Pour Michel Therrien, la décision a eu l'effet d'un coup de poing au visage. «Je ne l'ai pas vraiment vu venir...», dit-il.

C'était en février 2009. Les Penguins de Pittsburgh, qu'il avait menés à la finale de la Coupe Stanley la saison précédente, l'ont remercié peu avant la dernière étape de la saison.

Comptant sur des vedettes comme Sidney Crosby et Evgeni Malkin, Therrien avait déjà hâte aux séries éliminatoires. Les nombreux blessés reviendraient au jeu et ses jeunes joueurs seraient moins tendus qu'un an plus tôt. Tenez, le gardien Marc-André Fleury avait même chuté en sautant sur la glace pour le premier match de la finale! Mais cette fois, les Penguins iraient peut-être jusqu'au bout.

«J'avais dirigé plusieurs des jeunes de l'équipe dans la Ligue américaine. Beaucoup m'avaient accompagné chez les Penguins et nous avions rapidement connu du succès. Oui, ce congédiement m'a fait mal. Je ne peux pas dire le contraire...»

L'entraîneur du Canadien est assis dans son bureau du Complexe Bell, à Brossard. Deux photos sont accrochées à un mur. Sur la première, il est entouré d'Élisabeth et Charles, ses deux enfants, alors adolescents. Sur la deuxième, prise en 1996, il savoure la victoire de ses Prédateurs de Granby en finale de la Coupe Memorial. La famille d'abord, le hockey ensuite: Michel Therrien a toujours priorisé ses deux passions.

Trois mois après son renvoi des Penguins, Therrien, assis devant son téléviseur, a vu ses anciens joueurs brandir la Coupe Stanley à bout de bras. Il était content pour eux. Mais sur le plan personnel, impossible de ne pas penser à cette occasion manquée. Il aurait voulu vivre cette aventure exceptionnelle.

C'est peut-être pour cette raison que ses yeux s'enflamment lorsqu'il évoque son objectif pour le Canadien: «Le but ultime, c'est de gagner la Coupe Stanley. J'en fais une obsession. Ce serait tellement extraordinaire pour les partisans!»

Samedi soir, le Canadien bouclait son excellente première moitié de saison en recevant ces mêmes Penguins de Pittsburgh. L'occasion était belle de mesurer le chemin qu'a parcouru Michel Therrien au cours des six dernières années. Cet homme est un battant qui croit en ses moyens. Et qui a eu le courage de s'autoévaluer après la déception vécue à Pittsburgh.

«J'ai pris une pause d'un an qui m'a fait du bien, dit-il. Je dirigeais des équipes depuis l'âge de 27 ans et ne m'étais jamais arrêté.

«J'ai profité de ce recul pour analyser mon approche aux plans personnel et tactique. Je voulais voir où m'améliorer. J'ai quitté ma zone de confort sur l'enseignement et les systèmes de jeu. J'ai décortiqué les nouvelles tendances. À mon avis, ma base était très solide. Mais je voulais demeurer à la page.»

Au cours des années suivantes, Therrien a discuté avec deux équipes de la LNH du poste d'entraîneur-chef. Sa candidature n'a pas été retenue. Cette vive déception n'a pas ébranlé sa conviction: un jour, il serait de retour dans le circuit.

Therrien a ensuite été analyste à RDS, où il a surveillé le Canadien durant la difficile saison 2011-2012. Cela lui a permis de mieux comprendre le travail des médias, ce qui le sert bien aujourd'hui.

«À mon premier séjour derrière le banc du Canadien, j'avais 37 ans, rappelle-t-il. Je ne connaissais rien de la Ligue nationale, je n'avais pas d'expérience. Et j'abordais les points de presse comme un combat. Cette époque est derrière moi.

«Maintenant, je les conçois comme une manière de communiquer avec les partisans. Sans passer ma journée accroché aux médias, j'écoute la radio le matin et les nouvelles le soir. Je sais ce qui se passe. Et je me prépare en conséquence. S'il y a un vent de panique après deux défaites d'affilée, mon attitude doit contribuer à apaiser la situation.

«Les gens analysent nos performances et ils en ont bien le droit. Je faisais la même chose à RDS...»

Lorsque le Canadien s'est lancé à la recherche d'un entraîneur-chef, au printemps 2012, Therrien s'est remis à espérer. Il a rencontré trois fois Marc Bergevin pour discuter de l'emploi. «Dès notre premier meeting, j'ai senti que ce serait moi. On a eu une bonne conversation, de bons échanges. J'étais sûr qu'on ferait une solide équipe ensemble. Ça se sent, ça...»

Un dimanche après-midi de juin, Bergevin s'est rendu chez Therrien pour lui annoncer l'heureuse nouvelle. Rachel, la mère de Michel, était là. Alors âgée de 80 ans, elle vivait chez son fils unique depuis la mort de son mari. Elle a été la première à le féliciter.

«Après le décès de mon père, ma mère a déménagé dans un centre pour personnes âgées, dit l'entraîneur. Mais je ne la sentais pas très heureuse.»

Therrien a alors accueilli sa mère à la maison, d'abord à Pittsburgh, puis à Montréal. Elle côtoyait quotidiennement ses deux petits-enfants, une source de bonheur.

En février dernier, au début de la pause olympique, Therrien a quitté la Caroline, où le Canadien venait de jouer son dernier match avant le congé. Il s'est envolé vers la Floride pour profiter du soleil. Plus tôt dans la journée, sa conjointe Josée avait conduit sa mère à l'hôpital. Mais son état n'était pas inquiétant.

Hélas, la situation a vite empiré. Et Therrien a repris le jour même un avion en direction de Montréal. Il s'est rendu à l'hôpital et a tenu compagnie à sa mère durant deux heures. Tous deux ont discuté un peu, Michel promettant de revenir la voir le lendemain matin. Mais à 5 h du matin, son téléphone a sonné. Rachel Therrien venait de mourir.

À sa dernière saison comme joueur junior, Michel Therrien s'alignait avec les Chevaliers de Longueuil. Il côtoyait un jeune coéquipier très doué, Jean-Jacques Daigneault, de deux ans son cadet. Leur entraîneur était Jacques Lemaire.

Trente-deux ans plus tard, ces deux hommes occupent toujours une place importante dans la vie de Therrien. Daigneault est un de ses adjoints, responsable des défenseurs. Et Lemaire demeure un de ses bons amis.

«Jacques a été un mentor pour moi, dit-il. On a toujours eu une bonne relation. J'ai beaucoup discuté avec lui du métier d'entraîneur. On se voit chaque été et on échange. On peut apprendre tellement de choses sur le hockey de Jacques Lemaire! Et c'est aussi un sapré bon gars!»

La réputation de Lemaire est celle d'un entraîneur cérébral qui en a plus oublié sur le hockey que certains n'en apprendront jamais. Celle de Therrien reste à définir.

«Tu sais, ce sont les gens qui mettent une étiquette sur les coachs, dit-il. Un tel est un motivateur, l'autre est un technicien... Mais aujourd'hui, tu ne peux pas réussir dans le hockey si tu n'es pas tout cela à la fois. Il faut réévaluer chaque année, il ne faut pas laisser les joueurs s'endormir. Mon travail, c'est de soutirer le meilleur de chacun d'eux. Et aucun ne fonctionne de la même façon. Je dirige une équipe, mais aussi des individus.»

Therrien aime connaître ses joueurs de son mieux. Il apprécie le voyage annuel où leurs parents accompagnent l'équipe. La famille est pour lui un point d'ancrage essentiel. Il en profite pour discuter avec eux, les féliciter du succès de leur fils...

«Avant, j'étais plus renfermé, reconnaît-il. Je me suis amélioré à ce niveau. C'est aussi ça, sortir de sa zone de confort. Aujourd'hui, la communication est tellement importante!»

L'été dernier, le contrat de Michel Therrien a été prolongé de trois saisons. «Une belle marque de confiance», dit-il. Mais au-delà du message positif envoyé à l'entraîneur, cette décision illustre le désir du Canadien de miser sur la stabilité.

«Dans tout le sport professionnel, les organisations stables connaissent habituellement du succès, explique Therrien. Il y aura des hauts et des bas, nous sommes tous conscients de cela. Mais c'est en groupe qu'on se sortira des périodes difficiles.»

Aujourd'hui âgé de 51 ans, Michel Therrien a mûri. Serein dans sa vie personnelle et dans son travail, il exige de lui-même ce qu'il demande à ses joueurs: s'améliorer tous les jours. «J'ai une philosophie, je ne prétends pas qu'il s'agisse de la meilleure, mais c'est la mienne et j'y crois. Je veux qu'on avance.»

S'il a appris à maîtriser son caractère bouillant, surtout après une défaite, l'entraîneur du Canadien demeure animé par la même soif de victoire. «Tu sais quoi? J'ai gagné en expérience, mais une chose ne change pas: je suis un compétiteur et j'haïs perdre!»

Là-dessus, il éclate de rire. Mais ses yeux rappellent à quel point ce sujet est sérieux.