Le Canadien se dirigeait droit vers un désastre de relations publiques avant d'accorder un nouveau contrat à P.K. Subban, samedi.

La tempête n'aurait sans doute pas atteint l'intensité provoquée par la nomination, en décembre 2011, de Randy Cunneyworth, un entraîneur-chef incapable de dire deux mots en français. Mais elle s'annonçait sûrement assez forte pour inquiéter Geoff Molson.

Que le Canadien choisisse de traîner en arbitrage Subban, son meilleur patineur depuis Guy Lafleur, constituait déjà une aberration. On a beau dire que le ton des échanges est demeuré civilisé durant l'audience, il ne faut pas être dupe: dans ce genre d'exercice, l'organisation s'emploie à diminuer la valeur de son joueur.

L'objectif est de le comparer à ses pairs et de démontrer pourquoi il ne vaut pas autant que les meilleurs d'entre eux. Pas étonnant que Marc Bergevin ait refusé de commenter la situation en quittant la salle d'audience, vendredi, à Toronto. Il savait très bien à quel jeu dangereux il venait de se livrer. Même enrobés de miel, certains propos peuvent faire très mal et entacher la relation entre deux parties.

Fidèle à sa tradition envers Subban, le Canadien aura joué dur jusqu'au bout. C'est d'autant plus renversant qu'il a accompli tout ce que l'organisation lui a demandé après lui avoir enfoncé dans la gorge un «contrat de transition» en 2013. Il a remporté le trophée Norris et, la saison dernière, il s'est comporté en général durant les séries éliminatoires.

On ne saura jamais quel salaire Subban aurait obtenu en arbitrage. Mais compte tenu de sa feuille de route, et des critères énoncés à la convention collective pour guider l'arbitre, il serait à l'évidence sorti grand gagnant de l'épisode. Le montant final aurait sûrement été beaucoup plus près de la demande de Subban que de l'offre du Canadien.

L'organisation s'est donc évité une réelle humiliation en s'entendant avec son joueur-vedette avant la décision arbitrale. Et il ne faut pas s'étonner que Subban ait remercié Geoff Molson après la signature de son contrat, soulignant son «impact monumental» dans le règlement.

Le président et propriétaire du Canadien possède un don remarquable pour percevoir l'humeur des fans. Il en a fait la preuve dès son arrivée aux commandes de l'organisation, dénonçant publiquement l'inaction de la LNH après le violent coup de Zdeno Chara à l'endroit de Max Pacioretty, en 2011.

Neuf mois plus tard, il a cependant été pris de court lorsque Pierre Gauthier a installé Cunneyworth derrière le banc. Le ressac de cette décision, difficile pour lui, a augmenté sa vigilance. Et il a sûrement compris que le Canadien enverrait un terrible signal à ses partisans, et à l'ensemble de la LNH, en se montrant intransigeant avec son joueur-vedette.

L'arbitrage est une procédure qui laisse des traces. Les organisations veulent à tout prix éviter cette confrontation malsaine. Elles ont intégré ce principe de droit: le pire des règlements vaut le meilleur des procès. Le cas Subban a d'ailleurs été le premier depuis 2011 à atteindre l'étape de l'audition.

Le Canadien courait un risque énorme dans cette affaire. Sans nouveau contrat à long terme, Subban aurait très bien pu choisir de nouveau l'arbitrage l'été prochain, ce qui lui aurait permis d'atteindre le statut de joueur autonome sans compensation en juillet 2016. Le Canadien aurait alors risqué de perdre ses services sans rien obtenir en retour. Ce scénario potentiel a sûrement contribué au déblocage de samedi. Car s'il s'était concrétisé, les fans ne l'auraient pas pardonné à Bergevin.

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Le Canadien a-t-il consenti trop d'argent à Subban? Non. L'entente est équitable pour les deux parties.

Bien sûr, 72 millions, c'est une jolie somme. Mais l'inflation des salaires est une réalité du sport professionnel. Le hockey n'échappe pas à cette règle. Et n'oublions pas que la LNH est en pleine expansion financière.

Un exemple: en 2011-2012, dernière saison complète avant le lock-out, la LNH a généré des revenus de 3,3 milliards. En 2014-2015, elle prévoit franchir le cap des 4 milliards! Le nouveau contrat de télé national avec Rogers, une affaire de 5,2 milliards pour 12 ans, illustre bien cette tendance.

Au printemps dernier, j'ai discuté de cet élan avec Gary Bettman. «Notre modèle d'affaires n'a jamais été aussi fort, m'a dit le commissaire. Nos meilleures années sont devant nous. Et notre potentiel est illimité.»

Les joueurs sont très au fait de cette situation. Surtout lorsque, comme Subban, ils s'intéressent à l'environnement économique de leur sport. Et qu'ils sont représentés par un agent du calibre de Don Meehan.

En raison de l'évolution prévisible du plafond salarial au cours des huit prochaines saisons, le pourcentage de la masse salariale du Canadien versé à Subban ira en diminuant. Actuellement de 69 millions, ce plafond pourrait atteindre 80 millions dans quatre ans. Bref, l'organisation a aussi fait une bonne affaire.

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Le camp d'entraînement du Canadien commencera dans six semaines. Ç'a été difficile, mais Marc Bergevin a maintenant réglé tous ses dossiers importants.

La table est mise pour la prochaine saison.

Pour mieux comprendre...

En arbitrage, selon plusieurs médias, le Canadien aurait offert 5,25 millions à Subban et celui-ci aurait demandé 8,5 millions. Dans ces circonstances, beaucoup d'amateurs comprennent mal pourquoi le règlement final atteint 9 millions par saison. La raison est simple. Le dossier de l'arbitrage et celui des négociations d'un contrat à long terme sont deux choses aussi différentes que des pommes et des oranges. Voilà pourquoi les chiffres diffèrent autant. En arbitrage, on discute du salaire d'une seule saison. Le joueur ne profitant pas de l'autonomie sans compensation, il est dans les faits lié à son équipe. Cela diminue son pouvoir de négociation. Dans un contrat à long terme, l'organisation doit compenser des saisons où le joueur aurait profité de l'autonomie complète. Voilà pourquoi la facture gonfle. S'il était devenu joueur autonome en 2016, Subban aurait reçu des offres considérables d'autres équipes. L'entente à long terme avec le Canadien tient forcément compte de ce facteur déterminant. C'était la même chose dans le dossier de Lars Eller. Il exigeait 3,1 millions en arbitrage et le Canadien lui offrait 1,65 million. Il a finalement signé une entente de quatre ans lui rapportant 3,5 millions par saison. Notons enfin que toutes ces sommes sont en dollars US, la devise de la LNH.