Ce rapport est d'une franchise brutale. Sa lecture nous entraîne dans les méandres d'un dopage systémique, toléré sinon encouragé par l'État russe, et où la corruption est une pratique courante.

Dans cet univers aux valeurs tordues, un sportif souhaitant rester «propre» est condamné. S'il refuse de se doper, il perd pratiquement ses chances d'être membre de l'équipe nationale d'athlétisme.

Alors, pourquoi refuser? Après tout, lui répète-t-on, ses rivaux de tous les pays s'entraînent aussi de manière illicite. Dans ce contexte, le dopage est non seulement une «nécessité de compétition», il devient «peut-être même une obligation patriotique».

Servir l'État en se dopant! Ce n'est pas banal, tout de même. Dans ces 323 pages pleines de dynamite, cet extrait m'a particulièrement frappé. Cette construction idéologique permet de justifier tous les dérapages. Notamment la participation à l'affaire du FSB, le Service de sécurité de la Fédération de Russie.

Dans les années ayant suivi l'éclatement de l'URSS, le FSB a succédé au KGB, la sinistre police du pays. Or, pendant les Jeux olympiques de Sotchi, à l'hiver 2014, des membres du FSB étaient présents dans le laboratoire antidopage. Impossible dans ces circonstances de travailler de manière indépendante.

«L'impartialité, le jugement et l'intégrité du Laboratoire ont été compromis par la surveillance du FSB durant les Jeux», indique le rapport, un phénomène qui s'est poursuivi par la suite et qui a constitué de «l'intimidation directe».

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Si cette commission d'enquête a vu le jour, c'est grâce à du journalisme d'enquête de premier ordre. Le scandale a éclaté l'an dernier, après les révélations d'une chaîne de télé allemande concernant l'athlétisme russe. L'Agence mondiale antidopage (AMA) a alors demandé à Richard Pound de présider une commission d'enquête indépendante. Le résultat est un travail exceptionnel, mené par un homme libre de toute attache.

En raison de son expérience, l'avocat montréalais sait très bien que la lutte contre le dopage est un éternel recommencement. Après les Jeux olympiques de 2012, il avait déclaré: «Nous avons effectué 6000 tests à Londres et n'avons pris que quelques athlètes qui auraient sans doute aussi échoué à un test d'intelligence...»

Cette fois, il rappelle combien le problème du dopage est étendu, même si son mandat se limitait à l'athlétisme russe: «La Russie n'est pas le seul pays - et l'athlétisme, pas le seul sport - faisant face au problème du dopage orchestré dans le sport.»

En clair, les tricheurs ont une longueur d'avance sur les enquêteurs. Le rapport soutient d'ailleurs que des recherches sont en cours en Russie afin de créer de nouveaux produits dopants indétectables.

On peut s'en désoler, bien sûr. Mais l'important est de continuer à traquer les tricheurs. Les succès, parfois lents à venir, demeurent réels. En cyclisme, Lance Armstrong a été déchu de ses sept victoires au Tour de France; au baseball, des joueurs-vedettes n'ont pas été élus au Temple de la renommée; et des champions olympiques ont perdu des médailles remportées plusieurs années plus tôt...

Cela dit, pour optimiser la lutte contre le dopage, il faudra du culot. Richard Pound et son groupe mettent d'ailleurs au défi l'AMA, l'organisme qui leur a confié cette enquête, de mettre en vigueur toutes les recommandations de leur rapport.

Cela signifie, entre autres, interdire aux représentants russes de participer aux compétitions internationales d'athlétisme aussi longtemps que leur pays n'aura pas assuré l'indépendance et le bon fonctionnement de son programme antidopage.

En bon avocat, Richard Pound sait que cette proposition se butera à une objection: des athlètes «innocents» feront injustement les frais de cette interdiction. Le rapport réplique à cet argument d'un vigoureux coup de plume, rappelant que la présence des tricheurs en compétition punit déjà les concurrents honorables: «Les athlètes "innocents", en Russie et partout dans le monde, souffrent déjà en raison de la conduite identifiée dans ce rapport: ils ont besoin de protection.»

Si des sportifs sont exclus de compétitions, ajoute-t-on avec raison, ce ne sera pas en raison du rapport. La responsabilité en incombera plutôt à ceux qui ont permis cette culture du dopage.

Du coup, la commission balaie les arguments selon lesquels la Fédération internationale d'athlétisme est trop importante pour être tenue responsable, ou que la Russie est un trop grand pays pour être punie. «C'est précisément parce qu'ils sont si importants que les sanctions doivent être proportionnelles au sérieux de ce qui leur est reproché.»

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En commentant le rapport lundi, le Comité international olympique (CIO) a évoqué un «véritable séisme». On verra comment Thomas Bach, le président de l'organisme, précisera sa pensée au cours des prochains jours. Durant les Jeux de Sotchi, il a multiplié les hommages à Vladimir Poutine et au gouvernement russe.

Récemment, Bach s'est montré incisif à l'endroit du scandale touchant la Fédération internationale de soccer (FIFA). Le sera-t-il autant cette fois-ci?

Et comment réagira Sebastian Coe, le nouveau président de la Fédération internationale d'athlétisme? Le rapport rappelle combien la nouvelle direction semble adopter la même approche de communication que l'ancienne administration, c'est-à-dire défendre l'institution plutôt que d'affronter le problème. Cela, avouons-le, n'est guère prometteur.

Richard Pound navigue dans l'olympisme depuis des dizaines d'années. Mais malgré son curriculum vitae remarquable, il n'avait encore jamais frappé aussi fort. Ce rapport interpelle avec force tous les dirigeants du sport international.