Ce n'est pas un hasard si les affiches promotionnelles de la Coupe Rogers, placardées aux quatre coins de la ville cet été, ne mettaient pas en vedette les soeurs Williams. Entre les Québécois et elles, le rendez-vous a été trop souvent manqué. Craignant un désistement de dernière minute, les organisateurs ont joué de prudence.

On peut les comprendre. Avant cette année, Venus n'avait jamais participé au tournoi montréalais. Et la dernière présence de Serena datait de 2002. Ce ne fut d'ailleurs pas une réussite.

Blessée avant son premier match, Serena avait déclaré forfait. À la demande d'Eugène Lapierre, elle avait cependant salué le public. «Ce serait un bon moment pour sortir ton français», lui avait conseillé le directeur du tournoi avec un sourire. Malgré son abandon, Serena a été ovationnée.

Sa soeur Venus et elle seront accueillies de la même façon samedi en foulant le court central. Tous les tournois du monde rêvent de présenter un duel entre les deux Williams. Montréal est chanceuse puisque ce sera seulement leur deuxième affrontement depuis 2009.

Après une semaine frustrante, marquée par l'élimination rapide d'Eugenie Bouchard et une panne d'électricité qui a provoqué mille ennuis, cette tournure des événements surgit comme un arc-en-ciel après l'orage. Venus et Serena comptent parmi les plus grandes vedettes de la scène sportive internationale. Cette semaine, elles ont charmé les spectateurs avec leurs coups sensationnels et leur gentillesse.

Peu importe son résultat, ce match s'inscrit déjà dans les annales de la manche montréalaise de la Coupe Rogers. Venus est âgée de 34 ans; Serena, de 32 ans. Les chances d'un autre face à face au Stade Uniprix sont minces. Voilà pourquoi c'est à un rendez-vous avec l'histoire du tennis au Québec que nous sommes conviés samedi.

La vie est bizarre. Lorsque ses filles ont amorcé leur carrière, Richard Williams a été critiqué pour avoir limité le nombre de tournois auxquels elles participaient. Le papa de Venus et Serena a pourtant pris la bonne décision. Ce régime moins essoufflant leur a permis de prolonger leur carrière.

«Quand elles étaient dans la vingtaine, nous n'étions peut-être pas tous heureux qu'elles ne disputent pas un plus grand nombre de tournois de la WTA, reconnaît Stacey Allaster, la patronne du circuit. Mais elles ont bien calibré leur calendrier. Aujourd'hui, c'est fantastique pour nous qu'elles aient été si intelligentes.»

Venus - qui souffre d'une maladie affectant son niveau d'énergie - et Serena Williams ont vieilli. Et lorsqu'elles ont le goût de jaser un peu, comme ce fut le cas vendredi, leurs propos sont passionnants.

«Je n'envisageais pas une si longue carrière, dit Venus. À vrai dire, je croyais diriger ma propre entreprise à l'âge où je suis rendue. Mais je vois aujourd'hui ma vie de manière différente. Et je veux jouer aussi longtemps que je le pourrai.

«Je joue pour ma propre rédemption, pour me prouver que je peux être forte. Et puis je joue encore bien. Alors pourquoi penser à la fin? Ça surviendra lorsque ça surviendra. Et j'espère que je pourrai me retirer gracieusement dans l'ombre.»

Serena ajoute: «En vieillissant, on apprécie davantage notre carrière d'athlète. On en a une compréhension plus approfondie. Puis, on arrive au stade où on ne veut plus lâcher, comme moi! Je ne veux pas y renoncer. Pas question! Voilà pourquoi je suis encore là.»

Peu importe le moment où elles remiseront leur raquette, l'héritage des soeurs Williams pour le tennis est énorme.

«Nous avons été pratiquement les premières Afro-Américaines à réussir dans ce sport, dit Serena. C'est beau de voir toutes ces joueuses afro-américaines et même canadiennes bien jouer aujourd'hui, cela me fait plaisir. Je suis très émue de voir cela.

«En fait, nous avons simplement eu l'occasion de faire quelque chose d'important. Cela me donne parfois la chair de poule quand j'y pense, car nous sommes tellement normales et terre à terre! Nous voulons seulement aider les autres à développer leur potentiel.»

Venus est aussi heureuse de l'impact de sa carrière. «Au bout du compte, la vie est à propos de ce qu'on peut donner, pas de ce qu'on reçoit. Notre travail sur les terrains a aidé des gens de différentes façons. Comme soeurs et comme famille, nous n'avions pas prévu cela. Pour moi - et je pense pouvoir aussi parler pour Serena - , c'est le plus satisfaisant.»

L'été dernier, Eugène Lapierre s'est rendu en Europe pour rencontrer l'agent de Serena Williams. Il voulait savoir si une raison se cachait derrière son absence répétée du tournoi. Elle jouait à Toronto, mais pas à Montréal.

La réponse l'a rassuré. Il ne s'agissait que d'un malheureux concours de circonstances. Pour démontrer sa bonne volonté, Serena a même enregistré une vidéo annonçant sa présence cet été. Elle a été diffusée durant la finale du tournoi de 2013 entre Rafael Nadal et Milos Raonic.

Serena Williams a tenu promesse, même si elle a remporté le tournoi du week-end dernier, en Californie. Venus l'a rejointe à Montréal et tous les amateurs québécois en sont les gagnants. Car les Williams sont aussi celles qui ont conduit le tennis féminin à un autre niveau.

Caroline Wozniacki n'était qu'une enfant lorsque les deux soeurs ont amorcé leur percée. «Elles étaient plus puissantes et frappaient la balle plus tôt, rappelle-t-elle. Cela a changé le jeu. C'est super, car le tennis féminin s'est beaucoup amélioré. Il est devenu plus physique. Le jeu est maintenant totalement différent qu'avant leur arrivée.»

Williams contre Williams. Nous aurons droit à une demi-finale inespérée.