Thomas Bach, président du Comité international olympique (CIO), rendra sûrement hommage à la Russie, aujourd'hui, durant la cérémonie de clôture.

Sur le plan de l'organisation (je ne parle pas ici de la loi homophobe ou du harcèlement dont ont été victimes les opposants), ces Jeux ont en effet constitué un succès : sites de compétition impeccables, village des athlètes accueillant, réseau de transport performant, services informatiques fiables. Tout, absolument tout, s'est déroulé rondement.

La seule zone d'ombre a été l'état des chambres réservées aux médias internationaux à leur arrivée à Sotchi. Elles sentaient encore le chantier, ce qui a valu aux organisateurs une foule de reportages moqueurs.

L'affaire s'est cependant vite estompée, car il s'agit d'un enjeu secondaire. Lorsque le transport et l'informatique fonctionnent, les critiques s'apaisent. C'est vrai pour tous les grands événements sportifs.

Cela dit, espérons que M. Bach se gardera une petite gêne en remerciant les autorités russes. Car au-delà de cette réussite, les Jeux de Sotchi démontrent que le modèle mis de l'avant par le CIO ne fonctionne plus. La facture de 51 milliards frappe l'imagination et dessert le mouvement olympique.

On peut évidemment arguer, comme le font souvent les membres du CIO, que le coût réel des Jeux est inférieur à 2 milliards. Et que tout le reste est attribuable à la construction de nouvelles infrastructures, ce qui est le choix du pays hôte.

Le CIO, disent-ils, n'est tout de même pas pour empêcher un gouvernement de bâtir de nouvelles routes ou d'investir dans ses aéroports ou son réseau ferroviaire. C'est vrai.

En revanche, en attribuant les Jeux à une ville qui devra absolument pomper des milliards dans l'acier et le béton pour tenir l'événement, le CIO fait aussi un choix. Il privilégie, en pleine connaissance de cause, les dépenses somptuaires. Pourquoi ? Parce que la folie des grandeurs est inscrite dans son code génétique.

Lorsque Sotchi a obtenu les Jeux en 2007, le CIO savait parfaitement que tout était à construire à partir de zéro. Mais le concept mis de l'avant par les Russes a séduit ses membres : un pôle sur la rive de la mer Noire, consacré aux sports disputés en amphithéâtre, et un autre en montagne, pour les sports de glisse.

À l'époque, on parlait déjà d'une facture gigantesque de 12 milliards. Au bout du compte, celle-ci a quadruplé.

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Les Jeux de Sotchi terminés, Thomas Bach doit composer avec le ressac de ce chiffre de 51 milliards dans l'opinion publique occidentale.

Peu après la divulgation de cette somme l'an dernier, les citoyens de Davos/Saint-Moritz ont rejeté par référendum l'idée de soumettre leur candidature à l'organisation des Jeux d'hiver de 2022. Ce fut un dur coup pour le CIO, dont le quartier général est établi en Suisse.

Neuf mois plus tard, ce sont les citoyens de Munich qui disaient aussi Non aux Jeux de 2022. Cette fois, ce fut une rebuffade pour Thomas Bach, tout juste élu président du CIO. M. Bach est Allemand et souhaitait que son pays soit dans la course.

Qu'à cela ne tienne, six autres villes ont manifesté leur intérêt envers ces Jeux avant la date limite, au grand soulagement du CIO.

Mais depuis ce temps, Stockholm a fait marche arrière. Et les sondages démontrent que les Norvégiens sont opposés à ce que l'État fournisse les garanties financières qui permettraient à Oslo de demeurer dans la course. Le gouvernement du pays doit rendre sa décision avant la fin de l'année.

Le CIO décidera en 2015 où les Jeux seront tenus. Mais si seules les villes de Pékin (Chine), Almaty (Kazakhstan), Lviv (Ukraine) et Cracovie (Pologne) demeurent sur les rangs, le CIO sera dans l'embarras.

Pékin ? La ville a organisé les Jeux d'été en 2008. Il serait bizarre d'y retourner si vite. D'autant plus que les Jeux de 2018 (Pyeongchang) et 2020 (Tokyo) auront déjà lieu en Asie.

Almaty ? Ce serait un choix pour le moins audacieux. Le CIO avait écarté la candidature du Kazakhstan en vue des Jeux de 2014 avant même la tenue du vote, tellement le pays ne semblait pas prêt pour un événement de cette envergure.

Lviv ? L'instabilité politique en Ukraine réduit considérablement ses chances.

Dans ce contexte, Cracovie pourrait gagner par défaut. À moins, bien sûr, qu'Oslo demeure sur les rangs. Soyons sûrs d'une chose : en coulisse, le CIO s'activera pour convaincre le gouvernement norvégien d'apporter le soutien financier nécessaire.

Le CIO devra aussi réduire les coûts de candidature. À l'heure actuelle, une ville intéressée aux Jeux d'hiver dépense au moins 50 millions pour préparer son dossier. Pour les Jeux d'été, la note peut être deux fois plus salée. De l'argent qui part en fumée si elle n'est pas choisie.

Thomas Bach est conscient de ce problème. Il veut diminuer la note. Mais sans règles claires du CIO, les villes ne s'autodisciplineront pas. Si leurs concurrentes dépensent de manière farfelue, elles se sentent obligées d'emboîter le pas. La spirale ne connaît pas de fin.

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Malgré le succès organisationnel des Jeux de Sotchi, le CIO doit revoir son modèle.

Le message de la Suisse et de l'Allemagne, des pays politiquement stables et économiquement solides, est très clair. Lorsque les citoyens sont consultés sur la pertinence d'une candidature olympique, ils rejettent de plus en plus souvent l'idée. Leurs préoccupations économiques et environnementales prennent le dessus sur les potentielles retombées.

Les Jeux de Sotchi, avec leur démesure financière, renforceront ces craintes. Le CIO devra adopter des mesures concrètes pour mieux encadrer le coût des Jeux. Sinon, il éprouvera toujours plus d'ennuis à tenir les Jeux dans un pays où les citoyens peuvent s'exprimer par référendum.

Thomas Bach devra y réfléchir lorsque la flamme olympique s'éteindra à Sotchi.