Kristers Gudlevskis était épuisé. Les yeux éteints, ses longs cheveux blonds tombant sur son visage effilé, il répondait aux questions dans un murmure.

«Réalises-tu que tu as fait peur au Canada tout entier?»

Le jeune homme de 21 ans a esquissé un sourire: «J'espère bien, c'est ça le but...»

Grâce aux arrêts spectaculaires de Gudlevskis, la Lettonie a inquiété jusqu'au bout Équipe Canada, hier, à Sotchi. On aurait dit un gardien renommé de la Ligue nationale, pas un jeunot tentant de lancer sa carrière avec une équipe mineure, le Crunch de Syracuse, en retour d'un salaire annuel de 55 000$.

Au bout du compte, un but de Shea Weber en troisième période a permis au Canada de l'emporter 2-1. Mais ces admirables Lettons se sont battus avec une fougue et une conviction remarquables. Ils n'ont pas été intimidés par la réputation des joueurs canadiens, qui touchent collectivement plus de 100 millions pour une saison.

Bien sûr, le Canada a largement dominé le jeu, comme en fait foi le nombre de tirs - 57 contre 16 en faveur de l'équipe à la feuille d'érable. Mais Sidney Crosby et sa bande ont eu une grande frousse.

Les sourires étaient d'ailleurs rares dans le camp canadien après la rencontre. Tous les membres de l'équipe comprenaient qu'ils avaient joué avec le feu. Une élimination aux dépens de la Lettonie aux Jeux olympiques aurait constitué un épisode sombre de l'histoire sportive du pays. Mais comment ne pas éprouver d'admiration envers le groupe dirigé par Ted Nolan, l'entraîneur du pays balte, qui a convaincu ses joueurs que l'impossible était à leur portée?

Cela dit, cette équipe canadienne prend un temps fou à trouver ses marques. Mike Babcock a été très rapide pour écarter P.K. Subban de la formation, mais il est beaucoup plus lent à trouver des solutions pour organiser l'attaque.

Après la rencontre d'hier, Babcock a répété à deux reprises qu'Équipe Canada n'avait pas pris ses rivaux à la légère. Peut-être. Mais si c'est vrai, c'est encore plus inquiétant. À force d'entendre les compliments sur leur puissance offensive, les joueurs canadiens croyaient-ils remplir, à volonté ou presque, les filets adverses?

Une chose est sûre, ce n'est pas du tout le cas. Et à la veille du match de demi-finale contre les redoutables Américains, le doute semble s'être installé.

Un gros défi attend Mike Babcock, Sidney Crosby et compagnie. Pour l'instant, cette équipe lance beaucoup, mais ses jeux manquent d'imagination. Et la grande patinoire européenne semble toujours constituer un mystère à ses yeux. Ce n'est pourtant pas le temps qui a manqué à ses dirigeants pour s'y préparer.

Ce ne fut donc pas la meilleure journée d'Équipe Canada. Mais pour la formation russe, éliminée par les Finlandais, la tournure des événements a été catastrophique.

À la télé, une image éloquente a décrit l'état d'esprit de ses partisans: consterné, l'un d'eux se cachait la tête dans le drapeau de son pays. En Russie, les attentes envers l'équipe nationale étaient grandes comme les monts Oural, et cette élimination en quarts de finale a eu l'effet d'un knock-out.

Avant même le début des Jeux, les Russes disaient que le tournoi de hockey était leur priorité. Le rêve de Dmitry Chernyshenko, président du comité organisateur, était une victoire de son pays en finale. Il avait même choisi l'adversaire, les États-Unis! Il fallait venger l'échec de Lake Placid en demi-finale des Jeux de 1980, un «film d'horreur», à son avis.

Ce n'est pas tout: de passage à la Maison du Canada vendredi dernier, le président Vladimir Poutine avait souhaité bonne chance à tous les athlètes canadiens, «sauf en hockey». Et Alexander Ovechkin avait si hâte au rendez-vous de Sotchi qu'il avait confirmé sa présence avant même que la LNH confirme sa participation au tournoi.

Bref, après leur triste performance de Vancouver en 2010, les Russes voulaient montrer au monde entier leur puissance sur la patinoire. Les voilà aujourd'hui recalés à l'examen.

Pourquoi les joueurs russes, malgré cette abondance de munitions offensives, ont-ils été menottés par les Finlandais? Le gardien Tuukka Rask a été excellent, bien sûr. Mais ce n'est pas l'unique raison.

Deux heures avant le match, j'ai croisé l'analyste Dany Dubé au Parc olympique. Ses propos m'ont vite fait comprendre que l'équipe russe était en difficulté. «Il y a encore des tiraillements entre les joueurs de la LNH et ceux de la KHL», m'a expliqué Dany, toujours bien informé.

En clair, des visions opposées sur la manière de jouer ont provoqué un débat. D'un côté, des personnalités fortes comme Ilya Kovalchuk et Alexander Radulov, de la KHL. De l'autre, d'autres supervedettes du pays, mais évoluant dans la LNH. Coincé au milieu de ces camps, un entraîneur incapable de trancher, partagé entre ces approches. Ceci a donné cela.

Cet échec ne sert pas l'image de la KHL. Les Finlandais comptent aussi de nombreux joueurs évoluant dans ce circuit. Mais les joueurs russes en sont l'épine dorsale.

Les demi-finales et la finale du tournoi masculin constitueront un moment fort des Jeux olympiques. Et les joueurs du pays hôte n'y seront pas. De Moscou à Vladivostok, en passant par Sotchi, aucun Russe ne croyait cela possible. À commencer par le premier citoyen du pays.

Vladislav Tretiak, qui a consacré une énergie considérable au développement du hockey russe, devait aussi être ébranlé.

***

Plus tôt en journée, durant le match entre la Slovénie et la Suède, je me suis retrouvé dans les gradins de l'aréna Bolchoï. Les yeux rivés sur la patinoire, Zmago Tonejc croisait les doigts. Technicien de l'équipe slovène de ski alpin, il encourageait ses compatriotes, opposés aux puissants Suédois. «Si on m'avait dit que nos joueurs atteindraient les quarts de finale, je ne l'aurais pas cru...»

En Slovénie, le hockey n'a pas la popularité du ski alpin, du saut à ski, du soccer ou du handball. Mais les succès de ses combatifs hockeyeurs aux Jeux olympiques suscitent l'admiration des 2 millions d'habitants. «Éliminer la Suède, ce serait sensationnel...», a ajouté Zmago.

Le miracle ne s'est pas produit. Les Slovènes ont tenu le coup pendant 40 minutes, limitant leurs rivaux à une mince avance d'un but. Les Suédois ont cependant explosé en troisième et remporté une victoire de 5-0.

«Nous étions vraiment fatigués à la fin du match, a expliqué l'attaquant Ziga Jeglic. C'était notre cinquième rencontre en sept jours. Mais nous sommes fiers de notre performance. Tu sais, nous n'avons que cinq patinoires dotées d'un toit en Slovénie. Le monde du hockey ne nous a jamais pris très au sérieux. J'espère qu'ils changeront maintenant d'idée.»

Sur le plan économique, la Slovénie traverse une période pénible. Le ralentissement en Europe l'a frappée de plein fouet. Les succès de ses athlètes à Sotchi sont comme un baume sur ses plaies. En plus de l'étonnant parcours des hockeyeurs, la skieuse Tina Maze a remporté la médaille d'or en descente et en slalom géant.

«Tina est immensément populaire dans notre pays, dit le journaliste Andrej Miljkovic. Même les gens connaissant moins le sport l'apprécient. Et notre autre grande vedette est évidemment Anze Kopitar.»

Kopitar, des Kings de Los Angeles, est le seul joueur de la LNH au sein de la formation slovène. «Mais je connais tous les gars de notre équipe depuis l'adolescence, a-t-il expliqué après le match. On s'entraîne ensemble depuis cinq ans. C'est difficile d'avoir perdu contre la Suède. Mais avec le recul, on sera très fiers de ce que nous avons accompli. Nous avons bien représenté notre pays. C'est une belle sensation.»

Les autres joueurs de la Slovénie évoluent dans les ligues européennes: Allemagne, Autriche, Slovaquie, France et, bien sûr, la KHL.

Daniel Alfredsson, qui connaît le tabac, a été impressionné par ses adversaires. «On savait qu'ils étaient fougueux et solides défensivement. Si leurs joueurs ont l'occasion de disputer d'autres rencontres importantes, ils deviendront encore meilleurs.»

***

Âgé de 41 ans, Alfredsson savoure son dernier tour de piste olympique. Rien ne lui ferait plus plaisir que de reprendre l'avion avec une médaille d'or au cou, une possibilité bien réelle pour cette formation au hockey si élégant.

- «Alors, Daniel, que penses-tu de cette idée d'une Coupe du monde de hockey?

- Ce serait un excellent tournoi. Mais ce ne serait pas les Jeux olympiques, la plus grande scène sportive du monde. Ici, les meilleurs athlètes de tous les sports d'hiver sont présents. Ce serait très triste si la LNH cessait d'aller aux Jeux.»

Une Coupe du monde de hockey, une idée conjointement explorée par Gary Bettman et Donald Fehr, serait sans doute présentée avant le début de la saison. Elle générerait beaucoup d'intérêt au Canada et dans quelques pays nordiques, mais quel serait son impact dans le reste du monde?

Aux États-Unis, le pays où la LNH veut véritablement consolider son modèle d'affaires, le mois de septembre est celui du retour du football professionnel et collégial. Les réseaux de télé ne se bousculeraient pas pour diffuser du hockey à cette période de l'année.

On verra comment ce projet atterrira. Mais sur le plan de l'intérêt international, cette future Coupe du monde, si elle voit le jour, n'aura pas le même attrait que le tournoi de hockey olympique.

***

La dernière ligne droite de ces Jeux olympiques nous promet du hockey formidable.

Du côté féminin, le match de la médaille d'or entre le Canada et les États-Unis est présenté aujourd'hui. Demain, ce sera au tour des demi-finales masculines. L'ultime rencontre aura lieu dimanche. Le suspense continue.