Ce jour-là de mai 1995, Jacques Parizeau en a ras le bol.

Après une allocution devant un organisme culturel à Montréal, le premier ministre avoue son exaspération face à l'ampleur prise par le dossier des Nordiques. Pas moyen d'aborder un seul enjeu, qu'il s'agisse de finances publiques, de soins de santé ou de culture, sans que les journalistes n'évoquent l'avenir de la concession.

«De toute façon, ce qui intéresse le monde, c'est de dire: "Est-ce que vous pouvez nous donner un scoop quant aux négociations avec les Nordiques?" Je viens de faire une conférence et cette conférence va être flushée comme mes deux dernières sont disparues dans la brume à cause de l'état des discussions avec les Nordiques!»

La colère de M. Parizeau est compréhensible. Le feuilleton à propos des Fleurdelisés alimente le débat depuis plusieurs semaines. Le gouvernement du Québec, qui prépare un référendum sur la souveraineté, saisit la portée de l'affaire: s'il est vu comme le responsable du déménagement des Nordiques aux États-Unis, cela pourrait lui coûter une partie de son capital de sympathie dans la capitale nationale.

En revanche, pas question de signer le chèque en blanc exigé par les propriétaires de l'équipe, Marcel Aubut en tête. Ils veulent l'ouverture d'un casino dont les profits serviraient à construire un nouvel amphithéâtre et à éponger les pertes de l'équipe. «Des demandes ahurissantes», a lancé le premier ministre, lorsqu'il en a pris connaissance.

Le dossier est si sensible que M. Parizeau en confie la gestion à son chef de cabinet, Jean Royer. Mais les perspectives d'un accord s'évaporent rapidement.

«Ce que les Nordiques nous demandent, c'est une pompe branchée sur le fonds consolidé de la province», lance M. Royer, face à l'intransigeance des propriétaires de l'équipe. À partir de là, l'affaire est entendue. Et le 25 mai, les Nordiques deviennent l'Avalanche du Colorado. La belle aventure de la LNH à Québec est terminée.

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Jacques Parizeau avait plusieurs intérêts dans la vie. Mais, à l'image de plusieurs premiers ministres du Québec, le sport n'était pas de ceux-là. Seule la passion de Maurice Duplessis pour le baseball (il allait voir des matchs aux États-Unis) et le hockey (il assistait à de nombreuses rencontres du Canadien au Forum) est bien documentée.

Il est donc ironique de constater à quel point le sort des Nordiques a marqué une partie du séjour de M. Parizeau aux commandes de l'État. Sans surprise, cet économiste de talent avait vite décodé la LNH de l'époque: «L'industrie du hockey n'est pas un modèle et est gérée de façon effrayante.»

À l'automne 1994, nouvellement nommé correspondant parlementaire de La Presse à Québec, j'avais posé ma première question à M. Parizeau à propos de l'avenir des Nordiques.

Sa conférence de presse portait sur des enjeux économiques majeurs et je me demandais comment il accueillerait mon intervention. À mon étonnement, il m'avait fourni une réponse étoffée, illustrant le sérieux avec lequel le gouvernement examinait la question.

M. Parizeau ne se doutait sûrement pas des proportions que le débat prendrait au cours des mois suivants. Un jour de ce fameux printemps 1995, il alla prononcer une conférence devant plus de 200 économistes au Manoir du Lac Delage, en banlieue de Québec. À peine était-il descendu de sa limousine que les journalistes foncèrent vers lui. En les apercevant, il lança, un sourire amusé au visage: «Laissez-moi deviner: vous voulez me parler des Nordiques!»

Durant ces semaines un peu folles, M. Parizeau assista à un match entre le Canadien et les Nordiques au Colisée, sa femme Lisette Lapointe endossant le chandail numéro 26 jadis porté par Peter Stastny. Ce soir-là, il donna une entrevue aux Amateurs de sports, une émission radiophonique alors animée par Pierre Trudel et Mario Tremblay.

C'est à leur micro qu'il annonça la nomination d'un «négociateur» dont le mandat serait de soumettre l'offre gouvernementale aux Nordiques. L'initiative fut mal accueillie par Marcel Aubut, qui y vit plutôt une manière de briser le lien direct entre Jean Royer et lui.

Au bout du compte, c'est à l'Assemblée nationale que Jacques Parizeau fit le bilan des pourparlers de son gouvernement avec les Nordiques. «Nous avions le devoir d'essayer. Nous avons maintenant celui de conclure.»

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Le vingtième anniversaire du départ des Nordiques, le mois dernier, a relancé le débat: qui est véritablement responsable de leur départ? Marcel Aubut et ses coactionnaires? Le gouvernement du Québec? L'ancien maire de la capitale Jean-Paul L'Allier?

Je répéterai ici ce que j'ai écrit dans mon livre Le Colisée contre le Forum, publié en 2012, et qui inspire en grande partie cette chronique. Le coup décisif fut porté le 12 janvier 1995, lorsqu'un lock-out de 103 jours prit fin dans la LNH.

Hélas pour les clubs établis dans les petits marchés, le concept de plafond salarial qui aurait assuré leur avenir, et auquel ils tenaient mordicus, n'a pas été adopté. À partir de ce jour, les chances de sauver ces équipes, dont les Nordiques, devinrent minuscules.

Un an après le départ des Bleus pour le Colarado, les Jets de Winnipeg déménagèrent à Phoenix. Puis, ce fut au tour des Whalers de Hartford de s'établir en Caroline-du-Nord. Des quatre modestes marchés ayant atteint la LNH grâce à la fusion entre la LNH et l'Association mondiale de hockey en 1979, un seul survécut à cette ère d'inflation galopante dans les salaires des joueurs: Edmonton.

Jacques Parizeau, qui est mort lundi, ne s'était pas trompé: à cette époque, le hockey était bel et bien géré de façon effrayante.