On peut citer les blessures de Carey Price et de Brendan Gallagher. On peut déplorer les performances en demi-teinte de P.K. Subban et regretter les difficultés de Max Pacioretty à s'imposer comme le véritable leader de l'équipe. On peut aussi remettre en question certaines décisions de Michel Therrien dans l'utilisation de son personnel.

Oui, on peut soulever tous ces arguments pour expliquer le triste rendement du Canadien depuis cinq semaines, et on n'aura pas tort. Tous ces facteurs jouent un rôle dans cette étonnante glissade.

Mais limiter l'analyse au travail de l'entraîneur, au rendement des joueurs ou à l'absence de Price n'est pas suffisant. Tous ces gens ont un patron, qui fait lui aussi partie de l'équipe et qui doit porter sa part de responsabilité.

Au cours des six derniers mois, Marc Bergevin n'a pu donner au Canadien un attaquant de pointe additionnel capable de diversifier l'offensive et de mieux armer les deux premiers trios. Et le Canadien en subit aujourd'hui les contrecoups.

Depuis qu'il a pris les commandes de l'équipe en 2012, c'est sans doute la première fois que le DG tarde à agir. Bien sûr, toutes ses décisions n'ont pas donné les résultats espérés. Mais globalement, le bilan est positif.

Pour poursuivre sur cette lancée, Bergevin devra ajuster son plan. Bâtir de l'intérieur est une excellente idée, mais tout gestionnaire doué sait ajuster sa démarche aux circonstances.

Or, le Canadien a besoin de renfort pour assurer sa place en séries et menacer pour la Coupe Stanley. Et ce sera encore vrai au retour de Carey Price, surtout pour la deuxième partie de l'équation.

Mais d'abord, analysons le travail du DG par tranches semi-annuelles depuis son embauche.

MAI À DÉCEMBRE 2012

L'arrivée du « p'tit gars de Pointe-Saint-Charles » a constitué une bouffée d'air frais. Sa personnalité chaleureuse a réconcilié les fans avec l'organisation.

Bergevin a embauché Michel Therrien et prolongé à bon prix les contrats de Carey Price et Max Pacioretty. Il s'est doté de collaborateurs compétents, donnant ainsi une impulsion au secteur hockey. À la reprise des activités après le lock-out qui a retardé la saison, le Canadien était une organisation transformée.

JANVIER À JUIN 2013

En voyant ce Canadien revigoré conclure la saison au deuxième rang de l'Association de l'Est, il était difficile de croire que le club était en queue de peloton un an plus tôt. L'équipe s'est extirpée du trou profond dans lequel elle était tombée sous le régime précédent, une belle réussite.

Les séries éliminatoires contre les Sénateurs d'Ottawa n'ont pas été un succès. Mais plusieurs blessures ont ralenti le Canadien. Peu importe, la page était tournée et l'avenir s'annonçait brillant.

JUILLET À DÉCEMBRE 2013

Comme mon collègue Marc Antoine Godin l'a récemment souligné, Bergevin a réussi un de ses meilleurs coups durant cette période. Il a embauché Stéphane Waite, l'entraîneur de gardiens de but réputé. Carey Price avait besoin de ce tonique pour exploiter au maximum son talent. Le DG a ainsi posé un jalon essentiel de la splendide saison qui a suivi.

JANVIER À JUIN 2014

L'échange amenant Dale Weise à Montréal en retour de Raphael Diaz a été un coup de génie. Puis, au moment où le Canadien semblait s'essouffler à la date limite des transactions, Bergevin a porté un grand coup en obtenant l'attaquant Thomas Vanek. Il a ainsi montré à ses joueurs sa confiance en l'équipe. L'arrivée du gros ailier a dynamisé les troupes.

En séries, malgré le ralentissement de Vanek, le Canadien a étonné, atteignant la demi-finale de la Coupe Stanley. Et si Carey Price n'avait pas été blessé, l'équipe aurait peut-être disputé la finale. Bref, une grande saison !

JUILLET À DÉCEMBRE 2014

Bergevin a bien joué ses cartes durant cette période, même si Geoff Molson a dû lui donner un coup de main dans le dossier du renouvellement de contrat de P.K. Subban.

En novembre, coup sur coup, il s'est délesté de deux contrats encore valides pour une autre année, ceux de Travis Moen et de Rene Bourque. Le DG a ainsi gagné de la latitude sous le plafond salarial en vue de la saison suivante. Quelques jours plus tard, il prolongeait de six ans l'entente de Brendan Gallagher, une bonne affaire.

JANVIER À JUIN 2015

Encore une fois, Bergevin a été proactif à la date limite des transactions. L'acquisition du défenseur Jeff Petry a été significative, d'autant qu'il a ensuite signé un contrat de six saisons. Le DG a aussi obtenu Brian Flynn et Torrey Mitchell, toujours utiles à l'équipe.

En séries éliminatoires, le Canadien a cependant été éliminé en deuxième ronde. Les difficultés à inscrire des buts ont coûté cher contre le Lightning de Tampa Bay. Soudainement, le Canadien a semblé une équipe fragile. Cette saison, après un départ canon et malgré le beau rendement de plusieurs joueurs de soutien, on constate le même problème. Le signal est inquiétant.

JUILLET À DÉCEMBRE 2015

Cet été, pendant que plusieurs équipes s'activaient, le Canadien est demeuré en retrait. Au bout du compte, Bergevin s'est procuré deux billets de loterie (Alexander Semin et Zack Kassian) qui ne lui ont pas valu le gros lot. Les deux sont déjà partis. Oui, le Canadien a obtenu Tomas Fleischmann et Paul Byron. Mais leur contribution demeure nichée.

En sport d'équipe professionnel, le succès passe généralement par un heureux brassage de quelques cartes de saison en saison. Le défi d'un DG est de réussir le coup malgré les clauses de non-échange et les contraintes liées au plafond salarial, lorsqu'elles s'appliquent. Les clubs qui ne relèvent pas ce défi voient leur progression ralentie. Le Canadien affronte aujourd'hui cette situation.

CONCLUSION

Dans ces circonstances, je ne suis pas prêt à attribuer à Michel Therrien les difficultés actuelles. L'entraîneur dirige les joueurs qu'il a sous la main. Bien sûr, le Canadien sera plus solide au retour de Price. Néanmoins, l'équipe a besoin d'aide... et je ne parle pas de celle venant de la Ligue américaine. On le savait dès l'été dernier, mais on l'attend toujours.

La bonne nouvelle, c'est que Bergevin ressemble à P.K. Subban : il excelle en deuxième moitié de saison, comme ses transactions des hivers 2014 et 2015 le démontrent. Attendons-nous donc à du mouvement avant longtemps.

L'Allier et les Nordiques

Jean-Paul L'Allier, mort cette semaine, ne croyait pas au hockey professionnel comme outil de développement économique. Voilà pourquoi il ne s'est jamais battu pour la construction d'un nouveau Colisée au début des années 90, un projet alors défendu par les propriétaires des Nordiques.

Peu avant le départ des Bleus pour le Colorado, je l'avais interviewé à son bureau de l'hôtel de ville de Québec. « Le brassage économique, c'est une chose. Les retombées, c'en est une autre. Il s'agit d'argent frais qui reste dans la région, m'avait-il dit.

« Par exemple, on peut établir les retombées d'un centre des congrès. Mais les Nordiques, ça crée combien d'emplois ? Et de quelle qualité ? Combien d'argent vient de l'extérieur et reste dans la région ? Bien sûr, les Nordiques sont vus à travers l'Amérique. Mais est-ce que des entreprises ont investi chez nous pour cette raison ? »

À cette époque, quelques chroniqueurs sportifs influents avaient fait de M. L'Allier leur cible de prédilection. Sans l'appui du maire, croyaient-ils, il devenait doublement difficile de convaincre le gouvernement Parizeau de financer un nouvel édifice.

La vérité, c'est que la nouvelle convention collective de la LNH, signée en janvier 1995 après un lock-out de trois mois, avait sonné le glas pour les Nordiques en ne prévoyant aucun mécanisme limitant la hausse exceptionnelle des salaires. « Nous avons cédé », avait d'ailleurs déclaré Marcel Aubut, en commentant la réaction des « petits marchés » à cette entente.

C'est bien la seule fois que Jean-Paul L'Allier a partagé l'opinion de l'ancien président des Nordiques. « Le problème, c'est le contrôle des coûts, m'avait expliqué le maire. En décrétant un lock-out l'automne dernier, la Ligue nationale l'a admis. Elle a ensuite démissionné devant les demandes de ses joueurs. »

Dix années ont passé avant l'instauration d'un plafond salarial dans la LNH. L'analyse de Jean-Paul L'Allier, partagée par les véritables décideurs du gouvernement Parizeau, était donc juste.

Dans toute cette affaire, l'ancien maire de Québec a cependant commis une erreur. Il n'a pas pris en compte l'attachement émotif des citoyens de sa ville pour les Nordiques. Il en a fait un dossier purement financier et n'a proposé aucune solution de rechange.

Pour un politicien de son expérience, ce manque d'empathie a été regrettable. Et cela explique pourquoi son rôle dans la vente des Bleus a été jugé plus sévèrement que celui du gouvernement Parizeau, auteur d'une piste de solution temporaire, mais rejetée par les Nordiques.