Un congédiement survenu en septembre 1992 aide à comprendre le comportement de Roger Goodell dans l'affaire Ray Rice. Ce jour-là, les propriétaires d'équipe du baseball majeur ont indiqué la sortie au commissaire Fay Vincent, estimant qu'il défendait mal leurs intérêts.

Vincent avait une vision romantique de son poste. Dans son esprit, son rôle était de représenter toutes les parties prenantes du baseball: les propriétaires, bien sûr, mais aussi les joueurs, les fans et, dans une moindre mesure, les partenaires d'affaires.

Durant ses trois années à la barre, Vincent a pris des décisions audacieuses: suspension du propriétaire des Yankees, George Steinbrenner, qui avait fait espionner le voltigeur Dave Winfield; suspension à vie du lanceur Steve Howe, des Dodgers, pour utilisation répétée de substances interdites; semonce aux proprios, coupables de collusion pour contrôler les salaires des joueurs; attitude de compromis en négociation de convention collective...

Comme le rappelle un ouvrage (*) sur Pete Rose publié cette année, ce n'est pas un hasard si Vincent a intitulé son autobiographie Le dernier commissaire. En lui retirant leur soutien, les propriétaires envoyèrent un message clair: un commissaire devait d'abord travailler pour eux. Ils nommèrent Bud Selig, un membre de leur club sélect, pour lui succéder.

La leçon ne passa pas inaperçue. Depuis cette époque, les commissaires de tous les sports prennent un soin jaloux à défendre les intérêts des propriétaires.

Cela explique les trois conflits de travail dans la LNH sous l'ère Bettman, surtout le plus récent d'entre eux, inutilement long.

Cela explique pourquoi le baseball majeur a si longtemps fermé les yeux sur le scandale des stéroïdes. Pas question de tuer la poule aux oeufs d'or représentée par les exploits de Barry Bonds, Mark McGwire ou Sammy Sosa.

Cela explique l'acharnement de la NFL à répudier les liens entre les commotions cérébrales et les terribles séquelles qu'ont subies d'anciens joueurs. La vérité risquait de porter atteinte aux intérêts financiers du circuit.

Et cela explique aussi les erreurs de Roger Goodell dans sa gestion du cas Ray Rice.

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Rice a violemment frappé sa conjointe dans un ascenseur d'un casino d'Atlantic City en février dernier. Goodell l'a suspendu deux matchs.

Conscient que cette mince sanction soulevait la colère de l'opinion publique, Goodell a reconnu s'être trompé. Il a alors annoncé des suspensions plus longues aux joueurs se rendant coupables d'actes pareils. Il croyait avoir calmé la tempête jusqu'à ce que la scène de l'ascenseur soit diffusée cette semaine.

Du coup, l'édifice que Goodell avait soigneusement bâti pour protéger l'image de la NFL s'est écroulé. Ignorait-il vraiment ce qui s'était produit dans cet ascenseur? D'autant plus que, selon ESPN, Rice lui aurait avoué son geste.

Goodell n'était pas à la recherche de la vérité. Il voulait simplement que l'affaire fasse le moins de bruit possible. Son plan n'a pas fonctionné.

Aujourd'hui, des groupes de pression et des analystes réclament sa démission. Des élus du Congrès exigent des explications. Goodell, qui n'en est pas à son premier faux pas, a commandé une étude pour analyser le fil des événements. Elle est menée par Robert Mueller, un ancien directeur du FBI.

Son travail sera supervisé par des propriétaires proches de Goodell, John Mara (Giants de New York) et Art Rooney (Steelers de Pittsburgh). Avant même le début de l'enquête, Mara a déclaré que le poste de Goodell n'était pas en danger! Cela laisse planer un doute sur le sérieux du processus.

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Le nom de Ray Rice s'ajoute à une longue liste d'athlètes qui ont terni leur réputation au cours des dernières années pour cause de violence, dopage, intimidation...

Hier encore, Chris Davis, un joueur des Orioles de Baltimore ayant - à la surprise générale - cogné 53 circuits la saison dernière, a été suspendu 25 matchs pour consommation d'amphétamines. Et Adrian Peterson, joueur-étoile des Vikings du Minnesota, a été accusé de violence envers son enfant.

Lance Armstrong, Barry Bonds, Roger Clemens et Sammy Sosa, tous auteurs d'exploits sportifs sensationnels, ont aussi vu leur héritage à jamais compromis par leurs erreurs de jugement.

Armstrong a perdu ses titres du Tour de France. Et les trois fameux baseballeurs ne seront sans doute jamais élus au Temple de la renommée. C'est la réalité du sport d'aujourd'hui: les performances seules ne permettent plus de mesurer le succès d'une carrière. Le comportement à l'extérieur des surfaces de jeu devient un élément déterminant.

Cela m'amène à vous parler de Saku Koivu. Ma chronique de jeudi, dans laquelle je soutenais que le Canadien devait retirer son numéro, a suscité plusieurs réactions. Si des lecteurs ont appuyé ma position, la majorité a signifié son désaccord.

À l'évidence, le fait que Koivu n'ait jamais appris le français - sa femme et son aînée ont cependant vite maîtrisé la langue - a laissé un goût amer. Mais l'argument le plus fréquent concerne ses performances, jugées insuffisantes pour mériter cet honneur.

À mon avis, Koivu ne doit pas être pénalisé pour avoir été si mal entouré par la direction durant sa carrière. Je pense même qu'on lui doit en bonne partie les rares succès du Canadien durant ces années sombres. Au sein d'équipes bien différentes des puissances des années 70, il s'est hissé au dixième rang des meilleurs pointeurs de l'histoire de l'équipe.

La bataille qu'il a menée contre le cancer a aussi laissé un profond impact sur le Canadien et le Québec tout entier. Sa dignité et sa combativité dans cette épreuve demeurent, encore aujourd'hui, inspirantes. À une époque où les athlètes nous déçoivent souvent, honorer Koivu serait aussi une manière moderne de reconnaître le rôle positif d'un athlète dans la société.

Cela ne se fera pas dans un avenir rapproché. Mais le passage du temps devrait bien le servir. Les critères historiques de sélection sont inévitablement appelés à s'élargir.

* Pete Rose: An American Dilemma, par Kostya Kennedy, Sports Illustrated Books