La vie d'Eugenie Bouchard ne sera plus jamais la même. En atteignant la ronde demi-finale d'un tournoi du Grand Chelem, elle fait une entrée fracassante dans l'élite du tennis international.

La jeune femme, qui fêtera ses 20 ans le mois prochain, doit maintenant gérer cette situation enviable, mais aussi pleine de pièges. Son père, Mike Bouchard, n'est pas inquiet. «Eugenie a une solide tête sur les épaules, dit-il. Elle est forte et bien entourée. Elle sait que sa job numéro 1, c'est le tennis. Elle se concentrera là-dessus et le reste suivra son cours.»

Le circuit féminin veut manifestement faire d'Eugenie Bouchard une tête d'affiche. Une preuve en a été fournie lorsqu'elle a été invitée à accompagner Roger Federer, Rafael Nadal et Victoria Azarenka lors d'un événement destiné aux enfants avant le début du tournoi. Pas mal pour une joueuse éliminée dès les qualifications un an plus tôt!

Mise sous contrat par Nike dès l'adolescence, la Québécoise recevra de lucratives propositions de commandites. Pour les joueuses qui captent l'imagination des fans, le tennis est en effet une machine à générer des millions.

Un exemple: dans le classement Forbes des sportives les mieux payées du monde en 2013, sept des dix premières places sont occupées par des joueuses de la Women's Tennis Association (WTA).

Maria Sharapova mène le bal avec des revenus globaux de 29 millions, dont 23 en commandites. Serena Williams, Li Na, Victoria Azarenka, Caroline Wozniacki, Agnieszka Radwanska et Ana Ivanovic font aussi partie du groupe. Toutes ces filles, sauf Radwanska, touchent plus d'argent en commandites qu'en bourses.

Avec son charme et son bagout, Eugenie Bouchard devrait accéder à ce club sélect avant longtemps. Pourvu qu'elle consolide ses succès sur le terrain. Le défi sera de ne pas se laisser distraire par ces occasions d'affaires.

Des joueuses douées comme Wozniacki et Ivanovic ont éprouvé des difficultés à trouver un équilibre entre ces deux pôles de leur carrière. Et même si elles ont occupé le premier rang du classement mondial pendant un certain temps, leurs résultats n'ont pas été à la hauteur des espoirs suscités par leurs premiers succès.

Louis Borfiga, qui a contribué au développement d'Eugenie Bouchard à titre de grand patron de l'élite à Tennis Canada, croit que sa protégée gardera sa concentration.

«Eugenie est sérieuse, motivée et ambitieuse, dit-il. Le désir de devenir un grand champion, on l'a en soi. Eugenie possède cette envie de gagner. Elle est armée pour affronter la pression. Elle m'impressionne. Mais il faut aussi lui laisser le temps de progresser.»

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Mike Bouchard, spécialiste en fusions et acquisitions, est associé chez Cheverny Capital, banque d'investissement montréalaise. Jeudi matin, cet amateur de tennis depuis toujours était dans les bureaux de Tennis Canada pour commenter la réussite de sa fille.

«On a inscrit nos enfants au tennis très jeunes. On a vite vu qu'Eugenie aimait beaucoup ça, elle voulait toujours jouer. Dès ses premiers tournois à l'âge de 7 ou 8 ans, elle était techniquement très bonne. Ça a fait boule de neige...»

Pour trouver des adversaires à sa mesure, Eugenie Bouchard s'est établie en Floride à 12 ans. «Le tennis au Canada n'était pas ce qu'il est aujourd'hui, explique Mike Bouchard. C'était difficile pour elle de jouer contre des filles de son niveau.

«On souhaitait aussi qu'elle soit mise en contact avec du coaching international. Le réseau en Floride est excellent. Des joueurs de partout au monde s'y rassemblent et c'est un bon endroit pour participer à des tournois.»

À son arrivée aux États-Unis, Eugenie était uniquement accompagnée de sa grand-mère paternelle. «Mais on a réalisé qu'elle s'ennuierait trop de ses soeurs et de son frère. Alors on a déménagé la famille pour deux ans», explique-t-il.

Eugenie a une soeur jumelle, Beatrice. Charlotte est d'un an leur cadette et William est âgé de 14 ans. Ils ont suivi avec enthousiasme les performances de leur soeur en Australie.

«Ils savent l'effort monumental qu'Eugenie a mis dans son tennis, explique Mike Bouchard. Ils sont très fiers d'elle. On a crié comme des fous durant le match contre Ana Ivanovic. Il y avait beaucoup d'émotion. Contre Li Na, Eugenie était un peu nerveuse en début de match et ç'a été plus dur. On l'a senti pour elle. Mais elle s'est bien débrouillée dans le deuxième set.»

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L'objectif d'Eugenie Bouchard en 2014 était d'atteindre le top 20 au classement mondial. Ce sera chose faite au dévoilement de la nouvelle compilation la semaine prochaine. Ses gains en Australie, 540 000 $, dépassent de quelques milliers de dollars ceux de toute sa saison 2013. En clair, l'année commence à peine et elle a déjà atteint des plateaux impressionnants.

Eugène Lapierre, directeur de la Coupe Rogers, reconnaît qu'elle suscite ainsi des attentes au sein du tennis international, mais aussi devant elle-même. «Il ne faudrait cependant pas vouloir qu'elle gagne tous les tournois du Grand Chelem à partir de demain», rappelle-t-il avec justesse.

Il n'en reste pas moins que la progression d'Eugenie Bouchard est fulgurante. Qui aurait pensé qu'elle atteindrait la demi-finale d'un tournoi majeur avant Milos Raonic, déjà un joueur de premier plan chez les hommes?

La belle aventure de la jeune joueuse ne fait que commencer. «Le tennis est toute sa vie, dit son père. Eugenie vit un rêve.»

Et Justin Bieber?

Dans les minutes qui ont suivi sa victoire contre Ana Ivanovic, Eugenie Bouchard s'est fait demander par l'animatrice sur le terrain avec qui elle aimerait obtenir un rendez-vous.

La question, particulièrement insipide, constituait un manque de respect envers une athlète à peine sortie d'un match de très haute intensité. Mais en mentionnant le nom de Justin Bieber, Eugenie Bouchard a elle-même suscité plusieurs réactions.

«C'était pas trop fort comme question, dit son père. Mais Eugenie a vraiment bien répondu. Elle a marqué une pause, puis a répondu «Justin Bieber» avec un point d'interrogation dans la voix. Elle a bien utilisé le moment.»

Mike Bouchard explique que ses trois filles, comme des milliers d'adolescentes autour du monde, ont trippé sur Justin Bieber. Mais lorsqu'un collègue lui a demandé comment il réagirait si Bieber cognait à la porte de sa résidence pour rencontrer Eugenie, il a répondu, sourire en coin: «Pas sûr, pas sûr...»