Dans la grande histoire du Canadien, une extraordinaire manifestation de leadership s'est produite en avril 1993.

Cette année-là, l'équipe affrontait les Nordiques de Québec au premier tour des séries éliminatoires. Les Bleus formaient un groupe redoutable: Joe Sakic, Mats Sundin, Owen Nolan, Valery Kamensky... Ils étaient rapides, créatifs et explosifs.

Les deux premiers affrontements furent présentés dans la capitale nationale. Les Nordiques remportèrent le premier en prolongation; et dans le deuxième, ils surclassèrent le Canadien de bout en bout. Leur victoire de 4-1 ne rendit pas justice à leur domination. Les joueurs de Jacques Demers avaient les deux pieds dans le ciment. Face aux torpilles fleurdelysées, ils ressemblaient à un groupe d'«old-timers».

De retour à Montréal en prévision du troisième match, celui que le Canadien devait absolument gagner, Patrick Roy déclara: «Tu sais ce que je pense? On est trop respectueux des Nordiques. À force de répéter qu'ils sont beaux, bons et fins, on finit par le croire nous-mêmes. On devrait se dire que nous aussi, on a un bon club, que nous aussi, on a de très bons joueurs.»

En reconnaissant que ses coéquipiers et lui devaient surmonter leur complexe par rapport aux Nordiques, Roy marqua un changement de ton décisif chez le Canadien. L'équipe balaya les quatre rencontres suivantes et remporta la Coupe Stanley six semaines plus tard.

Ce jour-là, Patrick Roy s'est comporté en chef.

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En constatant le jeu brouillon du Canadien contre le Lightning de Tampa Bay lundi au Centre Bell, j'ai repensé à cette série de 1993.

Bien sûr, les éliminatoires ne sont pas commencées et le contexte est moins chaud. Il n'empêche que le Canadien est complexé devant son rival floridien. Comme les Nordiques de l'époque, le Lightning est rapide, créatif et explosif: Steven Stamkos, Vladislav Namestnikov, Nikita Kucherov, Ondrej Palat... Sans oublier Tyler Johnson, actuellement blessé.

Cette force de frappe a manifestement indisposé le CH avant même le début du match, une aberration pour une équipe qui flirte avec le premier rang du classement général. Le Canadien n'a pas à baisser la tête devant un rival, si coriace soit-il.

Cette saison, le Canadien a perdu ses cinq affrontements contre le Lightning. Comme s'il ne s'était pas remis de la raclée de 7-1 encaissée à Tampa Bay en octobre dernier. Comme si ce revers avait laissé des traces dans l'inconscient. Comme s'il avait semé un doute toujours plus dur à effacer.

Après la rencontre, j'ai demandé à Michel Therrien comment expliquer les ennuis de son équipe contre le Lightning. L'entraîneur du Canadien a poussé un soupir, avant de lancer: «On ne joue pas notre meilleur hockey contre eux, ça, c'est sûr...

- Mais pourquoi?

- Dur à dire...»

Therrien et ses adjoints procéderont à leurs propres analyses pour essayer de comprendre comment le Lightning s'est transformé en bête noire du Canadien. Une partie de la réponse est liée à l'aspect hockey proprement dit: effort, discipline, jeu collectif...

Mais le volet psychologique fait aussi partie de la réponse. Le Lightning joue dans la tête des joueurs du Canadien. Peut-être parce qu'il mise sur un atout semblable, la rapidité. Et dans tous les affrontements entre les deux clubs cette saison, l'équipe de Jon Cooper a été plus mordante à ce chapitre.

La vitesse du Canadien est précieuse contre des rivaux lourds et robustes, qui peinent à contrer des adversaires vifs. Mais face au Lightning, c'est vitesse contre vitesse. Et la supériorité en attaque des Floridiens a fait la différence.

S'il retrouve le Lightning sur son chemin ce printemps, le Canadien devra s'ajuster. Sinon, la fièvre des séries sera de courte durée.

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Au cours des derniers jours, des joueurs du Canadien (Lars Eller, Pierre-Alexandre Parenteau) ont indiqué que le Canadien respectait peut-être trop le Lightning.

Une fois ce diagnostic établi, y aura-t-il un Patrick Roy pour déterminer le traitement? Pour rappeler haut et fort que l'heure de la reprise en main est arrivée? Et qu'il serait temps de réaliser que le CH est aussi un «bon club» comptant de «très bons joueurs» ?

Max Pacioretty est peut-être celui-là. Après le match de lundi, en compagnie de quelques collègues, je me suis attardé auprès de lui. Nos questions étaient insistantes: «Max, comment expliquer cette séquence noire contre le Lightning?», lui avons-nous demandé de plusieurs manières différentes.

Poli comme à son habitude, Pacioretty a répondu avec patience. Mais soudain, on a senti un imperceptible agacement dans sa voix. Si les gens s'inquiètent vraiment de notre rendement contre eux, a-t-il lancé en substance, alors «j'espère qu'on les affrontera en séries. On a beaucoup à prouver contre cette équipe».

Bon, voilà la bonne attitude! Si les deux adversaires se retrouvent en avril, le Canadien devra rayer de sa mémoire ses récents ennuis contre le Lightning. D'autant plus que, comme le rappelle Pacioretty, «les séries sont un animal différent»...

Du coup, l'attaquant rappelle ce principe fondamental: «En séries, si tu lèves le pied de l'accélérateur, tu es cuit.»

Les malheurs du Canadien contre le Lightning sont inquiétants, puisque les chances que les deux rivaux croisent de nouveau le fer cette saison sont réelles. Si ce scénario se concrétise, les entraîneurs et les joueurs devront trouver des réponses. Et chasser le complexe installé dans leur tête, comme leurs prédécesseurs de 1993 l'ont fait contre les Nordiques.