Deux jours après l'élection du 7 avril dernier, François Dumontier a lancé un cri d'alarme concernant l'avenir du Grand Prix du Canada. Sans entente rapide avec les pouvoirs publics, la tenue de l'événement à compter de 2015 était en danger, a-t-il dit dans une allocution publique.

Le moment choisi par le promoteur de la course a étonné. La date du scrutin était connue depuis longtemps. Interpeller un des joueurs-clés, le gouvernement du Québec, au moment où s'amorçait la passation des pouvoirs entre les équipes de Pauline Marois et de Philippe Couillard était une curieuse stratégie.

Plus tard ce jour-là, le maire Denis Coderre a tempéré les choses en réagissant à ces propos. Il a affirmé que le dossier suivait son cours. Avec le recul, il apparaît clairement que l'urgence ressentie par François Dumontier touche d'abord ses propres intérêts corporatifs.

En entrevue avec mon collègue Karim Benessaieh et moi mardi, le promoteur a reconnu que le week-end du Grand Prix et les «huit à dix semaines» qui le suivent sont une période-clé de promotion en vue de l'année suivante.

«Mon urgence, c'est de pouvoir profiter commercialement du Grand Prix de 2014 pour vendre des billets, a-t-il expliqué. Dans sept semaines, le Grand Prix va arriver. Je ferai quoi le lendemain si je ne peux pas vendre de billets? Dans mon plan d'affaires, le Grand Prix de 2014 fait partie de ma promotion de 2015.»

- Avez-vous besoin de ces revenus pour payer les frais liés à la tenue de la course de cette année?

- Non, répond-il.

***

François Dumontier dirige une société privée. Il a droit à son plan de match. Sauf que sans une aide massive des contribuables, le grand cirque de la Formule 1 ne débarquerait pas dans l'île Notre-Dame. Et sa compagnie perdrait sa principale raison d'être. Cette dépendance exige une transparence supplémentaire de son entreprise et de tous les intervenants.

Or, questionné sur les raisons de la baisse marquée des ristournes de billetterie versées aux quatre bailleurs de fonds (gouvernements du Québec et du Canada, Tourisme Montréal et Ville de Montréal), Dumontier ne fournit pas de réponses claires. Il réfute cependant que l'événement ait perdu de sa popularité, sauf en 2012, en raison du conflit étudiant.

Dans l'entente qui expire cette année, les pouvoirs publics versent une somme annuelle de 15 millions à la société dirigée par Bernie Ecclestone en retour de la présence des bolides à Montréal. Le prochain accord prévoirait une somme identique, mais avec une différence majeure: le montant serait indexé de 4% chaque année.

Au bout du compte, ce ne sont donc pas 150 millions qui seraient versés en 10 ans, mais plutôt 180 millions. À cette facture s'ajoute un minimum de 32 millions pour moderniser les installations.

Dans l'accord initial, la ristourne de 30% sur les revenus de billetterie permettait aux pouvoirs publics de retrouver en partie les sommes investies. Mais si la tendance à la baisse se maintient, y aurait-il lieu de revoir ce pourcentage? Ou d'inclure dans le partage de la tarte une partie des revenus des loges corporatives, actuellement exonérés de ce calcul?

Chose sûre, l'environnement général dans lequel la course est tenue semble bien différent de celui de l'automne 2009, lorsque l'entente a été signée.

Par ailleurs, n'oublions pas que la société d'Ecclestone reçoit beaucoup plus que les 15 millions annuels versés par les autorités publiques. L'entreprise de François Dumontier lui verse aussi un montant appréciable, prévu dans le contrat privé entre leurs entreprises. En clair, il est loin d'être évident que Montréal obtient son Grand Prix à rabais par rapport à plusieurs autres inscrits au calendrier.

***

François Dumontier ne s'en cache pas: il aimerait qu'un pilote québécois, ou d'ailleurs au Canada, perce en Formule 1. Cela susciterait un intérêt qui profiterait à son événement.

Mais le Grand Prix aurait aussi besoin d'un coup de barre pour solidifier sa place dans les grands festivals estivaux de Montréal. En s'associant à Moisson Montréal, Dumontier a réussi un bon coup pour établir un pont entre l'univers doré de la Formule 1 et un organisme d'aide reconnu. Mais il faudra faire plus.

Ces dernières semaines, la rumeur publique voulait que Dumontier soit à la recherche de partenaires. On sait qu'il entretient des liens cordiaux avec des gens d'evenko et de Québecor, très actifs dans l'organisation d'événements.

À ce sujet, le promoteur dit être ouvert à accueillir éventuellement un partenaire promotionnel, mais pas opérationnel. «Je suis le seul actionnaire de mon entreprise et je contrôle mon produit. Pour l'instant, ce n'est pas dans mes plans.»

Cela dit, pour atteindre son plein potentiel au cours des dix prochaines années, le Grand Prix doit être dépoussiéré. Mais compte tenu des sommes investies par les contribuables dans l'aventure, c'est d'abord d'une injection de transparence qu'il a besoin.

Rien n'a véritablement filtré de ces interminables négociations afin d'en assurer la pérennité. Les raisons de la baisse des ristournes n'est pas claire. Et les véritables retombées économiques gagneraient à être évaluées de nouveau.

Au moment où les pouvoirs publics envisagent de pomper plus de 210 millions dans le maintien de la course au cours des 10 prochaines années, il serait bon que les contribuables en sachent davantage. Comme ce fut le cas dans le dossier du nouvel amphithéâtre de Québec, où le contrat de gestion entre la Ville et Québecor a été dévoilé.

Le nouveau gouvernement du Québec a promis d'être «le plus transparent» de notre histoire. Puisqu'il est un des intervenants au dossier, il devrait se servir du Grand Prix pour annoncer ses couleurs.