Pedro, notre Pedro, au Temple de la renommée du baseball! Voilà une nouvelle qui réchauffe le coeur dans la froidure de l'hiver.

Avec ses yeux perçants, son menton relevé et ses déclarations piquantes, le petit droitier aux balles de feu a gagné l'affection de tous les partisans des Expos. Guidé par Felipe Alou, son gérant mais surtout son protecteur et conseiller, c'est à Montréal qu'il est devenu le plus formidable lanceur de sa génération.

En novembre 1993, Pedro n'avait pourtant pas apprécié son échange aux Expos. Il portait alors les couleurs des Dodgers. Ce n'était pas l'idée de quitter Los Angeles, où il était confiné à un rôle de releveur, qui le rebutait. Il voulait être un lanceur partant. Mais pas à Montréal, cette organisation ayant Séraphin comme modèle.

«Les Expos étaient la seule équipe dans laquelle je ne voulais pas aboutir, m'avait-il raconté, quelques années plus tard. Je ne croyais pas qu'ils traitaient bien leurs joueurs. Au fil du temps, j'ai cependant appris à connaître Montréal et les partisans de l'équipe. Je me suis fait des amis. Les gens m'ont donné beaucoup d'amour et je le leur ai rendu.»

Pedro a été obtenu en retour de Delino DeShields, le populaire joueur de deuxième but. Un motif économique était à l'origine de la transaction: DeShields empochait 2,7 millions et Pedro, 200 000 $. En plein le genre d'aubaine dont les Expos raffolaient!

C'est évidemment dans l'uniforme des Dodgers que Pedro a participé à son premier match dans les majeures. Un jour, je lui ai demandé quel souvenir il en conservait. Je m'attendais à une jolie histoire racontée avec le sourire. Mais Pedro n'avait pas un côté fleur bleue très développé.

«J'étais furieux. C'était en septembre 1992. Les Dodgers ont attendu 12 jours après mon rappel des mineures avant de m'utiliser. Quand j'ai finalement reçu la balle, on perdait 8-0 contre les Reds de Cincinnati. J'étais en colère et j'ai lancé ma rapide de toutes mes forces. En deux manches, je les ai blanchis. Mais à cause des circonstances, ça ne m'a pas fait plaisir. J'ai eu l'impression de ne pas être important aux yeux de mes patrons.»

Sapré Pedro!

***

Malgré ses démêlés avec les Expos concernant son salaire, Pedro Martinez a été heureux à Montréal. À chaque renouvellement unilatéral de son contrat, l'organisation lui accordait le minimum prévu à la convention collective. Cela le mettait en rogne. Mais il oubliait vite sa frustration.

«Je n'offense personne en affichant mon bonheur, m'avait-il expliqué. Dieu m'a donné la santé. La meilleure façon de célébrer son cadeau, c'est d'être heureux. Alors pourquoi ne pas le montrer?»

Pedro était membre de la fameuse équipe de 1994, qui aurait sans doute atteint la Série mondiale si la grève n'avait pas paralysé le baseball majeur. Le conflit ne s'étant pas réglé en faveur des équipes à faibles revenus, ses jours à Montréal étaient comptés. À l'automne 1997, après l'obtention de son premier trophée Cy Young, il a été échangé aux Red Sox de Boston.

Encore une fois, Pedro a mal accepté cette transaction. Il aurait aimé que les Expos, en reconnaissance de sa contribution à l'équipe, l'échangent à un des quatre ou cinq clubs qu'il avait identifiés. Les Red Sox n'en faisaient pas partie.

Le jour de la transaction, Pedro était chez lui, en République dominicaine. La Presse m'avait dépêché à Santo Domingo pour recueillir ses réactions. «J'irai te rejoindre à ton hôtel», m'assura-t-il au téléphone, la veille de l'entrevue.

Le lendemain, le voilà qui apparaît à l'heure dite, vêtu d'une chemise blanche et d'un short vert. Déjà une immense vedette dans son pays, il salue gentiment le personnel et me conduit vers une table au bord de la piscine.

Très vite, il m'explique sa déception à l'idée de se retrouver avec les Red Sox. «Ce n'était pas trop demander que d'être échangé à un club avec lequel je me serais senti tout de suite à l'aise. Mais les Expos se sont simplement dit: "Tant pis pour Pedro!" Ils ont agi à leur seul avantage, oubliant que j'ai toujours donné mon maximum pour eux et que j'étais prêt à continuer.»

La peine de Pedro se cachait dans ce dernier bout de phrase. Il ne voulait pas quitter Montréal, il était «prêt à continuer».

Nous avons ensuite parlé de Felipe. «Il sera triste de mon départ, mais j'imagine qu'il sera heureux si je m'améliore encore et que je remporte un jour une Série mondiale...»

En effet! Au mois d'avril suivant, après le premier départ de Pedro avec les Red Sox, Felipe Alou ne cacha pas sa joie dans son bureau du Stade olympique. «As-tu vu? Sept manches lancées, trois coups sûrs et 11 retraits sur des prises!»

Au bout du compte, Pedro apprivoisa Boston. Il signa un contrat de six ans pour 75 millions, remporta deux autres fois le trophée Cy Young et contribua à la victoire des Red Sox à la Série mondiale de 2004.

***

Pedro croyait à l'avenir des Expos à Montréal. Il espérait la construction d'un stade au centre-ville. Et le départ de l'équipe après la saison 2004 le peina.

Un mois plus tard, lorsque les Red Sox remportèrent la Série mondiale, Pedro salua les partisans des Z'amours durant les célébrations. Il aimait Montréal et aurait tant voulu lancer un match de Série mondiale dans l'uniforme des Expos.

Hélas, son immense talent n'aura pas suffi pour inverser la trame de l'histoire des Z'amours, celle des espoirs brisés.