau international. Le relais est alors devenu son objectif. Elle a visualisé durant des semaines ce moment où elle obtiendrait une médaille olympique à Rio, s'est convaincue d'y croire. D'y croire à fond.

Alors, quelle fut sa réaction quand le rêve est devenu réalité samedi soir ? « C'est difficile à expliquer, répond-elle, avec un léger sourire. J'étais vraiment contente, comme dans une autre dimension. »

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Un dixième de seconde. Il a fallu quatre ans à Sandrine pour chasser ce mauvais souvenir. « Je me dis que rien n'arrive pour rien. J'ai raté ma qualification pour Londres. Ça signifiait simplement que je devais être encore plus motivée. Aujourd'hui, je suis au bon endroit au bon moment. Je suis à Rio, j'ai fait la finale, j'ai une médaille... La première chose à laquelle je pense, c'est d'avoir rendu mes parents fiers. Je suis contente. »

Sa carrière sportive, Sandrine entend la poursuivre. Mais elle rentrera à Montréal reprendre ses études en droit. L'équipe de natation des Carabins accueillera son retour avec plaisir !

« Je suis vraiment excitée, car il y a longtemps que je n'ai pas été entourée de non-nageurs ! J'ai complété un peu plus du tiers de mon bac. J'aime le droit criminel et le droit de la famille.

- Aimerais-tu plaider devant les tribunaux ?

- Oui ! »

Cette réaction n'étonne pas son père, si impressionné par l'inspirant rebond de sa fille après la déception de 2012. « Sandrine a une opinion sur tout ! », lance-t-il, en riant.

Et, à l'évidence, un caractère d'acier.