Il y a deux façons d'analyser la décision d'Eugenie Bouchard de poursuivre les dirigeants du tennis américain après sa commotion cérébrale de septembre dernier, subie dans les vestiaires de Flushing Meadows.

On peut d'abord saluer son courage. S'attaquer à une institution puissante comme l'Association de tennis des États-Unis (USTA) demande une confiance en soi absolue. Les joueurs de tennis professionnels sont des athlètes exceptionnels, mais ils auraient souvent eu avantage à défendre plus vigoureusement leurs droits.

Ainsi, il a fallu une menace de boycott de l'Omnium d'Australie de 2013 avant que les dirigeants de ces quatre grands rendez-vous augmentent les bourses de manière significative. Résultat, en 2015, les champions de l'Omnium américain, Novak Djokovic et Flavia Pennetta, ont touché 3,3 millions US chacun, soit 1,4 million de plus que les vainqueurs de 2012. Les joueurs éliminés en cours de compétition ont aussi reçu des sommes majorées. En trois ans, les bourses ont bondi de 67%!

Cette progression a néanmoins pris du temps. Sous cet angle, la poursuite de Bouchard est une preuve de culot. En mettant son poing sur la table pour obtenir justice, elle met de l'avant son caractère volontaire.

Mais la médaille a un autre côté. Déposer un recours juridique contre les têtes dirigeantes de son sport n'est pas la meilleure façon d'obtenir l'estime des instances décisionnelles. La jeune Québécoise se fait sans doute quelques ennemis au sein de ce groupe à la mémoire longue.

De la même manière, les promoteurs des autres tournois ne sont sûrement pas emballés par son initiative. Ce précédent pourrait inciter d'autres athlètes à l'imiter en cas de préjudice réel ou ressenti.

Le tennis, comme tous les sports professionnels, est un milieu tricoté serré. Comment réagiront les commanditaires de Bouchard, surtout ceux qui brassent de grosses affaires dans le tennis comme Nike ou Babolat? Salueront-ils son audace?

Et que pense vraiment de l'affaire la WTA, l'Association des joueuses professionnelles, qui entretient des liens étroits avec la USTA? Sera-t-elle aussi enthousiaste à l'idée de faire de Bouchard une tête d'affiche? Les réponses à ces questions ne sont pas claires.

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Vendredi dernier, la USTA a répondu à la requête déposée par Bouchard devant un tribunal new-yorkais. L'argumentaire ne fait pas dans la dentelle.

En clair, on lui reproche d'avoir été l'artisane de ses propres malheurs en ne respectant pas les protocoles usuels. Elle se serait ainsi rendue dans la salle de physiothérapie sans autorisation ou accompagnement d'une personne autorisée. Elle aurait refusé de l'aide médicale après l'événement, quittant plutôt les lieux.

La USTA, sans fournir plus de détails, soutient ensuite que si Bouchard a subi de réels dommages, «la négligence de tierces parties que la plaignante n'a pas identifiées dans son recours en justice» serait aussi en cause.

Comme Bouchard, la USTA demande un procès devant jury. C'est donc dire que l'Association ne craint pas, face à des citoyens, d'être cantonnée dans le rôle de «méchante organisation» ayant manqué à ses devoirs envers une jeune et populaire athlète. On peut donc croire qu'elle estime sa défense solide.

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Mais voilà: y aura-t-il procès? Bouchard souhaite à l'évidence un règlement à l'amiable, même si son avocat Benedict Morelli a déjà affirmé être disposé à se rendre devant le tribunal.

Un procès obligerait Bouchard à démontrer les pertes financières encourues en raison de son absence du jeu, notamment sur le plan des commandites. Pour cela, il lui faudrait sans doute déposer tous ses contrats publicitaires et répondre à des questions précises sur le sujet.

Plus tôt cette semaine, à ESPN.com, Morelli a révélé la réaction de Bouchard, après avoir pris connaissance de la réplique de la USTA: «Ils sont très agressifs avec moi», lui a-t-elle dit.

En effet. Mais Bouchard aurait tort de s'en étonner. Le mois dernier, Morelli a déclaré au New York Times que le dédommagement exigé pourrait atteindre «des millions et des millions». Dans les circonstances, il est clair que la USTA se montrera combative.

Un exemple: la défense utilise les messages de Bouchard sur les réseaux sociaux pour étoffer son dossier. «La plaignante affirme avoir subi des blessures permanentes et persistantes encore aujourd'hui, mais cette affirmation est incohérente avec ce qu'elle laisse voir sur les médias sociaux et ses commentaires publics.»

Cet automne, Bouchard a publicisé certaines de ses sorties dans les médias sociaux. La USTA suggère que des messages semblables seraient déposés en preuve.

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Bouchard entreprendra une saison clé de sa carrière en janvier prochain. Si elle est encore trop jeune pour qu'il s'agisse d'une année de vérité, elle doit néanmoins rebondir après ses ennuis de 2015. Mais cette poursuite constituera une immense distraction.

C'est triste à dire. Mais si la USTA veut véritablement jouer dur, elle étirera l'affaire et refusera de négocier jusqu'à l'approche du procès. Cette stratégie est cependant risquée, puisque Bouchard pourrait ultimement convaincre le jury de son bon droit et toucher, comme son avocat l'espère, beaucoup d'argent.

Peu importe la tournure des événements, Bouchard éprouvera sans doute des ennuis à se concentrer entièrement sur le tennis tant que ce dossier demeurera en suspens. Cela compliquera son début de saison, qui s'annonçait déjà difficile.