C'est tout de même étonnant, quand on y pense! Au moment où le Québec compose avec l'austérité et où la chute des cours du pétrole ralentit l'économie canadienne, des gens d'affaires et des élus sont tentés comme jamais par l'aventure du sport-spectacle.

À Québec, le groupe Québecor travaille au retour des Nordiques, profitant de la construction du Centre Vidéotron au coût de 400 millions, financée presque entièrement par des fonds publics.

À Montréal, des investisseurs menés par Stephen Bronfman planchent sur la renaissance des Expos. Le maire Denis Coderre, qui rêve d'un nouveau stade au centre-ville, porte le projet avec fougue.

Ce n'est pas tout: lundi, Régis Labeaume sera à Lausanne, où il rencontrera Thomas Bach, le président du Comité international olympique (CIO), afin d'examiner la possibilité de tenir les Jeux d'hiver dans la capitale nationale. Le maire de Québec est encouragé par un récent sondage Léger: 57% des répondants appuient le projet s'il est réalisé conjointement avec une autre ville comme Lake Placid, Calgary ou Vancouver.

En 15 ans, difficile d'imaginer plus énorme changement. Rappelons-nous: en 2001, en désespoir de cause, la brasserie Molson a vendu au rabais le Canadien à l'Américain George Gillett.

«En dépit des rumeurs, nous n'avons pas reçu une seule offre d'entreprise ou de gens d'affaires du Canada et du Québec pour le Canadien et le Centre Molson», expliqua alors Daniel O'Neill, président de Molson.

Dans les médias, le transfert éventuel du CH aux États-Unis était évoqué. Un samedi de février 2001, La Presse publia une manchette coup-de-poing: «Les Montréalais redoutent le départ du Canadien». Selon un sondage, 64 % des répondants croyaient à cette possibilité. Un expert annonçait la fin prochaine du sport professionnel majeur au Québec.

Le ton était un peu alarmiste, mais avouons que la situation n'était pas réjouissante. 

Six ans plus tôt, les Nordiques avaient quitté Québec malgré la présence d'importants groupes québécois parmi les actionnaires, dont l'épicier Metro-Richelieu.

Les Expos, quant à eux, appartenaient au New-Yorkais Jeffrey Loria, aucune société d'ici n'ayant voulu assumer la charge de l'équipe. Et notre dollar valait 66 cents US!

Quant aux Jeux olympiques, la dette du rendez-vous de 1976 à Montréal n'était pas remboursée. Et la ville de Québec demeurait marquée par le choc de 1995, lorsqu'elle n'obtint que sept voix dans sa tentative d'obtenir les Jeux d'hiver de 2002.

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Que s'est-il donc produit pour que la situation, malgré les difficultés de l'économie, soit aujourd'hui si différente? Comment expliquer que nos gens d'affaires et nos élus envisagent maintenant le retour des Nordiques et des Expos et s'intéressent aux Jeux olympiques?

Plusieurs facteurs entrent en jeu. Le plus important réside dans les changements structurels survenus dans le sport-spectacle.

En 2001, par exemple, le hockey n'était pas doté d'un plafond salarial lié aux revenus de l'industrie. L'incertitude à propos des coûts était immense. Aucun mécanisme n'existait pour enrayer leur inflation. Et au baseball, le partage des revenus et la «taxe de luxe» versée par les équipes les plus dépensières n'avaient pas l'impact d'aujourd'hui.

Ensuite, la valeur des droits de télévision a explosé depuis cette époque. La multiplication des chaînes sportives a mené à une concurrence effrénée, au plus grand profit des ligues majeures. Et à une époque où les habitudes d'écoute se transforment, la programmation sportive favorise l'écoute en direct. Cela plaît aux annonceurs.

La LNH a ainsi signé une entente de 5,2 milliards avec Rogers-Sportsnet et TVA, du jamais vu. Sur le plan local, RDS verse aujourd'hui plus d'argent au Canadien pour diffuser 60 matchs de saison régulière que pour les droits sur toutes les rencontres de la LNH, éliminatoires comprises, il y a trois ans.

Au baseball, chaque organisation empoche 50 millions US par année au seul chapitre des droits de télé nationaux. Dans ce contexte, la valeur des équipes grimpe sans cesse.

Au Québec, le pari pris par Geoff Molson et ses frères en 2009 a sûrement modifié les perceptions de leurs collègues de la communauté d'affaires face au sport professionnel.

Lorsque George Gillett a mis le Canadien en vente, plusieurs groupes québécois et canadiens ont mis une ligne à l'eau. Les frères Molson et leurs associés ont présenté la meilleure offre, près de 600 millions. À l'époque, on se demandait si le prix payé n'était pas excessif.

Aujourd'hui, le Canadien et ses composantes sont évalués à plus de 1 milliard. 

En moins de sept ans, Geoff Molson a donné une formidable impulsion à son entreprise, qui occupe le haut du pavé dans l'industrie du sport-spectacle au Québec. Cette croissance ne passe pas inaperçue.

Le dossier des Jeux olympiques est plus délicat. Mais le CIO a aussi revu son plan d'action en adoptant l'Agenda 2020, qui vise à réduire les coûts des villes candidates et organisatrices. Les installations temporaires et les candidatures conjointes sont encouragées.

Bref, il ne sera plus nécessaire de verser des dizaines de millions pour construire une piste de bobsleigh qui ne servira qu'un mois. La compétition pourra être présentée dans une ville en comptant déjà une.

On verra si ces belles intentions se concrétiseront. Les coûts liés à la sécurité demeurent aussi un enjeu majeur. Mais l'approche du CIO a suffisamment évolué pour que le maire Labeaume s'informe plus à fond, ce qu'il n'aurait pas fait il y a deux ans.

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Les Nordiques et les Expos reviendront-ils au Québec? Trop tôt pour le dire. Mais le fait que l'hypothèse est sérieusement envisagée, malgré un taux de change défavorable, est un développement significatif.

En 2001, l'avenir du Canadien suscitait des inquiétudes et les Expos vivotaient. Les deux organisations étaient sous contrôle américain. Personne n'aurait alors prévu que le Québec voudrait de nouveau investir dans le sport professionnel majeur.