Même si Marc Bergevin brise sa parole et congédie Michel Therrien au cours des prochains jours, cela ne changera rien à l'implacable réalité : la saison du Canadien est fichue. L'objectif, une participation aux séries éliminatoires, est hors de portée même si février n'est pas terminé. C'est dire l'ampleur de l'échec.

En gardant les bras croisés durant cette interminable glissade, en ne brassant pas la sauce pour éviter qu'elle colle au fond du chaudron, Bergevin n'a pas aidé son coach. Voilà pourquoi j'estime excessifs les commentaires acerbes dont Therrien est l'objet. À mon avis, de tous les dirigeants du Canadien, il n'est pas celui ayant connu la moins bonne saison.

Hélas pour lui, la loi du sport professionnel veut que les entraîneurs soient les premiers sacrifiés. Les DG profitent toujours de deux ou trois vies supplémentaires. C'est normal, puisqu'un changement à ce niveau hiérarchique suppose une réorganisation en profondeur d'une équipe. C'est vraiment repartir à zéro.

Le Canadien n'aurait aucun intérêt à emprunter cette voie une deuxième fois en quatre ans. Une seule saison désastreuse n'est pas suffisante pour écorcher le principe de stabilité défendu par Geoff Molson.

Avec un contrat valide jusqu'en 2022, Bergevin profite d'une sécurité exceptionnelle. 

Peu importe les gestes qu'il fera ou ne fera pas dans les prochains mois, il demeurera longtemps à la tête du secteur hockey. À moins de commettre la bêtise d'échanger P.K. Subban, une décision qui reviendrait sûrement le hanter. Le DG devra cependant démontrer sa capacité à redresser la barque. Il lui faudra convaincre les amateurs que son plan n'est pas uniquement basé sur le retour de Carey Price.

Le plus important dossier auquel Bergevin sera confronté concerne l'avenir de Therrien. Jugera-t-il que son entraîneur demeure le mieux placé pour relancer la machine l'automne prochain ? Peut-être. Mais il devra se montrer imaginatif pour justifier ce choix.

Therrien est un entraîneur engagé, avec le coeur à la bonne place. Il n'est pas d'une créativité folle, comme le rappellent les ennuis du jeu de puissance la saison dernière et la glissade actuelle. Et sa capacité à développer des jeunes joueurs n'est certainement pas au-dessus de la moyenne. Mais il bâtit des plans de match cohérents, qui s'inscrivent dans les grandes tendances de la LNH. Il est aussi alerte derrière le banc.

En revanche, des enjeux de type relationnel, combinés au fait qu'il ne peut plus incarner l'espoir, pèsent à mon avis plus lourd.

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Les chiffres ne mentent pas : depuis plus de deux mois, le Canadien compte parmi les pires équipes de la LNH. Et l'absence de Carey Price n'est pas suffisante pour expliquer à elle seule la décroissance au cours des trois dernières saisons : élimination au troisième tour en 2014, au deuxième tour en 2015 et absence des séries en 2016.

Ajoutons à ce triste portrait que plusieurs joueurs, dont le capitaine Max Pacioretty, semblent désabusés. Le rôle de l'entraîneur est de les redynamiser, ce qu'il est manifestement incapable de faire. Comment croire que le seul passage de l'été lui permettra de retrouver toute son influence dans le vestiaire ?

Le plus inquiétant, toutefois, est l'incapacité de Therrien à établir une relation saine avec P.K. Subban. Joueur d'exception à la personnalité flamboyante, le numéro 76 est sûrement difficile à diriger. Mais en compagnie de Carey Price, il a le potentiel de mener le Canadien à la Coupe Stanley.

Depuis quatre ans, Therrien a raté ses chances d'établir un lien de confiance avec Subban. Sa déclaration de mercredi, après l'échec du Canadien au Colorado, l'a éloquemment rappelé. La manière dont l'entraîneur a ciblé son meilleur joueur, lui imputant ce revers contre l'Avalanche, est la marque d'un gouffre profond entre les deux hommes.

Ce n'est d'ailleurs pas la première fois où Therrien agit ainsi. Ce fut aussi le cas après des matchs au Colorado en 2013 et à Philadelphie en 2014. Compte tenu de ce lourd passé, ne nous surprenons pas que Subban n'ait pas été ébranlé par les propos de son coach. Il se doutait sûrement que celui-ci le montrerait du doigt. Mais nous semblons avoir atteint le point où les critiques du coach ne l'atteignent plus.

Le mois dernier, après un match très difficile d'Andrei Markov contre les Bruins de Boston, Therrien l'a défendu avec ardeur. Il a même dénoncé les fans du Canadien l'ayant hué.

Subban, lui, n'a pas droit à cette indulgence, même s'il est un des rares à jouer avec pugnacité. 

Pacioretty, par exemple, n'est jamais blâmé par son entraîneur malgré son jeu mou des dernières semaines. (Le capitaine est d'ailleurs aussi responsable que son coéquipier du but vainqueur de l'Avalanche mercredi, comme une analyse vidéo de NHL.com l'a bien démontré.)

Il est clair que le courant ne passe pas entre Therrien et Subban. Et que Bergevin, qui a sans doute en mémoire ses deux longues et pénibles négociations de contrat avec le défenseur, ne désamorce pas la situation. Or, sans une relation forte unissant la direction à un de ses canons, une équipe peut difficilement prétendre à la victoire finale.

Bizarrement, Carey Price semble être le seul membre de l'organisation capable d'influencer Subban. Cela devrait faire réfléchir Bergevin et Therrien. Savent-ils gérer des vedettes à la personnalité forte ?

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Le Canadien n'est pas seulement une institution et une équipe de hockey. Il est aussi une entreprise commerciale à la recherche de revenus toujours plus élevés.

L'objectif est de jouer à guichets fermés, de remplir les loges d'entreprise, d'augmenter les ventes de chandails et casquettes, et de stimuler les dépenses de restauration. Pour cela, il faut une équipe qui enflamme les imaginations. Les partisans doivent croire leurs favoris capables de gagner souvent et d'offrir un spectacle divertissant.

Susciter l'espoir, c'est le premier défi d'une équipe sportive. Après ces semaines de misère, l'entraîneur ne peut plus incarner des lendemains qui chantent.

Pour toutes ces raisons, je vois mal comment Therrien pourrait amorcer la prochaine saison derrière le banc du Canadien.