Au Centre sportif de l'Université de Montréal, le bureau de Danny Maciocia donne directement sur le terrain de football. Par la vaste fenêtre, au-delà des gradins appuyés contre la montagne, des dizaines d'arbres brillent sous le soleil de cette magnifique journée d'automne.

En m'indiquant un siège, l'entraîneur-chef des Carabins lance en riant: «La vue est tout de même plus belle qu'au sous-sol du Stade olympique!»

Voilà, la glace est brisée. Car Maciocia sait très bien pourquoi j'ai voulu le rencontrer après son point de presse en vue du match éliminatoire de demain entre les Carabins et le Vert&Or de l'Université de Sherbrooke. Ma question est celle que lui posent tous les amateurs de football qu'il croise dans la rue: aimerait-il diriger les Alouettes?

Le sujet lui est donc familier, comme le démontre sa blague à propos du sous-sol du Stade olympique, où l'entraîneur des Alouettes a ses quartiers. Mais l'enjeu demeure délicat. Après tout, ni les Alouettes ni les Carabins n'ont terminé leur saison.

Mais on sait cependant ceci: les Oiseaux connaissent une saison misérable et leur crédibilité est au plus bas. Les nombreux changements d'entraîneur depuis le départ de Marc Trestman, combinés à cette quête éperdue d'un quart-arrière crédible, ont miné la confiance des fans.

Le redressement des Alouettes passe-t-il vraiment par le DG et entraîneur Jim Popp, dont le bilan des dernières années est décevant? On peut certainement en douter.

Maciocia connaît très bien les gens des Alouettes. Et il est un homme poli. Alors sa réponse à la question est empreinte de diplomatie: «Ils ont téléphoné dans le passé et j'ai accepté l'appel. Je le ferais de nouveau. Mais à l'heure actuelle, j'ai un des meilleurs postes d'entraîneur de football au Canada.»

En approfondissant la discussion avec Maciocia, on comprend qu'il ne quitterait pas l'Université de Montréal sur un coup de tête. Parce qu'il est un homme loyal. Parce que son boulot actuel le comble. Et parce que son mode de vie actuel lui plaît.

Ce qui ne veut pas dire, comprenons-nous bien, que mener l'équipe de sa ville à la conquête de la Coupe Grey ne le fait pas parfois rêver. C'était fantastique de réussir l'exploit à Edmonton en 2005. Ce serait encore mieux à Montréal. Et il le sait très bien. Cette perspective ferait aussi partie de l'équation.

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Pour bien comprendre à quelle enseigne loge Maciocia en cette fin d'année 2015, il faut éviter les raccourcis. Et bien tracer son parcours depuis que sa mère, pour son plus grand bien, l'a congédié de l'entreprise familiale à ses débuts sur le marché du travail. Non, la carrière de courtier en assurances n'était pas un avenir stimulant pour ce jeune homme passionné de football.

En 1996, grâce à une intervention de Jacques Dussault, Maciocia obtient un poste avec les Alouettes. Un travail bénévole, certes, mais emballant pour un jeune entraîneur. Il se rougit les yeux 14 heures par jour à analyser les vidéos des équipes adverses. Son travail est apprécié au point qu'on l'invite à accompagner l'équipe à l'étranger, un signe prometteur dans ce milieu.

Deux ans plus tard, son mandat bonifié, Maciocia touche enfin un salaire: 27 000 $ par année. Il est fou comme un balai. Son épouse Sandra, en revanche, n'est pas impressionnée: «C'est tout ce que le football professionnel peut t'offir?»

Heureusement pour la maisonnée, Maciocia gravit les étapes et son revenu augmente. Mais lorsque Don Mathews devient entraîneur des Alouettes avant la saison 2002, il choisit une autre direction. Il n'a rien contre l'homme, mais ses valeurs sont différentes. Jacques Dussault, entre-temps devenu entraîneur-chef des Carabins, lui offre le poste de coordonnateur offensif. Il signe une entente de cinq ans.

Trois mois plus tard, coup de théâtre! Les Eskimos d'Edmonton, l'équipe phare de la Ligue canadienne, lui offrent un poste identique. Maciocia est déchiré. Hugh Campbell, le grand manitou de l'organisation et une légende du football au pays, insiste. Maciocia accepte finalement la proposition. Seul ennui: son contrat avec l'UdeM prévoit une pénalité de 40 000 $ en cas de résiliation.

Manon Simard, directrice du sport d'excellence de l'établissement, lui dit de ne pas se faire de souci, un geste qu'il n'oubliera jamais. Et Maciocia déménage en Alberta, où il connaît des succès retentissants.

Mais toute bonne chose a une fin. Devenu DG des Eskimos, Maciocia est congédié durant la saison 2010. Il décide alors de rentrer à Montréal. Son frère Tony est mort d'un cancer fulgurant quelques mois plus tôt, laissant dans le deuil sa conjointe et deux jeunes enfants. Dans une conversation peu avant sa mort, Tony a demandé à Danny de veiller sur les siens. Ses parents, profondément affectés par la mort de leur fils, ont aussi besoin de soutien.

De retour au Québec, Maciocia retourne avec les Carabins, cette fois à titre d'entraîneur-chef. Aux jeunes joueurs qu'il recrute en vue de sa première saison à la barre, il fait cette promesse: «Je serai à vos côtés durant tout votre séjour au sein de l'équipe.»

En clair, quoi que prévoient les clauses de son contrat, Maciocia s'engage moralement pour cinq ans. Durant cette période, d'autres équipes s'intéressent à lui. Un jour, il s'en ouvre au secondeur Byron Archambault, lui demandant comment il réagirait s'il poursuivait sa carrière ailleurs. Le jeune homme lui dit de faire ce qui est le mieux pour sa carrière. Mais Maciocia se sent mal à l'aise. Pas question de renier sa parole. Et à l'automne 2014, il mène les Carabins au championnat universitaire canadien. Sa loyauté est récompensée.

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Les Alouettes ont besoin de Danny Maciocia. Cet entraîneur québécois est respecté et compétent. Lui seul peut devenir le nouveau visage de l'organisation et retisser un lien émotif avec les fans. Mais pourquoi quitterait-il un poste en or, où il possède les pleins pouvoirs des opérations football, pour l'incertitude des Alouettes?

Bien sûr, la Ligue canadienne, malgré ses ratés, demeure plus importante que le circuit universitaire. (Cela dit, les installations des Carabins sont de meilleure qualité que celles des Alouettes.) Mais Maciocia n'est pas à la recherche d'un emploi. Il sait très bien que si jamais il quittait son poste, plusieurs entraîneurs reconnus cogneraient à la porte dans l'espoir de le remplacer.

Les Alouettes pourraient-ils convaincre Maciocia de faire le saut? Il faudrait d'abord savoir s'ils en ont le goût ou s'ils s'accommodent de la petite misère des dernières saisons.

Chose certaine, pas besoin d'être devin pour comprendre que les Alouettes devraient offrir à Maciocia des responsabilités étendues et un contrat de longue durée pour attirer son attention. C'est déjà son lot à l'U de M. Pourquoi changer pour moins? D'autant qu'au sous-sol du Stade olympique, la vue n'est pas terrible...