Les athlètes ambitieux carburent aux occasions semblables: marquer l'histoire de leur équipe. Lorsqu'on porte le chandail du Canadien, avouons que le défi est immense. Quel exploit, en effet, reste-t-il à accomplir?

Remporter la Coupe Stanley quatre fois d'affilée? Désolé, c'est fait. Cinq, alors? Eh non, le Rocket et sa bande ont réglé ce dossier à la fin des années 50! Gagner 60 matchs en une saison? Hélas, le coup a été réussi. Arracher dix victoires en prolongation en séries éliminatoires? Trop tard, Patrick Roy et ses coéquipiers ont déjà emprunté ce chemin.

Non, si un joueur rêve d'écrire une nouvelle page de l'histoire de son club, ses chances sont meilleures à Nashville ou à Columbus, où des actes héroïques sont attendus avec impatience.

Voilà pourquoi la situation actuelle est si unique: le Canadien, le club le plus titré du hockey professionnel, n'a jamais comblé un déficit de trois matchs à zéro. Ce coup de force est une des rares terres inexplorées de son histoire. Dix fois, il en a eu la chance; dix fois, il a échoué, même s'il alignait des joueurs comme Maurice Richard en 1952, Jean Béliveau en 1963 et Patrick Roy en 1992.

Bien sûr, pour se retrouver dans cette situation, il faut avoir perdu les trois premiers affrontements d'une série éliminatoire, un fait beaucoup moins glorieux. En amorçant ainsi sa série contre le Lightning de Tampa Bay, le Canadien a gonflé le moral de ses adversaires et ébranlé la confiance de ses fans.

Ces deux réactions sont compréhensibles. À preuve, depuis la fondation de la Ligue nationale, à peine quatre équipes se sont extirpées de ce gouffre et arraché la victoire finale en plus de 175 occasions.

À l'image des Maple Leafs de Toronto en 1942, des Islanders de New York en 1975, des Flyers de Philadelphie en 2010 et des Kings de Los Angeles en 2014, le Canadien peut-il réussir le coup? La réponse dépend de deux types d'éléments: ceux liés au hockey proprement dit et d'autres relevant de l'attitude.

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D'abord, l'aspect hockey. Le Canadien aligne deux joueurs dominants, Carey Price et P.K. Subban. Ils ont été des acteurs-clés de la victoire de samedi, qui a provoqué la tenue d'un sixième match, ce soir, au Amalie Arena.

L'arrêt de Price aux dépens de Valtteri Filppula en troisième période, lorsqu'il a fait dévier la rondelle de sa mitaine à la suite d'un jeu parfait du Lightning, est sûrement entré dans la tête de ses rivaux. Cette séquence n'a duré qu'une seconde, mais ses effets sont potentiellement ravageurs.

Pourquoi? Parce que même s'ils ont marqué un but par la suite, les joueurs du Lightning ont compris à ce moment que l'évaluation de Price ne relève pas du mythe: il est réellement formidable.

Price aime les instants dramatiques. En février 2014, à Sotchi, il a prouvé sa capacité à composer avec une pression fulgurante. Aujourd'hui, tous les fans du Canadien ont les yeux rivés sur lui; mais aux Olympiques, c'étaient les amateurs de tout le pays.

Rappelez-vous: avant les Jeux, un sondage avait démontré que pour l'immense majorité des citoyens, le succès du Canada en Russie se mesurerait à un élément: le rendement de l'équipe de hockey masculine. Il faut des nerfs d'acier pour être le gardien d'un club envers qui les attentes étaient si élevées.

Résultat, Price n'a accordé qu'un seul but dans les matchs combinés de quart de finale, demi-finale et finale. Ah! mais il comptait sur de formidables défenseurs, dites-vous? C'est vrai. Mais après les Jeux, ces gars-là ont expliqué combien le calme de Price devant son filet avait été un élément fondamental de leur conquête de la médaille d'or.

Et puis, il y a P.K. Subban. En plus de disputer un fort match samedi, il a réussi le jeu magique menant au but vainqueur de Pierre-Alexandre Parenteau. Sa feinte et sa passe étaient la marque d'un athlète d'exception.

Subban est un des meilleurs joueurs de la LNH. Notamment parce qu'il est très performant lorsque l'enjeu est immense. C'est une qualité rare. Souvenez-vous de sa performance contre les Bruins de Boston le printemps dernier. Les séries éliminatoires l'animent de façon exceptionnelle.

Le Lightning aligne de très bons joueurs: Steve Stamkos, Tyler Johnson, Victor Hedman, Ben Bishop... Mais j'ai beau chercher, je ne vois pas de Price ou de Subban au sein de ce groupe.

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Ensuite, il y a l'attitude. Et c'est à ce niveau que le Canadien surprend le plus. Comme plusieurs observateurs, j'ai fait un trait sur les chances du Canadien lorsque le Lightning a pris les devants trois matchs à zéro, mercredi dernier. Et, en effet, peut-être que le Canadien se retrouvera en vacances dès ce soir.

En revanche, je n'avais pas prévu le rebond actuel. Mon erreur aura été de sous-évaluer la force du leadership de quelques joueurs. Price et Subban, bien sûr, mais aussi Max Pacioretty. Et lorsque celui-ci a expliqué que les gars avaient trop de «fun» pour se séparer dès maintenant en vue de l'été, ces mots n'étaient pas pour la galerie.

Pierre-Alexandre Parenteau a répété la même chose après la victoire de samedi. Tout cela m'a rappelé ce commentaire de Price à mon collègue Marc Antoine Godin en mars dernier: «J'aime me rendre à l'aréna et jouer avec ce groupe de gars là. Je ne pense pas avoir déjà eu autant de fun à jouer.»

J'ignore si le Lightning est aussi soudé. Son noyau dur n'est pas réuni depuis aussi longtemps que celui du Canadien. Ces nombreuses saisons à se côtoyer, dans un sport où les changements sont si fréquents, ont permis à ses membres de se connaître parfaitement. Aujourd'hui, ils sont solidaires jusqu'au bout.

L'expérience en séries est un autre facteur favorisant le Canadien. Les joueurs tirent profit de leur parcours du printemps dernier, où ils ont atteint la demi-finale de la Coupe Stanley et évité trois fois l'élimination.

Et puisque Price était blessé lorsqu'ils ont finalement baissé pavillon devant les Rangers de New York, la confiance demeure absolue. Ils n'ont pas perdu avec leur gardien numéro un. Dans leur tête, cette question ne s'effacera jamais: quel aurait été le résultat s'il avait été présent? Cela aussi a un impact sur leur attitude.

Le Lightning, éliminé dès la ronde initiale l'an dernier, ne possède pas cet atout. Et ses jeunes joueurs, malgré leur talent, éprouveront peut-être des ennuis à gérer la pression ce soir.

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Bon, tout cela signifie-t-il que le Canadien remportera le match de ce soir et ensuite celui de jeudi? Pas sûr! Le Lightning amorcera la rencontre en lion devant ses partisans. Il conserve son statut de favori. Et les ennuis des joueurs de Michel Therrien à marquer des buts demeurent réels.

Cela dit, j'aime la manière dont le Canadien a préparé ce match en s'envolant vers Tampa dès dimanche. Dans la LNH d'aujourd'hui, la mode n'est plus aux «retraites fermées», durant lesquelles les joueurs étaient confinés à un hôtel, même la veille des affrontements à domicile. Marc Bergevin a néanmoins regroupé tout son monde 48 heures avant ce duel déterminant.

La décision n'est pas anodine: le mois dernier, le DG m'a expliqué combien, à son avis, une équipe profite d'avantages lorsqu'elle est en déplacement pour une rencontre-clé: «Tu restes à l'hôtel, t'es focusé...»

Bergevin évoquait alors un septième match. Mais l'enjeu est le même pour le Canadien ce soir: une défaite et la saison est terminée.

Provoquer la tenue d'une rencontre décisive serait une formidable réalisation pour le Canadien. Imaginez l'ambiance au Centre Bell, jeudi!

S'ils remportent les deux prochains matchs et sortent vainqueurs de cette série après avoir comblé un déficit pareil, Carey Price, P.K. Subban, Max Pacioretty et leurs coéquipiers écriront une nouvelle page de l'histoire du Canadien. Une réalisation peu banale.

Personne ne sait s'ils réussiront. En revanche, une chose est sûre: ils en ont le potentiel.

Une sanction bizarre

La durée de la suspension imposée à Tom Brady repose sur une logique bizarre.

Si ses actions constituent vraiment «une conduite préjudiciable à l'intégrité et à la confiance du public envers le football professionnel», comme l'écrit le circuit dans sa décision, alors pourquoi lui imposer une sanction aussi mince?

Quatre matchs de suspension, ce n'est même pas assez pour mettre véritablement en danger les chances des Patriots de se qualifier pour les séries éliminatoires. Quant à l'amende de 1 million, c'est une tape sur les doigts pour une organisation aussi riche. La perte de deux choix de repêchage est significative, mais un seul est de premier tour.

Ne pas respecter l'intégrité du jeu est une accusation grave. Si la NFL est convaincue que Brady a mal agi et qu'il a sciemment transgressé le règlement au point de miner la confiance du public, il aurait dû être suspendu plus longtemps. De la même façon, si elle juge son offense peu importante puisqu'elle touche un règlement mineur, alors pourquoi le suspendre et ne pas se contenter de le mettre à l'amende?

En sport, l'intégrité ne se mesure pas au poids, comme le fait la NFL dans ce dossier. La Ligue s'est montrée beaucoup plus sévère dans le dossier des «primes contre blessures», sordide histoire dans laquelle les Saints de La Nouvelle-Orleans ont baigné en 2011. L'entraîneur-chef Sean Payton a été suspendu une saison complète.

Dans ce cas-ci, la NFL a plutôt coupé la poire en deux. Sa stratégie, peu convaincante, est simple à comprendre: on satisfait ceux qui réclamaient une suspension, mais on impose une sanction assez douce pour la rendre acceptable aux yeux de ceux n'en voyant pas l'utilité. Elle est davantage inspirée par le calcul politique que par le leadership.

Brady portera la sanction en appel, selon son agent Don Yee. Cela dit, son héritage est entaché. Mais vous savez quoi? Je ne parierais pas contre ses chances de mener de nouveau les siens au Super Bowl la saison prochaine.