La réussite est fabuleuse. Pour la deuxième année de suite, près de 100 000 personnes auront assisté à deux matchs d'avant-saison des Blue Jays de Toronto au Stade olympique. Qui aurait pu prévoir pareil scénario?

Du coup, le rêve du retour des Expos devient plus sérieux. Au point que, plus tôt cette semaine, le commissaire Rob Manfred a donné le plan de match aux Montréalais.

«Je ne demande pas aux gens de bâtir un stade sans aucune sorte d'engagement quant à l'obtention d'une équipe, a-t-il dit à La Presse Canadienne. Mais je crois que ça prend un plan et un engagement ferme en ce sens.»

Cette déclaration n'était pas spontanée. L'entrevue de Manfred avec mon collègue Frédéric Daigle était prévue depuis des jours et le commissaire a eu amplement le temps de préparer son message. 

En termes clairs, le baseball majeur accepterait que les nouveaux Expos évoluent deux ou trois saisons au Stade olympique pendant la construction d'un nouveau stade. En soi intéressante, la nouvelle illustre surtout l'intérêt grandissant du commissaire pour Montréal.

Disons-le tout net: qui aurait cru cela possible il y a trois ans à peine? Le chemin parcouru en un si court laps de temps est immense. Montréal a retrouvé sa crédibilité auprès du baseball majeur. L'interminable agonie des Expos est oubliée.

Cette première étape achevée, il faut maintenant aborder la deuxième, qui permettra de statuer sur un enjeu crucial: le succès de ces matchs d'avant-saison des Blue Jays est-il un phénomène circonstanciel ou une tendance de fond?

***

Montréal, on le sait, est une ville d'événements. Tenez, à sa première saison en Major League Soccer, l'Impact a attiré à deux reprises 60 000 spectateurs au Stade olympique. Ce succès ne s'est pas traduit par une ruée aux guichets par la suite. L'équipe n'a jamais vendu le nombre espéré d'abonnements saisonniers. Et les assistances ont été décevantes au stade Saputo, l'an dernier, au point que Joey Saputo a poussé un cri d'alarme.

Le baseball majeur ferait-il mieux? À mon avis, oui. Mais encore faut-il le prouver. Le Stade olympique était quasi désert durant les dernières saisons des Expos. Les raisons de bouder l'équipe étaient nombreuses: grève de 1994, joueurs bradés, chicanes de propriétaires, Jeffrey Loria... Mais le départ de l'équipe a eu une conséquence néfaste: une nouvelle génération de fans ne s'est pas développée.

Aujourd'hui, combien de jeunes Québécois connaissent le baseball? À combien ses règlements sont-ils familiers? Combien surveillent les meilleurs joueurs des majeures? Combien insisteraient auprès de leurs parents pour aller voir un match des Expos?

Avant la rencontre d'hier, j'ai demandé à Russell Martin s'il était possible d'intéresser au baseball ces jeunes ayant grandi sans les Z'Amours. «C'est important qu'ils puissent voir des matchs à la télé, a dit le receveur des Blue Jays. Moi, les Expos étaient mon modèle. S'ils n'avaient pas été là, j'aurais peut-être eu un autre rêve.»

Il faudra aussi mesurer l'intérêt réel de la communauté des affaires de Montréal envers les Expos. Les 60 ou 70 loges d'un nouveau stade se loueraient-elles facilement? Les sièges de luxe, vendus à fort prix, s'écouleraient-ils comme des petits pains chauds?

Pour le savoir, un nouveau sondage de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain ne sera pas suffisant. Il faudra éventuellement vérifier de manière claire si les entreprises seront prêtes à verser des acomptes. 

Bien sûr, une telle opération est prématurée. Mais si le projet doit aller de l'avant, il devra s'appuyer sur des données crédibles, régulièrement mises à jour, et pas seulement sur des espoirs.

Pour se situer dans la moyenne des majeures, une équipe doit attirer 2,4 millions de spectateurs par saison, soit en moyenne 30 000 par match. C'est beaucoup.

Les équipes offrent aujourd'hui plusieurs forfaits aux amateurs (matchs en semaine, matchs du week-end, passeports 20 ou 30 matchs...), mais il faut tout de même parfois débourser, comme à Cincinnati, 3800$ pour une paire d'abonnements dans des sièges bien placés. Ça aussi, c'est beaucoup.

Il faudra aussi estimer les revenus locaux de télévision, une composante essentielle du budget d'une équipe. Après avoir perdu les droits nationaux de la LNH, Bellmedia, propriétaire de TSN et de RDS, aurait-elle un intérêt? Le baseball majeur représente une abondante programmation de premier plan...

Voilà des enjeux majeurs. Mais deux autres sont encore plus importants.

D'abord, qui seraient les propriétaires de l'équipe? Un Américain prêt à déménager sa concession à Montréal, comme Stuart Sternberg, des Rays de Tampa Bay? Des entreprises canadiennes? Des gens d'affaires québécois?

Des noms ont été cités. Mais il faudra un jour que des intérêts locaux manifestent publiquement leurs intentions, à l'image de Québecor dans le dossier des Nordiques. Cela ajouterait au sérieux de l'affaire.

Ensuite, il reste la question du financement d'un nouveau stade. Ce dossier n'est pas seulement difficile sur le plan financier. Son potentiel de dérapage est manifeste, si l'apport public fait partie du modèle envisagé. Il faudra beaucoup de doigté politique pour naviguer dans ces eaux agitées.

***

En applaudissant Vladimir Guerrero et Russell Martin, hier soir, en savourant la belle cérémonie d'ouverture et en mangeant un hot-dog ou deux, la foule du Stade olympique n'avait sans doute pas ces questions en tête. L'heure était au plaisir de voir un match de baseball majeur à Montréal. C'était fabuleux de voir les gens s'amuser autant et savourer le spectacle.

Cela dit, pour que le dossier progresse, des avancées sur ces questions délicates seront nécessaires. La seule présentation de deux matchs d'avant-saison des Blue Jays chaque année ne sera pas suffisante.

Le projet est bien engagé. Et, bien sûr, il ne faut rien brusquer. Mais la seule façon de ne pas briser l'élan, de convaincre les sceptiques et de susciter une adhésion accrue au projet, c'est de continuer à étoffer le dossier.

Et pour cela, il faut mettre de l'essence dans le réservoir.

Pour joindre notre chroniqueur: pcantin@lapresse.ca