Dans un documentaire de la CBC sur les Jeux de Sotchi, un parlementaire russe avoue sa surprise: «Vous devez fouiller longtemps la carte géographique de ce vaste pays pour dénicher un endroit sans neige. Vladimir Poutine l'a trouvé.»

C'est ainsi que, 51 milliards de dollars et une loi homophobe plus tard, les Jeux d'hiver 2014 ont abouti dans une région où les palmiers ceinturent le bord de mer. La neige? Elle ne tombe qu'en montagne, environ une heure de train plus loin.

Au moment où vous lirez ces lignes, je devrais être à Sotchi depuis quelques heures. J'aurai peut-être déjà visité le pôle olympique construit sur les rives de la mer Noire, une quarantaine de kilomètres au sud de la vieille ville, dans le district d'Adler.

C'est là qu'on trouve le Stade olympique, où seront présentées les cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux, ainsi que les amphithéâtres de hockey, de patinage et de curling. Le centre de presse principal est à distance de marche de ces nouveaux édifices. Les épreuves de glisse (ski, planche, bobsleigh, luge, skeleton) seront tenues à Krasnaïa Poliana, station hivernale remodelée de bout en bout.

L'arrivée dans une ville olympique est toujours un moment excitant. On a hâte de sentir l'ambiance et de voir si la visite est bien accueillie. La première impression donne souvent le ton au reste du séjour.

Ce fut le cas lors de mes autres couvertures olympiques. L'atmosphère chaleureuse de Barcelone (1992) et de Londres (2012) s'est poursuivie durant tous les Jeux. L'expérience a été différente à Atlanta (1996), où le capharnaüm du départ ne s'est jamais démenti, et à Nagano (1998), où l'esprit de fête ne s'est pas manifesté.

Aujourd'hui, j'ignore à quoi m'attendre de Sotchi. Je sais cependant que ces Jeux, pour une foule de raisons, me laissent perplexe.

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Commençons par les bonnes nouvelles. Sur le plan sportif, le spectacle s'annonce extraordinaire.

Le tournoi de hockey masculin, par exemple, promet un suspense de tous les instants. Les Russes voudront faire oublier leur mauvaise performance aux Jeux de Vancouver. Ils compteront sur l'appui des partisans, un avantage évident.

En revanche, la pression sera forte sur eux, tout comme sur l'équipe canadienne. Imaginez: un récent sondage a révélé que, pour 73% des Canadiens, l'obtention de la médaille d'or par Crosby et compagnie serait un élément déterminant pour évaluer le succès du pays aux Jeux!

Les gardiens Carey Price, Roberto Luongo et Mike Smith devront avoir les nerfs solides. Un mauvais but dans une situation corsée fera les manchettes d'un océan à l'autre.

Au hockey féminin, le Canada et les États-Unis se disputeront la médaille d'or. La tension sera vive car les deux clubs ne s'aiment pas.

L'introduction de 12 nouvelles disciplines, dont plusieurs très spectaculaires comme le slopestyle en ski et en planche à neige, apporte aussi une bouffée d'air frais. Contrairement aux Jeux d'été, où le Comité international olympique (CIO) peine à moderniser son programme, les Jeux d'hiver explorent de nouvelles avenues. Et si vous aimez les sensations fortes, ne manquez pas les courses de ski cross, où on retient notre souffle du début à la fin.

La perspective de retrouver sur le podium plusieurs athlètes québécois ajoute aussi à l'intérêt des Jeux. Erik Guay, après sa déception de Vancouver où il a raté le podium par une fraction de seconde en descente et en super-G, voudra rentrer à la maison avec une médaille au cou. Idem pour le fondeur Alex Harvey, dont les récentes performances suscitent de grands espoirs.

En patinage de vitesse, nos athlètes seront aussi à suivre, tout comme en ski acrobatique. Bref, les centres d'intérêt sont nombreux. À cet égard, ces Jeux promettent de grandes émotions.

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Alors pourquoi cette réserve par rapport à Sotchi? Parce que les Jeux olympiques représentent plus que des performances sportives. Leur succès repose aussi sur les valeurs mises de l'avant par les organisateurs. Or, sur ce plan, les choses sont mal parties.

La semaine dernière, par exemple, Thomas Bach, président du CIO, a affirmé que les athlètes souhaitant s'exprimer sur des enjeux politiques pourraient le faire en conférence de presse. En clair, le CIO ne sévira pas si certains d'entre eux utilisent cette tribune pour dénoncer la loi homophobe votée par le Parlement russe.

La réaction du président du Comité organisateur des Jeux a été vive: si des athlètes veulent parler de «politique», qu'ils se rendent dans la zone spéciale prévue à cet effet... à 18 km de la zone olympique! Bref, la liberté d'expression est limitée à une enclave géographique perdue dans la nature. Le ressac a été tel que le Comité a ensuite publié un communiqué pour nuancer cette déclaration officielle.

En organisant des Jeux qu'elle souhaite grandioses, la Russie veut démontrer à la face du monde combien elle s'est transformée au cours des 20 dernières années. Mais cette loi homophobe noircit son image en Occident. On verra si la controverse virera au désastre durant les Jeux.

Les 51 milliards pompés dans l'aventure laissent aussi un goût amer. Et la question de la sécurité demeure un enjeu constant. Au point où les billets pour certaines épreuves de ski ont été limités afin d'assurer un meilleur contrôle des foules.

En octobre dernier, tout en défendant l'attribution des Jeux à Sotchi, Gian Franco Kasper, président de la Fédération internationale de ski, a affirmé que la fête ne serait pas au rendez-vous. «Ce ne sera pas un gros party...», a-t-il dit, en conseillant subtilement d'oublier une ambiance de style Lillehammer (1994) ou Vancouver (2010).

Alors, à quoi ressembleront ces Jeux? La réponse dans 18 jours, lorsque s'éteindra la flamme olympique.