C'est un solide direct au visage que Régis Labeaume a assené au Comité international olympique (CIO), jeudi, en annonçant que Québec ne serait pas candidat à l'obtention des Jeux de 2026. En clair, il soutient que les trop nombreux chapeaux portés par des princes du sport international jettent de l'ombre sur le processus de sélection des villes hôtes.

Il faut saluer le culot du maire de Québec. Sa lettre à Thomas Bach, président du CIO, met en lumière un problème de gouvernance: comment expliquer que René Fasel et Gian-Franco Kasper participent à l'éventuelle candidature d'une ville suisse à l'organisation de ces Jeux?

Les deux hommes, membres du CIO depuis plus de 15 ans, président chacun une importante fédération sportive: le hockey sur glace pour Fasel et le ski pour Kasper. Leur réseau de relations est étendu. Fasel, par exemple, a défendu avec zèle la facture des Jeux de Sotchi, de plus de 50 milliards de dollars.

Je l'entends encore, entre deux périodes d'un match du Canadien au Centre Bell à l'automne 2013, tenter de justifier l'injustiable: «Les Russes sont partis de zéro. C'est un investissement pour les 100 prochaines années. Imaginez si aujourd'hui il fallait reconstruire Verbier, Zermatt ou Saint-Moritz...»

Fasel et Kasper sont des citoyens suisses. À ce titre, leur souhait de voir leur pays organiser les Jeux est compréhensible. Mais diriger une grande fédération internationale leur impose un devoir de réserve. C'est encore plus vrai dans la foulée de l'adoption de l'Agenda 2020, un lot de 40 mesures visant à moderniser le mouvement olympique.

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Pour comprendre le développement de jeudi, il faut remonter en mars dernier, un mois avant la visite de M. Labeaume à Lausanne. Le comité olympique helvétique, «Swiss Olympic», lance alors un processus visant à susciter la candidature d'une région du pays aux Jeux d'hiver de 2026, qui intéressent aussi Québec.

Mais attention: «Swiss Olympic» a été échaudé en mars 2013 lorsque la région de Saint-Moritz/Davos a refusé, par référendum, de participer à la course aux Jeux de 2022. La déception a été brutale.

Cette fois, afin d'éviter que «les erreurs commises par le passé» ne soient répétées (ce sont les mots du président de «Swiss Olympic»), les Suisses mettent sur pied un Groupe de travail chargé d'épauler les villes intéressées. En septembre 2017, cette démarche complétée, «Swiss Olympic» choisira la candidate du pays à l'obtention des Jeux.

En apprenant que MM. Fasel et Kasper étaient membres de ce Groupe de travail, le maire de Québec a avalé de travers. Dans sa lettre à M. Bach, il soulève le problème de la descente de ski. Québec, on le sait, devait se montrer imaginatif pour proposer un parcours répondant aux normes de la Fédération internationale présidée par M. Kasper, aucune piste de la région ne répondant aux critères.

«Comment être assurés que notre proposition serait étudiée à sa juste valeur, sans parti pris, et de façon objective? écrit le maire. Toute cette situation crée des doutes, tant pour nous que pour nos concitoyens, sur les chances qu'aurait Québec d'être choisi.»

Avant même de s'envoler pour Lausanne, le mois dernier, M. Labeaume avait été clair: parmi les quatre conditions nécessaires à une éventuelle candidature, il devait être assuré que les chances de Québec d'être choisi étaient réelles. «On n'est pas capables de répondre oui à cette question, alors on arrête», a-t-il tranché.

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Gian-Franco Kasper et René Fasel ne sont pas des amis de Québec. Le premier, au-delà du vernis diplomatique, n'a jamais semblé ouvert à une solution créative pour régler le dossier de la descente.

M. Fasel, lui, avait torpillé la possibilité que Québec accueille un jour les Jeux lors de notre entretien de l'automne 2013. Son ton sans appel m'avait même étonné. À son avis, Vancouver et Calgary étaient des candidatures canadiennes beaucoup plus attrayantes.

Bref, MM. Fasel et Kasper s'annonçaient déjà comme des rivaux féroces de Québec avant même une éventuelle candidature suisse. Le fait qu'ils mettent maintenant leur expérience et leur réseau d'influence au service du Groupe de travail de «Swiss Olympic» vient légitimer les craintes de M. Labeaume.

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La tournure des événements inquiète sûrement Thomas Bach. Il sait que la Suisse doit franchir la redoutable étape du référendum avant de déposer une candidature olympique. Il connaît aussi cette tendance lourde: en plus de Saint-Moritz/Davos, le Non l'a récemment remporté à Munich et Cracovie (Jeux d'hiver de 2022) et à Hambourg (Jeux d'été de 2024).

Bref, si les citoyens suisses font un pied de nez à «Swiss Olympic», où auront lieu les Jeux de 2026? Il est encore tôt dans le processus, mais le désistement de Québec est une mauvaise nouvelle pour le CIO.

Les interrogations soulevées par M. Labeaume dans sa lettre à M. Bach feront sûrement réfléchir le CIO. Dans l'Agenda 2020, une initiative concerne l'éthique. On promet «plus de transparence, de bonne gouvernance et de responsabilité». Manifestement, du travail reste à faire.

Pour convaincre ses concitoyens de Québec d'embarquer dans l'aventure des Jeux, le maire Labeaume devait d'abord croire lui-même au projet. À fond. Comme il a cru à celui du nouvel amphithéâtre. Mais cette fois-ci, ses doutes l'auraient empêché d'être aussi persuasif. Et la population, elle-même très réservée face à l'aventure olympique, l'aurait vite constaté.

Même sans la controverse Kasper-Fasel, le maire Labeaume aurait peut-être fait l'impasse sur les Jeux de 2026. Mais le message qu'il envoie au CIO demeure percutant et nécessaire.