Dans le vestiaire du Canadien, hier, une absence illustrait le pétrin dans lequel se retrouve l'équipe. Celle de Carey Price, au fond de la pièce, là où les journalistes ont l'habitude de s'entasser pour recueillir ses propos.

Si le malheur n'avait pas frappé contre les Rangers, samedi, Price aurait été debout, répondant patiemment aux questions, les yeux dans ceux de son interlocuteur. Son ton aurait été le même, presque sans émotion. On n'est jamais sûr s'il est de bonne humeur ou si l'exercice lui pèse.

Le gardien du Canadien sait que décoder son état d'esprit en scrutant son visage est une tâche impossible. Quand il est vraiment heureux, comme c'était le cas après le septième match contre les Bruins de Boston la semaine dernière, il prend d'ailleurs soin de le préciser. «Je suis super content, mais je ne le montre pas beaucoup», avait-il dit.

Dans un monde idéal, Price aurait été le centre d'attraction, quelques heures avant que le Canadien ne s'envole pour New York. Imaginez: c'était sa chance de briller sur la plus prestigieuse scène du hockey professionnel aux États-Unis, celle du Madison Square Garden.

Des joueurs de sa dimension vivent pour des moments pareils. Ils sont des stars, et les stars veulent briller lorsque les projecteurs sont braqués sur elles.

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Bien sûr, une demi-finale de la Coupe Stanley n'a pas la résonance de la finale. Mais il s'agit néanmoins d'un événement sans commune mesure avec les deux rondes initiales.

Un exemple: des envoyés du siège social de la LNH interviennent pour encadrer la présentation des deux séries. Des rencontres sont organisées avec les responsables des quatre organisations afin de s'assurer que le plan média fonctionne sans anicroche.

La ligue demande aux directeurs généraux d'être disponibles au moins une fois pour répondre aux questions. De là le point de presse tenu samedi par Marc Bergevin, qui préférait parler avant le premier match plutôt que durant la série.

Tout fonctionne au quart de tour. Ainsi, à l'arrivée du Canadien à New York, hier après-midi, Daniel Brière et Brandon Prust ont été choisis pour rencontrer les médias new-yorkais. C'est la demi-finale et la fébrilité est ressentie par tous: directions d'équipe, joueurs, fans et journalistes.

Plus tôt ce mois-ci, Cam Neely, le président des Bruins, m'a expliqué à quel point ces séries demeuraient des moments forts de sa carrière: «C'est toujours excitant quand tu participes aux demi-finales et à la finale de la Coupe Stanley. Il ne reste que quatre ou deux équipes, la tienne en fait partie, c'est l'fun...»

Price voulait saisir ce moment, le savourer jusqu'au bout. En 2010, lorsque le Canadien a aussi atteint la demi-finale, Jaroslav Halak était la vedette de l'équipe, pas lui. Mais cette année, il représente davantage que le gardien partant. Il est l'âme du club, le grand responsable de ses succès.

J'entends encore Price, la semaine dernière, dans le petit vestiaire du club visiteur au TD Garden. Le Canadien venait d'éliminer les Bruins. Il se réjouissait de cette victoire, mais pensait déjà à la suite: «Nous n'avons parcouru que la moitié du chemin, c'est loin d'être fini.»

Jamais n'aurait-il pensé qu'il serait incapable de poursuivre l'aventure. Après sept saisons dans la LNH, il touchait enfin à son but: démontrer au monde du hockey qu'il était vraiment le gardien annoncé depuis les rangs juniors, celui capable de mener à la victoire une équipe moins forte que d'autres.

Cette saison, Carey Price était en mission. Il voulait être choisi premier gardien d'Équipe Canada aux Jeux olympiques. Il a réussi. Il voulait gagner la médaille d'or. Il a réussi.

Ces succès lui ont apporté une joie profonde. À son arrivée à Sotchi, je lui avais demandé quel était son niveau d'enthousiasme sur une échelle de 1 à 10. «C'est au-delà de 10, c'est de l'excitation pure!», m'avait-il répondu. Price avait même souri...

Ce beau parcours ne devait pas s'arrêter si bêtement. Après le succès olympique, après l'élimination des Bruins, Price entretenait d'autres ambitions. Et la voie semblait s'ouvrir au Canadien...

Mais même s'il a accompagné l'équipe à New York, Price ne reviendra pas au jeu contre les Rangers. Et si le Canadien passe en finale? Michel Therrien ne regarde pas si loin. «On va se concentrer sur la série en cours...»

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Il aurait été formidable de voir Carey Price contre les Rangers ce soir. Le Madison Square Garden est un amphithéâtre mythique. Un endroit rêvé pour un athlète d'exception souhaitant inscrire son nom dans l'histoire.

Le 5 mai 1986, Patrick Roy y a construit le socle de sa légende. C'était aussi en demi-finale de la Coupe Stanley. Après trois périodes, le Canadien et les Rangers étaient à égalité. En prolongation, les Blue Shirts ont attaqué tous azimuts.

«Ils s'installèrent presque à demeure dans la zone d'un Tricolore à bout de forces, sans vouloir en sortir, lançant de tous les angles, de toutes les manières, essayant par tous les moyens de faire dévier leurs lancers, de voiler la vue de Patrick. On avait l'impression d'assister à un exercice à sens unique, une espèce de Rope-A-Dope du hockey.»

Ces mots sont tirés du livre de Michel Roy consacré à la carrière de son fils. Jeune journaliste au Soleil de Québec, j'ai assisté à ce match. Je sais que le père de Patrick n'exagère en rien.

Ce soir-là, la performance du numéro 33 a été miraculeuse. C'était au Madison Square Garden de New York. Le lieu fait aussi partie de l'histoire.

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En demi-finales de la Coupe Stanley, les meilleurs joueurs doivent en découdre. Tous les amateurs veulent voir Jonathan Toews, Patrick Kane, Anze Kopitar, Drew Doughty, Henrik Lundqvist, Martin St-Louis, P.K. Subban... Et tous les amateurs voulaient voir Carey Price.

Hélas, sa blessure a bouleversé cette série. Les Rangers sont désormais grands favoris. Price n'aura pas la chance de s'imposer sur l'immense scène new-yorkaise. Qu'il doive rater cet extraordinaire rendez-vous est profondément dommage. On devine sa peine, sa colère peut-être.

Il faut aussi poser cette question: dans l'environnement très concurrentiel de la LNH, où atteindre la demi-finale de la Coupe Stanley est un réel exploit, qui sait à quel moment Price profitera de nouveau d'une occasion pareille?