Mon premier souvenir des Alouettes? Leur victoire à la Coupe Grey, en 1970, à Toronto. Ce match avait été une grosse affaire à la maison. Toute la famille devant la télé, chips et «liqueur» à volonté! Des huîtres aussi, une tradition qui serait respectée encore quelques années.

Les prouesses de Sonny Wade et Moses Denson m'impressionnaient. Wade était le quart-arrière. Un vrai général dans les yeux du garçon de 11 ans que j'étais alors. Denson portait le ballon. Lorsqu'il fonçait à travers la ligne adverse, on aurait dit un bulldozer.

Les rebondissements de cet affrontement se sont peu à peu effacés de mon esprit. Aussi me suis-je replongé dans l'excellent livre de Daniel Lemay, Montréal Football, où mon collègue retrace le parcours captivant, et parfois farfelu - Nelson Skalbania, ça vous rappelle quelque chose? -, de ce sport chez nous.

Ce triomphe des Alouettes, dans les jours suivant la crise d'octobre, avait réchauffé le moral de Montréal. «Le lendemain, écrit Daniel, 8000 personnes se rendent à Dorval pour accueillir leurs nouveaux héros et le lundi, ils sont des dizaines de milliers pour la parade des champions, rue Sainte-Catherine.»

La photo illustrant ce passage est saisissante: la foule est immense, de quoi faire rêver l'actuelle direction de l'équipe!

Car il ne faut pas s'illusionner: le stade de l'Université McGill ne sera pas rempli, demain, pour le match éliminatoire entre les Alouettes et les Lions de la Colombie-Britannique. En fait, les spectateurs pourraient être plus nombreux au duel universitaire entre le Rouge et Or et les Carabins, aujourd'hui, à Québec.

Mark Weightman ne s'en formalise pas. «Tout ce qui démontre l'engouement pour le football au Québec est positif», dit le président des Alouettes, qui fait face à un rude défi cette semaine: vendre les billets avec un très court préavis. «Lorsqu'on dispute la finale de l'Est à Montréal, on a deux semaines pour se préparer, ajoute-t-il. Mais pour la demi-finale, c'est quelques jours à peine.»

La place des Alouettes sur l'échiquier sportif montréalais complique les choses. Nous ne sommes plus à l'époque où les équipes dirigées par Marv Levy remplissaient le Stade olympique, où les matchs de la NFL télévisés au Québec le week-end se comptaient sur les doigts d'une main, et où le football universitaire suscitait peu d'intérêt.

La multiplication des chaînes télé a rendu le football plus accessible que jamais. Résultat, le petit royaume des Alouettes a été assiégé. Et la Ligue canadienne a souvent manqué de cohésion. Avec son nouveau contrat de télévision et l'ouverture de nouveaux stades dans quelques villes, elle espère augmenter sa popularité. Les Alouettes entretiennent le même rêve à Montréal.

«Notre plan est bâti autour de trois clés, explique Mark Weightman. Bâtir une équipe gagnante, maximiser l'expérience client au stade et poursuivre notre engagement communautaire, que ce soit dans les écoles ou en épaulant le football amateur.»

Malgré les difficultés, le président des Alouettes demeure confiant en l'avenir de son équipe: «Est-ce qu'on sera déçu si le Stade n'est pas rempli [demain]? Bien sûr. Est-ce que ce sera l'apocalypse? Non.»

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Un vent mordant balayait le stade Hébert, à Saint-Léonard, jeudi midi. C'est sur ce terrain sans prétention que les Alouettes s'entraînaient en prévision du match de demain.

Luc Brodeur-Jourdain, l'excellent joueur de centre choisi parmi les étoiles du circuit, affichait un grand sourire. Ses coéquipiers et lui reviennent de loin. Peu avant la mi-saison, leur fiche était d'une victoire et sept revers! Personne n'aurait misé gros sur leurs chances de disputer un match éliminatoire à Montréal.

«On est fiers de notre deuxième moitié, dit-il. Nous sommes en transition depuis deux ans. Et ce n'est pas une transition tranquille! Il y a eu beaucoup de changements. Mais cette saison, je n'ai jamais perdu confiance même si notre football était laborieux. On s'améliorait de match en match...»

Le numéro 58 des Alouettes a découvert le football au cégep de Saint-Jean-sur-Richelieu en 2001. Il étudiait en électronique lorsqu'un camarade lui a proposé de s'entraîner avec l'équipe de football. En raison de son gabarit, la suggestion n'était pas étonnante.

«Un ami voulait s'essayer et n'avait pas le goût d'y aller seul, raconte Brodeur-Jourdain. Je l'ai accompagné à reculons, car je ne connaissais rien au football. Mais j'ai eu la piqûre sur le champ!»

Ses études collégiales terminées, le gaillard de 325 livres (148 kilos) s'est retrouvé à l'Université Laval, où son équipe a remporté trois titres nationaux. Il a aussi obtenu un baccalauréat en administration des affaires et amorcé une maîtrise en finances.

Avec les Alouettes, Luc Brodeur-Jourdain a gagné deux fois la Coupe Grey. «Pour l'instant, je vis une extension de ma jeunesse! Et je veux jouer aussi longtemps que je le pourrai.»

- Que feras-tu après?

- Je vais laisser la vie me surprendre.

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Au Québec, les gros amateurs de la NFL, et il y en a des milliers, sont souvent moins captivés pas la Ligue canadienne (oui, je l'avoue, j'en suis).

Lorsque je demande à Luc Brodeur-Jourdain pourquoi la LCF mérite notre intérêt, sa réponse tombe d'un seul coup.

«C'est un football tout à fait différent. De manière générale, le nôtre est plus explosif et créatif, même si les succès de notre défensive me font un peu mentir cette saison!

«Les unités spéciales sont aussi plus intéressantes, car souvent il n'y a pas de retour de botté dans la NFL. Les fins de match sont aussi très excitantes, car tout peut changer dans les trois dernières minutes de jeu. C'est moins fréquent dans la NFL, où les équipes écoulent plus facilement le temps pour préserver une avance.»

Bon, ok, il faut suivre le match de demain. Et qui sait, peut-être retrouver un peu de la magie de l'époque de Sonny Wade et Moses Denson. Ne reste plus qu'à acheter des chips, de la «liqueur» et des huîtres.