Ils auraient dû écouter Thomas Bach.

En octobre 2015, dans la foulée des premières suspensions imposées à Sepp Blatter et Michel Platini, le président du Comité international olympique (CIO) a rompu avec la coutume. Il a donné son avis sur les affaires internes d'une autre institution sportive, la Fédération internationale de football association (FIFA).

«Assez, c'est assez, a tonné Bach. La FIFA devrait s'ouvrir à un candidat présidentiel externe et de haute intégrité qui accomplirait les réformes nécessaires et lui redonnerait stabilité et crédibilité.»

Bien sûr, il n'en a jamais été question ! Malgré les scandales de corruption qui l'assaillent, malgré les arrestations et les accusations criminelles, la FIFA ne souhaite pas faire maison nette en confiant les rênes du pouvoir à un dirigeant n'ayant aucun lien avec le football. Il s'agirait d'une remise en question trop profonde pour un organisme incapable de s'adapter rapidement à de nouvelles réalités.

L'élection d'aujourd'hui, à Zurich, en fournit la preuve. Cinq candidats souhaitent succéder à Blatter, qui semble encore surpris que le ciel lui soit tombé sur la tête. Remarquez que les propos de ses influents partisans favorisent cette légèreté d'esprit. Ainsi, au plus fort de la tempête, Vladimir Poutine a proposé qu'il reçoive le prix Nobel de la paix en guise de couronnement de carrière!

Au moment où vous lirez ces lignes, le nouveau président sera peut-être déjà élu. À moins d'une surprise, il s'agira du Helvético-Italien Gianni Infantino ou du cheikh Salman bin Ebrahim al-Khalifa, membre de la famille royale du Bahreïn. Peu importe le vainqueur, nous ne sommes pas tout à fait dans le renouveau.

Infantino est un pur produit de la machine du football. Il est secrétaire général de l'UEFA, l'organisme chapeautant ce sport en Europe et longtemps dirigé par Michel Platini.

L'ancien international français rêvait lui-même de succéder à Blatter. Mais ses ambitions ont pris fin lorsque ses explications, à propos d'un curieux paiement de 1,8 million d'euros reçu de la FIFA en 2011, n'ont pas convaincu la commission d'éthique.

Son patron hors jeu, Infantino a foncé dans la brèche. Avocat, il parle cinq langues, mais ne possède pas, dit-on, un fort charisme. S'il remporte son pari, peut-être nous surprendra-t-il. Mais même s'il ne travaille pas pour la FIFA, il n'incarne certes pas le fort candidat extérieur souhaité par Thomas Bach, soit une personne capable de porter un regard frais sur l'ensemble des opérations et dotée d'un profil exceptionnel.

photo Patrick B. Kraemer, associated press

Gianni Infantino

Le cas du cheikh Salman, un des huit vice-présidents de la FIFA et grand patron de la Conférence asiatique de football, est beaucoup plus troublant. En 2011, le Bahreïn a violemment réprimé un mouvement de démocratisation dans le pays. Membre de la famille dirigeante, le cheikh a-t-il joué un rôle dans ces assauts contre les manifestants?

Des groupes de défense des droits de la personne souhaitent la tenue d'une enquête afin de savoir s'il a commis des gestes conduisant à l'emprisonnement et la torture d'athlètes bahreïnis, notamment des joueurs de football. Aurait-il, par exemple, contribué à les identifier sur des photos prises durant les événements? Lui-même nie toute implication. «Je n'ai rien à cacher», a-t-il déclaré cette semaine à CNN.

Avant le vote d'aujourd'hui, les délégués devront approuver neuf recommandations visant à redonner du lustre à la FIFA. L'une d'elles concerne le respect des droits de l'homme.

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L'élection d'aujourd'hui suscite un immense intérêt aux quatre coins du monde. Des dizaines de journalistes couvrent l'affaire, tenue dans un amphithéâtre de Zurich.

Depuis plusieurs jours, différents scénarios sont évoqués à propos de l'allure du vote (207 voix au total, soit une par pays membre de la FIFA, sauf le Koweït et l'Indonésie, actuellement suspendus).

Après le premier tour, où une majorité des deux tiers est nécessaire pour être élu, le jeu des alliances se mettra en branle. Les candidats devront réagir vite, car la règle change au second tour: une majorité simple mène à la victoire.

Seul le prince Ali bin al-Hussein, de Jordanie, pourrait surprendre Infantino ou le cheikh Salman. Son nom est connu puisqu'il s'est opposé à Blatter lors de l'élection du printemps dernier. Ce dernier a démissionné quelques jours après avoir vu son mandat reconduit, entraînant ce nouveau scrutin.

En théorie, le nouveau président demeurera en poste moins longtemps que son prédécesseur. Une résolution limitant à 12 ans le séjour à la tête de la FIFA doit être approuvée par les délégués. Sa rémunération complète sera aussi divulguée, tout comme celle du plus haut cercle de dirigeants.

D'autres recommandations visent à briser le système opaque ayant conduit à plusieurs malversations. Dans une entrevue au New York Times, l'Australienne Moya Dodd, qui a participé à l'élaboration de ce plan d'action, a déclaré: «Le but est de répartir le pouvoir à l'intérieur de l'organisation de manière à rendre visible la prise de décisions. Le président aura moins de pouvoirs, mais il devra nous guider dans la bonne direction. Et le travail de tous sera scruté de plus près. Ce sera une grosse différence».

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Les décideurs de la FIFA auraient dû écouter Thomas Bach. Un nouveau président issu de l'extérieur du monde du football aurait envoyé un signal clair de renouveau.

Puisque ce ne sera pas le cas, il faut espérer que l'heureux élu réalise pleinement à quel point l'image de la FIFA est entachée. Il devra être un agent de changement et réparer le système. Le fardeau de la preuve sera sur lui.

PRÉCISION

Dans ma chronique d'hier, j'ai écrit que les soeurs Dufour-Lapointe avaient terminé aux trois premières places d'une compétition qui s'est tenue dans les Laurentides le mois dernier. C'était plutôt dans Lanaudière. Merci aux nombreux lecteurs me l'ayant signalé.

photo Arnd Wiegmann, reuters

Salman bin Ebrahim al-Khalifa