Samedi, 15h. Les informations donnent la chair de poule. Comme celle-ci, qui s'est précisée tout au long du week-end: si deux kamikazes avaient franchi les portes du Stade de France vendredi, le bilan de la tragédie aurait été encore plus grave.

Peu après le début du match de soccer entre l'Allemagne et la France, ces terroristes, portant une veste bourrée d'explosifs, ont sans doute voulu pénétrer dans l'enceinte. Incapables de mettre leur plan à exécution, ils se sont ensuite donné la mort à cinq minutes d'intervalle en actionnant la mise à feu. On ose à peine imaginer les conséquences si la détonation s'était produite dans le Stade: d'autres victimes innocentes, la panique, une ruée vers les sorties...

Depuis l'attentat aux Jeux olympiques de Munich en 1972, le sport mondial fait face aux enjeux de sécurité. En 1996, aux Jeux d'Atlanta, une bombe a explosé au parc du Centenaire, un endroit de fête au centre-ville. Et le marathon de Boston a été la cible d'une terrible attaque en 2013.

Tous ces événements ont conduit au resserrement des contrôles. Mais l'horreur survenue à Paris alourdit encore ce considérable défi: assurer la sécurité des participants et des spectateurs dans une salle de concert ou un amphithéâtre sportif, sans les transformer en camp retranché.

Jamais encore la France n'avait été la cible d'attaques kamikazes. Jamais encore n'avait-on vu une tuerie comme celle du Bataclan, avec des tueurs qui forcent les portes durant un spectacle et abattent des gens.

Les attaques du 11 septembre 2001 ont changé à jamais les mesures de sécurité dans les aéroports; celles du 13 novembre 2015 modifieront sans doute de la même façon l'accès aux spectacles et aux grands matchs.

Déjà, les ligues professionnelles ont demandé à leurs équipes d'augmenter la vigilance. Les fouilles des spectateurs seront plus serrées et l'accès aux stades, mieux gardé. Tout le monde devra s'adapter, organisateurs et spectateurs.

La barbarie de vendredi pose aussi un problème majeur aux grands rendez-vous internationaux, comme les Jeux olympiques, la Coupe du monde de soccer ou l'Euro. Les coûts associés aux mesures de sécurité, déjà immenses, augmenteront encore.

Imaginez: à Londres, en 2012, la facture a atteint près de 2 milliards de dollars, une somme largement supérieure au budget initial. Combien de temps encore les gouvernements occidentaux accepteront-ils d'investir autant d'argent à ce seul chapitre pour des événements de si courte durée?

La France sera paradoxalement la première à vivre la réalité de l'après 13 novembre 2015. Du 10 juin au 10 juillet prochains, elle accueillera l'Euro, le plus important tournoi de soccer après la Coupe du monde.

De Paris à Marseille, il faudra sécuriser les stades de 10 villes, ainsi que les aéroports, les gares ferroviaires et d'autres installations. Après le drame de vendredi, combien de millions d'euros supplémentaires devront être consacrés à l'opération? Et comment conserver une ambiance festive dans les circonstances?

Dans une entrevue publiée dans Le Parisien samedi, Jacques Lambert, le président du comité organisateur, a déclaré: «Ma principale préoccupation est d'offrir le niveau de sécurité maximal. Si ça doit passer par des mesures moins conviviales, tant pis. Ce qui m'importe, c'est que les gens rentrent chez eux sains et saufs.»

Le Comité international olympique (CIO) n'est pas en reste. Cinq villes ont soumis leur candidature à l'organisation des Jeux d'été de 2024: Paris, Rome, Hambourg, Budapest et Los Angeles. Demeureront-elles aussi enthousiastes à l'idée d'accueillir des milliers d'athlètes et de visiteurs? Les contribuables de tous ces pays accepteront-ils d'acquitter les frais liés à la sécurité?

Et qui souhaitera présenter les Jeux d'hiver de 2026? Au grand désarroi du CIO, seuls le Kazakhstan et la Chine ont misé sur ceux de 2022, attribués à Pékin l'été dernier. Le coût déjà immense des Jeux, combiné à leur impact sur l'environnement, avait rebuté plusieurs villes: Québec, Oslo, Davos-Saint-Moritz, Munich, Cracovie...

Inquiet de cette désaffection, le CIO a adopté des mesures pour favoriser le développement durable et alléger la note. Ces initiatives sont trop modestes pour compenser l'inflation galopante des coûts de sécurité. Et quelle ville aura le goût de se transformer en bunker?

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Samedi, 19h. Au Centre Bell, avant le match du Canadien, 21 000 personnes observent un silence complet à la mémoire des victimes des tueries. Le drapeau tricolore illumine la patinoire. Puis, la musique de La Marseillaise retentit dans l'enceinte. Les paroles viennent en tête: «Allons, enfants de la Patrie, le jour de gloire est arrivé...»

Impossible de réprimer un frisson. Le sport n'est jamais plus beau qu'en rassemblant ainsi les gens dans un formidable élan de solidarité.

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Samedi 23h30. Un dernier coup d'oeil aux nouvelles du jour: 129 morts, 352 blessés, dont 99 «en état d'urgence absolue». Le bilan s'alourdira.

Je pense à tous ces jeunes qui étaient si heureux d'assister à un concert au Bataclan. Je pense à toutes ces vies fauchées. Je pense à tous ces parents qui espéraient recevoir ce message rassurant de leur enfant: «Oui, je suis en vie, papa, oui, je suis en vie, maman...»

Combien ne l'ont pas reçu? Combien ont éclaté en sanglots après des heures d'attente en comprenant qu'ils n'entendraient plus jamais la voix de leur fille ou leur garçon?

Tout cela est d'une tristesse infinie.