En ce matin ensoleillé de juillet 1996, René Angélil a une nouvelle décevante à nous annoncer. «Désolé, Céline repose sa voix aujourd'hui. Elle amorce bientôt une tournée américaine et doit s'y préparer. Elle ne pourra pas accorder d'entrevue.»

Dans le hall d'un hôtel du nord d'Atlanta, Marie-France Bazzo et moi cachons mal notre déception. Nous avions hâte de réaliser cette entrevue avec elle.

Imaginez: la veille, devant des centaines de millions de téléspectateurs aux quatre coins du monde, la chanteuse québécoise a interprété The Power of the Dream durant la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques d'été.

Deux jours plus tôt, René avait placé l'affaire en perspective lorsque je l'avais interrogé à ce sujet. «Atteindre un public aussi vaste, ça dépasse presque l'imagination. Au cours des 30 derniers mois, Céline a vendu 27 millions d'albums. Sa carrière est à son sommet. Mais quand elle s'emparera du micro, la tension la tenaillera. Pour elle et ses compatriotes, sa participation à cette grande fête représente un honneur extraordinaire.»

En écoutant René, j'étais franchement éberlué par la progression de la carrière de Céline. Et impressionné par le rôle de son conjoint dans cette réussite internationale.

Quatre ans plus tôt, j'avais entendu chanter Céline lors d'un autre événement sportif: le match des Étoiles de la LNH, à Philadelphie, où elle avait interprété les hymnes nationaux. Quand je l'avais interviewée après sa performance dynamique, elle avait lancé: «J'y ai mis du Céline!»

Le match des Étoiles de la LNH, c'est très bien. Mais être une tête d'affiche de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques, c'est autre chose. Céline accédait à un niveau hors du commun. Voilà pourquoi Marie-France et moi tenions tant à recueillir ses impressions.

René, conscient de notre désarroi, nous raconte alors comment le couple a vécu cette soirée extraordinaire. Pendant qu'il parle, les portes d'un ascenseur s'ouvrent: à notre grande surprise, Céline en sort, vêtue d'un survêtement aux couleurs de l'équipe canadienne.

De fort belle humeur, elle s'avance vers nous. Puis, sous le regard amusé de René, elle répond à nos questions en articulant des mots sans qu'un seul son sorte de sa bouche. Ses gestes nous aident à comprendre ses propos. Et René nous fournit les clés pour saisir le reste. Pas fameux pour Marie-France avec son micro de Radio-Canada, mais pas trop mal pour moi. La presse écrite a parfois ses avantages!

Plus tard dans la journée, Marie-France devait raconter en ondes, et avec son talent habituel, cette drôle de rencontre. Hier, elle n'avait rien oublié de ce moment unique. «René a été tellement gentil. Il était super protecteur avec Céline, mais il voulait aussi nous aider. Grâce à lui, on a mieux compris ce qu'elle tentait de nous dire.»

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René Angélil était un grand fan du Canadien. L'organisation a bien fait les choses en demandant aux amateurs d'observer un moment de silence à sa mémoire avant le match d'hier. La photo projetée à l'écran a été spécialement envoyée par Aldo Giampaolo, qui gère la carrière de Céline, en fin d'après-midi.

Durant la finale de la Coupe Stanley de 1993 entre les Kings et les Glorieux, j'ai croisé René Angélil au Forum de Los Angeles, entre deux périodes d'un match. Nous avions discuté un moment et sa passion pour l'équipe m'avait marqué. Il vivait à fond toutes les émotions de cette série éliminatoire.

Seize ans plus tard, René s'est joint à Québecor dans l'espoir d'acheter le Canadien, mis en vente par George Gillett. Le groupe de Geoff Molson emporta finalement le morceau.

Si son enthousiasme pour le CH et le golf est bien connu, on sait moins à quel point René Angélil a donné un formidable coup de main aux athlètes québécois de la relève.

L'histoire commence peu après les Jeux olympiques d'Atlanta. Pour recueillir des fonds à leur intention, les dirigeants de la Fondation de l'athlète d'excellence, créée un an plus tôt, ont une idée: demander à Céline Dion de donner un concert.

Sylvie Bernier, médaillée d'or des Jeux de Los Angeles douze ans plus tôt, est chargée de convaincre René. Elle explique la situation à son agent de l'époque, Pierre Lacroix, un bon ami de René. «Appelle-le!», lance simplement Lacroix, en pointant le téléphone sur son bureau.

Sylvie saisit le combiné et compose le numéro. Elle expose le projet à René, expliquant combien l'appui de Céline rendrait un immense service à nos jeunes sportifs. Toujours ému par le souvenir des Jeux d'Atlanta, René tranche en une poignée de secondes: «On embarque!»

En me racontant la suite de l'histoire hier, Sylvie était encore impressionnée. «René me demande ensuite si on a pensé aux droits télé. Ce n'était pas le cas, évidemment! Il me répond: "Je m'en occupe..." et promet de me rappeler. Cinq minutes plus tard, le téléphone sonne: "OK, Sylvie, je viens de les vendre 100 000 $ à TVA..."»

Le spectacle et les revenus de télédiffusion ont permis à la Fondation de toucher 170 000 $, une somme extraordinaire. Ce fut une soirée magnifique, où plusieurs athlètes olympiques grimpèrent sur la scène, profitant ainsi d'une visibilité extraordinaire.

«Alexandre Despatie avait 11 ans, ajoute Sylvie. Il était déjà un grand espoir. On l'a présenté au public en expliquant que c'était pour aider les athlètes de sa génération qu'on souhaitait récolter des fonds. Le fait que Céline et René appuient l'initiative nous a donné beaucoup de crédibilité.»

Aucune médaille n'a été distribuée ce soir-là. Mais dans l'histoire olympique québécoise, ce fut un moment marquant.

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En 2006, Céline a célébré ses 25 ans de carrière. À cette occasion, La Presse a publié un magnifique cahier spécial avec des textes signés Réjean Tremblay.

À cette époque, je dirigeais la rédaction. Et je n'oublierai jamais ceci: quelques jours plus tard, le téléphone de notre graphiste Rachel Hotte, qui avait dessiné les pages, a sonné dans la salle de rédaction. René Angélil était à l'autre bout du fil. «J'ai su que vous aviez travaillé sur ce cahier, lui a-t-il dit de sa voix si singulière. Et je voulais simplement vous dire merci.»

Ce n'est pas tout le monde qui aurait eu cette délicatesse.

Photo Ivanoh Demers, archives La Presse

René Angélil participe au tournoi de golf annuel du Canadien, en 2002.