Dans un scénario idéal, la LNH ferait une croix sur son projet d'expansion, mais accorderait tout de même une équipe à Québec et Las Vegas. Comment? En relocalisant deux canards boiteux, les Panthers de la Floride et les Hurricanes de la Caroline.

Les aspects positifs d'un tel plan seraient nombreux. Du point de vue sportif, on ne diluerait pas le produit, inévitable conséquence de l'ajout de 50 joueurs. On éviterait aussi de créer des équipes condamnées à la médiocrité pendant quelques saisons, un élément néfaste pour la compétition.

Côté affaires, remplacer deux concessions tributaires du partage des revenus par d'autres établies dans des marchés prometteurs serait un atout. Les revenus globaux de la LNH seraient en hausse, notamment en raison du nombre de billets vendus. Dans le cas de Québec, les droits locaux de télévision seraient très supérieurs à ceux touchés par les Panthers et les Hurricanes.

Autre avantage: le nombre d'équipes n'augmentant pas, chaque propriétaire toucherait la même part des revenus nationaux (1/30).

Bien sûr, cette approche priverait la LNH d'une jolie somme, 1 milliard en revenus d'expansion, soit 500 millions par équipe (tous les montants cités dans cette chronique sont en dollars US). Mais le circuit pourrait néanmoins empocher beaucoup d'argent.

Comment? En imposant des frais de transfert aux deux groupes intéressés: Québecor dans la capitale nationale, et le consortium de Bill Foley à Las Vegas. Ce fut le cas lorsque les Thrashers d'Atlanta ont déménagé à Winnipeg au printemps 2011, une transaction de 170 millions ventilée ainsi, selon plusieurs médias: 110 millions pour l'équipe et 60 millions en prime de relocalisation.

Dans son dernier classement, le magazine Forbes établit la valeur des Hurricanes à 220 millions et celle des Panthers à 190 millions. Bien sûr, ces deux clubs vaudraient beaucoup plus cher dans des marchés porteurs comme ceux de Québec et de Las Vegas.

Voilà pourquoi leur achat nécessiterait un montant largement supérieur, sans doute 400 millions. Ce chiffre ne sort pas d'un chapeau. Peter Karmanos, le proprio des Hurricanes, l'a publiquement évoqué, l'an dernier, laissant entendre que c'est sur cette base qu'il souhaitait vendre une partie de ses actions dans l'équipe.

Si Québecor et Bill Foley sont prêts à verser 500 millions pour une équipe de l'expansion qui ratera les séries éliminatoires durant plusieurs saisons, combien paieraient-ils pour un club établi comptant des joueurs aguerris et des espoirs doués?

Allongeraient-ils 100 millions de plus pour s'épargner des années de petite misère et profiter d'une chance réelle de menacer pour la Coupe Stanley dans un délai raisonnable?

Si la réponse est oui, imaginons cette hypothèse, juste pour le plaisir de la discussion: Québec et Las Vegas paieraient chacun leur équipe 400 millions et verseraient à la LNH une prime de transfert de 200 millions.

Ainsi, le circuit empocherait 400 millions en frais de relocalisation. Non, ce n'est pas 1 milliard. Mais les 28 autres organisations toucheraient chacune une ristourne de 14 millions, tout en ne diluant pas leur part des revenus nationaux. Pas une méchante affaire.

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À n'en pas douter, ce scénario consoliderait la LNH. Mais les chances qu'il se matérialise sont nulles. Le circuit veut garder ses équipes en place. Et pas seulement les concessions américaines. Rappelons-nous combien Gary Bettman s'est investi dans le dossier du nouvel amphithéâtre d'Edmonton, pièce maîtresse de la survie des Oilers.

Les efforts actuels du commissaire pour aider les Panthers à obtenir une subvention de 86 millions du comté de Broward, une initiative en voie de réalisation, s'accordent avec sa démarche des dernières années. Cette injection de fonds donnera de l'air à la concession pendant trois ou quatre saisons, les versements annuels étant plus importants au début de l'entente.

Les Hurricanes constituent aussi une équipe fragile. Peter Karmanos n'a pas trouvé d'investisseur disposé à une prise de participation dans l'équipe, qui attire de petites foules: une moyenne de 9900 spectateurs à leurs cinq derniers matchs locaux. La situation est à peine meilleure en Floride: 12 200 amateurs.

Ces deux clubs ne contribueront pas de sitôt à la bonne santé financière du circuit. Établis dans des régions où la popularité du hockey est mince, ils demeureront les maillons faibles de la chaîne.

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On sent la LNH tiraillée à propos de l'expansion. L'appel de candidatures pour identifier des villes intéressées à une équipe n'a pas produit les résultats attendus. Québec et Las Vegas ont été les seules à se manifester. La surenchère espérée avec Seattle et la banlieue de Toronto, qui aurait pu gonfler le prix d'une nouvelle concession, n'a pas eu lieu.

La LNH savait que cette tournure des événements était possible. Elle a néanmoins lancé un processus officiel d'expansion. Ce n'est pas seulement pour le plaisir.

Si le dossier avance lentement, c'est peut-être parce que certains proprios sont plus difficiles à convaincre. L'étonnante sortie de Jeremy Jacobs, il y a quelques semaines, n'était certes pas due au hasard. Comme si le proprio des Bruins de Boston avait voulu manifester ses craintes avant que le train ne roule trop vite.

Mais au bout du compte, et malgré la prudence de Gary Bettman à ce sujet au début de la semaine, la LNH est sûrement fascinée par le pactole lié à l'expansion. Un milliard, ça parle fort! Voilà pourquoi je crois toujours aux chances de Québec et Las Vegas.