Peu après 9h30 hier matin, Roger Taillibert entre dans la rotonde du Stade olympique. Âgé de 90 ans, l'architecte a fière allure: belle chevelure blanche, yeux perçants, écharpe orange autour du cou. À la boutonnière de son complet, il porte l'insigne rouge de commandeur de la Légion d'honneur.

Michel Labrecque mène le petit groupe accueillant M. Taillibert. À l'occasion du 40e anniversaire des Jeux de Montréal, le président de la Régie des installations olympiques (RIO) a eu l'idée de lui faire signer l'oeuvre la plus significative de sa carrière, comme un peintre appose sa griffe sur sa toile.

La signature de M. Taillibert apparaît sur une plaque commémorative qui sera dévoilée dans quelques minutes. On y rend hommage à son «travail exceptionnel» dans la conception des installations olympiques.

«M. Taillibert est aussi un artiste-peintre, me dit M. Labrecque. Ses tableaux sont immenses et magnifiques. Certains ont une dimension figurative et montrent des athlètes en mouvement. De là m'est venue l'idée de lui faire "signer" son Stade, qui est bien plus qu'un bâtiment opérationnel: c'est une oeuvre architecturale.»

En lui présentant le concept, M. Labrecque a expliqué à M. Taillibert les trois thèmes de ce 40e anniversaire.

D'abord, les souvenirs: les bons comme les mauvais, on n'oublie rien.

Ensuite, la réconciliation: oui, les Jeux ont coûté trop cher, mais leur impact sur l'évolution du sport au Québec a été décisif.

Enfin, l'avenir: avec son centre sportif de haut niveau, ses services aux athlètes de l'élite et la réappropriation du site par la population, le Parc olympique a pris un virage bienvenu au cours des dernières années. Un travail immense reste à accomplir, mais la volonté de réussir est manifeste.

***

En m'entretenant avec M. Taillibert après la cérémonie, son amour du sport m'a frappé. Pour lui, le Parc olympique est d'abord et avant tout «une académie du sport». Il constate avec plaisir la «nouvelle vie» du complexe aquatique, mais estime que les choses ne vont pas assez loin.

- Que souhaiteriez-vous?

- Je rêve qu'on enlève les animaux...

La transformation du Vélodrome en Biodôme au début des années 90 a fait mal à M. Taillibert. «On pouvait y faire du tennis, du basket, du volley, du cyclisme, du hockey sur glace, dit-il. C'était un Palais des sports secondaire, et on l'a fermé. Je pense à tous les jeunes qui n'ont pas eu cet outil pour travailler... C'était un élément essentiel, qui faisait partie de l'ensemble.»

M. Taillibert rappelle que les Jeux olympiques de 1976 ont fait découvrir à des millions de Québécois un nouvel univers. Du coup, des structures d'encadrement ont été créées et de jeunes athlètes se sont mis à l'entraînement, rêvant de monter à leur tour sur le podium. Ce fut un énorme changement de mentalité.

«À mon arrivée ici, on ne parlait pas de médailles, dit-il. Vous vous rendez compte du parcours, de tout ce qui s'est passé de l'ouverture de ces Jeux à maintenant? C'est de l'enrichissement humain.» 

«Il faut donner aux hommes l'envie d'aller encore plus loin. Pierre de Coubertin disait que le sport était la rencontre du muscle et de l'esprit. Il n'y a rien de plus fort que ça.»

M. Taillibert ajoute que les jeunes qui font du sport pensent à aller encore plus haut. Et dans une flèche pleine d'humour au Biodôme, il lance: «Le pingouin ne va pas aller plus haut...»

***

Nous avons évidemment parlé du toit du Stade. Sans surprise, M. Taillibert souhaite le retour d'un toit rétractable en kevlar, ce qui n'est pas dans les cartes.

Le dossier de la toiture marque sa vie professionnelle depuis plus de 40 ans. Une réaction entendue lors de la présentation de la maquette du Stade en avril 1972 lui est d'ailleurs est restée en mémoire. En apercevant cette immense toile semblant flotter dans l'air, des gens avaient affirmé qu'il s'agissait d'un stade parachute. «C'est plutôt un Stade s'ouvrant au ciel», tranche-t-il.

En discutant avec M. Taillibert, on comprend à quel point cette différence de perception est fondamentale pour lui. Car ce toit rétractable faisait entrer la lumière qui, dit-il, qui est «notre outil permanent de vie». Il espère le retour de la piste d'athlétisme dans le Stade et suggère que celui-ci soit entièrement illuminé la nuit. «On pourrait jouer avec les couleurs, comme la tour Eiffel. Elle vit en spectacle dans la ville.»

La lumière a aussi pour lui un sens métaphorique. Plus tôt, dans son allocution, il avait rappelé que nous étions le 6 juin, jour du 72e anniversaire du débarquement de Normandie, quand « la lumière » est revenue en France.

M. Taillibert a conçu plusieurs stades et complexes sportifs. C'est à lui que les Parisiens doivent le «nouveau» Parc des Princes, inauguré en 1972. Le mandat lui avait été confié quelques années plus tôt par le général de Gaulle, alors président de la République. «Le général m'avait dit: "Vous me faites un Stade sans poteau, je veux qu'on voie de partout"», raconte-t-il.

Hélas, l'espace n'était pas suffisant pour loger tous les sièges voulus. Le général lui avait alors conseillé de réduire la largeur des sièges: «Mettez plus petit. Ils n'ont qu'à être moins gros!»

***

La facture du Stade olympique, couplée aux dysfonctions de sa toiture, en ont fait l'édifice le plus controversé de l'histoire du Québec. Après le départ des Expos en 2004, beaucoup de citoyens ont douté de son utilité.

Mais depuis quelques années, on sent un retour du balancier. Dans son rapport sur l'avenir du Parc olympique, Lise Bissonnette a utilisé son autorité morale pour repositionner le débat.

«La magnifique oeuvre de l'architecte Roger Taillibert constitue non seulement un patrimoine matériel indubitable, mais ce qu'elle dessine sur notre horizon correspond en tous points à la définition de "paysage culturel patrimonial"», a écrit la première PDG de la Grande Bibliothèque.

Ce jugement a fait plaisir à M. Taillibert. Mais il faudra encore du temps pour que toute la population fasse la paix avec l'héritage olympique, auquel son nom sera toujours étroitement associé. L'événement d'hier fait partie du processus de réconciliation souhaité par la RIO.