Je regarde ce qui se produit à Sotchi depuis l'ouverture des Jeux olympiques et je suis renversé.

Le succès des Québécois constitue un fait marquant de notre histoire sportive. Et il fait prendre conscience du chemin parcouru depuis 30 ans, époque où Gaétan Boucher a démontré qu'il était possible pour un athlète de chez nous de s'imposer parmi les meilleurs du monde.

Boucher n'était pas le produit d'un système sportif bien rodé. Ses succès, il en était le seul responsable. Mais son exemple a servi d'inspiration. Notre société, sous le leadership de quelques passionnés de sport olympique, a commencé à investir dans le développement de nos athlètes d'hiver. Les résultats n'ont pas été immédiats. Mais aujourd'hui, il est clair que le Québec a mis en place un solide modèle.

Ce ne sont pas seulement les cinq médailles obtenues au cours des trois derniers jours qui me font dire cela. Mais aussi le fait que dans les épreuves de descente (Erik Guay), de ski de fond (Alex Harvey), de slopestyle (Maxence Parrot) et de biathlon (Jean-Philippe Le Guellec), des Québécois étaient des prétendants légitimes à l'obtention d'une médaille.

Tous ces athlètes se sont présentés à la ligne de départ convaincus qu'ils pouvaient monter sur le podium. C'est un formidable changement d'attitude.

Aujourd'hui, un jeune Québécois rêvant de briller sur la scène sportive internationale a des dizaines de modèles devant les yeux. Gaétan Boucher, lui, n'avait à peu près personne lorsqu'il s'est imposé en patinage de vitesse longue piste. Cela en dit long sur sa force de caractère, bien sûr, mais aussi sur la formidable progression de notre sport d'élite.

Le Québec a aussi réussi un coup fumant en acquérant une expertise dans les nouvelles et spectaculaires disciplines olympiques, celles qui font triper des milliers de jeunes. C'est ce qu'on appelle être à l'avant du défilé.

Avant la super finale du ski de bosses chez les gars, hier, un podium entièrement québécois était possible. Au bout du compte, Alexandre Bilodeau et Mikaël Kingsbury ont obtenu des médailles, et Marc-Antoine Gagnon a terminé quatrième.

Trois Québécois parmi les quatre premiers d'une finale olympique. Est-ce que je rêve?

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La journée a commencé au Palais de patinage Iceberg, un autre de ces magnifiques amphithéâtres construits pour les Jeux, où la course de 1500 mètres sur courte piste était présentée.

Tous les yeux étaient rivés sur Charles Hamelin, surnommé à juste titre «La locomotive». S'il ne s'agit pas de son épreuve de prédilection, un exploit était clairement à sa portée. Au cours des quatre dernières années, soit depuis sa septième place aux Jeux de Vancouver, il a consacré des efforts gigantesques pour améliorer ses temps sur cette distance.

Ses adversaires savaient qu'il serait dans le coup. Mais avaient-ils prévu qu'il survolerait la compétition avec cette force incomparable? À la mi-course, Hamelin s'est faufilé en tête. Pourquoi a-t-il choisi ce moment? «Mon instinct, a-t-il répondu plus tard. Mon entraîneur me répète toujours que le mien est très sûr. Alors j'ai foncé...»

Installé en première place, Hamelin a géré sa vitesse avec aplomb. «Charles devait conserver assez d'énergie pour accélérer dans les deux derniers tours et empêcher ses rivaux de le doubler», a expliqué son père Yves, le patron de l'équipe canadienne.

Hamelin n'a jamais été inquiété par ses plus proches poursuivants. Il a même levé les bras au ciel avant de franchir la ligne d'arrivée. Après un tour d'honneur en brandissant le drapeau canadien, il est tombé dans les bras de Marianne St-Gelais. Les deux se sont serrés tellement fort que l'accréditation de sa blonde s'est détachée!

«Qu'est-ce que je lui ai dit? Que je l'aimais et que j'étais fière de lui, a raconté Marianne, une heure plus tard. Tu sais, cette course-là, c'était beaucoup trop pour moi. Oh là là, j'étais énervée! Je pleurais après le premier tour! Je voulais qu'il fasse bien, il le mérite tellement.»

St-Gelais, qui a elle-même franchi avec succès des étapes de qualifications au 500 mètres et au relais plus tôt dans la journée, a quitté son siège avant le dernier tour. «Je savais qu'il ne tomberait pas et je voulais le voir célébrer. D'où j'étais assise, je ne l'aurais pas vu assez bien à mon goût...»

Leur étreinte, captée par les caméras, a vite fait le tour de la planète. Ce fut le seul moment où Hamelin a véritablement laissé éclater sa joie. En entrevue, il était heureux, certes, mais donnait plutôt l'allure d'un homme satisfait d'une honnête journée de travail. «Il est toujours cool comme ça...», a dit sa blonde.

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En remportant l'or, Hamelin a annoncé ses couleurs pour les épreuves des 500 et 1000 mètres. Le week-end dernier, son ami Mathieu Giroux a fait cette prédiction: «Charles peut tout rafler aux Jeux. Il est tellement dominant. Le Russe est son principal adversaire.»

Aujourd'hui membre de l'équipe de longue piste, Giroux a longtemps concouru sur courte piste. Il connaît le tabac. Alors qui est ce Russe capable de menacer Hamelin à Sotchi? Il s'appelle Victor An... mais baragouine à peine le russe!

Hier, An a obtenu la médaille de bronze. La foule l'a encouragé à pleins poumons. En 2006, aux Jeux de Turin, An a remporté trois médailles d'or pour la Corée du Sud, son pays d'origine. Il s'appelait alors Ahn Hyun-Soo.

Une grave blessure au genou a empêché An d'être à Vancouver. Il s'est ensuite brouillé avec sa fédération. En quête d'un nouveau départ, il a offert ses services à plusieurs pays, selon le Wall Street Journal.

Eh oui, quelque chose dans le genre: triple médaillé d'or olympique cherche pays à représenter aux Jeux de Sotchi! La Russie lui a vite fait signe. Six mois plus tard, il a obtenu sa nouvelle citoyenneté.

«Je ne parle pas bien le russe et c'est difficile de socialiser avec mes coéquipiers, a dit An après la course d'hier. Mais aujourd'hui, j'ai senti l'appui de la foule et je veux la remercier. Merci de croire en moi. J'espère gagner une médaille d'or avant la fin des Jeux.»

La grosse question: An participera-t-il aux prochains Jeux d'hiver, qui auront lieu... en Corée du Sud? «C'est un dossier complexe. Mais si je me sens en forme...»

La réception des fans sera sans doute moins bonne à Pyeongchang.

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Charles Hamelin n'a pas célébré trop longtemps sa conquête de la médaille d'or. «Il peut savourer sa victoire aujourd'hui», a dit son père, Yves, chef de l'équipe canadienne de patinage courte piste. «Mais il doit ensuite fermer cette boîte et penser à la suite des choses. Son prochain entraînement aura lieu dès demain matin.»

L'objectif de Hamelin sur 1000 mètres (finale samedi prochain) et 500 m (finale le 21 février) sera de retrouver les mêmes sensations qu'hier.

«Le stress était là, mais la confiance l'a contrebalancé, a-t-il dit. Pour moi, c'est la combinaison idéale. C'est à ce moment que je suis à mon mieux.»

Champion olympique en titre sur 500 mètres, Hamelin maîtrise bien cette épreuve. Mais curieusement, c'est aussi celle qu'il trouve la plus exigeante. «Avec les qualifications, il y a beaucoup de courses. C'est dur pour le système nerveux.»

Le patinage sur courte piste comporte en effet un danger bien réel: une collision et les espoirs de médaille s'envolent. Voilà pourquoi il est difficile de faire des prédictions sûres. Mais Hamelin ne laisse rien à la chance. En compagnie de son entraîneur, il analyse à fond ses rivaux et étudie leurs courses.

«Je suis sur le circuit depuis 2003 et je les connais par coeur, avec leurs forces et leurs faiblesses, a-t-il expliqué. Dans ma tête, j'ai un aperçu de la course avant qu'elle commence.»

Son succès d'hier, Hamelin le doit à son talent et à son entraînement. Mais aussi à sa préparation mentale. Hier, il était clairement au-dessus de ses adversaires à ce chapitre.

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Le Québec connaîtra d'autres succès à ces Jeux. D'autres déceptions aussi. Mais tous les jours ou presque, dans une discipline ou une autre, un gars ou une fille de chez nous est dans le coup.

Qui aurait pensé ça il y a 30 ans?