Pour illustrer les ambitions du Canada aux Jeux olympiques de Sotchi, Marcel Aubut utilise l'image d'un élastique.

«On croit qu'il faut l'étirer, dit-il. Le truc de l'élastique mou, soit viser une troisième ou une quatrième place au classement des médailles, on ne pense pas comme ça. On est audacieux, un peu baveux même. On veut finir premier. Et on est animé par la peur de ne pas réussir.»

À Vancouver en 2010, le Canada a obtenu l'or plus souvent que tous les autres pays. Mais avec 26 médailles au total, il a terminé derrière les États-Unis (37) et l'Allemagne (30). Voilà pourquoi, à moins de deux mois des prochains Jeux d'hiver, l'objectif du président du Comité olympique canadien (COC) est risqué.

- Vous n'êtes pas trop exigeants envers les athlètes?

- Ils seraient déçus si on agissait autrement, répond Aubut. De la pression, ils sont les premiers à s'en mettre! Et ils aiment qu'on les pousse à tout donner, ils nous le répètent souvent.

Les propos d'Aubut illustrent le changement de mentalité au Canada. L'époque où nos athlètes débarquaient aux Jeux animés du désir d'offrir une performance honorable, avec quelques médailles en prime, est terminée.

«Nous avons trop longtemps été aux Jeux pour participer, affirme-t-il. Depuis Vancouver, la philosophie a changé: on veut gagner.»

Le COC demeure néanmoins réaliste. Ses dirigeants savent que les Américains et les Allemands compteront sur de solides délégations à Sotchi. Et que les athlètes russes, encouragés par leurs compatriotes, seront très motivés. Bref, une deuxième place ne serait pas mal non plus.

Le gouvernement russe versera à ses médaillés des primes de 122 000$ (or), 76 000$ (argent) et 46 000$ (bronze). À titre de comparaison, le Canada accordera des bonis de 20 000$, 15 000$ et 10 000$.

Le désir du COC d'obtenir un maximum de médailles est légitime. Mais cette attitude peut néanmoins conduire à des dérapages. On l'a vu, l'an dernier, lorsque Mathieu Giroux, un patineur de vitesse longue piste, s'est battu avec sa fédération pour conserver le droit de s'entraîner à Montréal, où il poursuivait des études universitaires. Un athlète olympique doit aussi préparer son après-carrière.

Cela dit, ce nouveau dynamisme est prometteur pour les athlètes. Car le succès entraîne le succès, notamment sur le plan financier. Or, qu'on le veuille ou non, le sport olympique est devenu une affaire de gros sous.

Sans les meilleurs entraîneurs, sans équipement de pointe, sans spécialistes en nutrition ou en physiothérapie, il est impossible de se maintenir au sommet de la hiérarchie mondiale. Et tout cela coûte très cher.

Les médailles font plaisir aux commanditaires et aux gouvernements qui ont contribué financièrement à leur obtention. C'est la meilleure garantie qu'ils poursuivront leurs investissements.

«Ces athlètes deviennent des modèles pour les jeunes, ajoute Aubut. Ils sont des champions qui ne gagnent pas des millions. Leur exemple est inspirant. Ils apportent au pays une visibilité exceptionnelle.»

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À son arrivée à la tête du COC après les Jeux de Vancouver, le premier défi d'Aubut a été de maintenir le financement des athlètes à un niveau adéquat.

Après des Jeux présentés «à la maison», qui attirent plusieurs commanditaires, la tâche est gigantesque. Un exemple: à la suite des Jeux de Calgary, en 1988, le COC a perdu presque tous ses partenaires commerciaux.

Aubut a abordé ce dossier avec sa fougue habituelle. Et des entreprises de premier plan ont signé des accords à long terme.

Cette semaine, le COC a annoncé qu'il versera 37 millions en quatre ans à l'organisme À nous le podium, qui détermine combien d'argent chaque sport recevra en vue des Jeux. Il s'agit d'une hausse impressionnante de 48% par rapport au cycle précédent.

Si le gouvernement fédéral demeure le principal bailleur de fonds d'À nous le podium et de l'élite sportive canadienne, notamment en versant une allocation mensuelle aux athlètes, le COC sollicite les fonds privés. Car tant que les grandes sociétés apporteront leur contribution, le gouvernement canadien ne se fera pas prier pour apporter la sienne.

Cette réussite du COC auprès des entreprises inquiète certaines fédérations nationales de sport, qui éprouvent des difficultés à obtenir leur part du gâteau. «Elles ont été frappées par le ressac de 2010, reconnaît Aubut. On ne fera pas le travail à leur place, mais on les aidera à se donner les outils pour atteindre leurs objectifs.»

De l'utilisation des médias sociaux à la gestion des relations avec les commanditaires, plusieurs fédérations doivent moderniser leur démarche.

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Et le français, dans tout ça? En août dernier, lors de la présentation de l'équipe olympique de patinage de vitesse courte piste, composée en majorité d'athlètes francophones, l'anglais a pris une place prépondérante. On se serait cru à Toronto plutôt qu'à Montréal. Ce qui a laissé présager le pire aux Jeux de Sotchi.

Aubut reconnaît qu'une erreur a été commise ce jour-là. «On peut en échapper une, dit-il. Mais aujourd'hui, tous nos documents sont bilingues. Et 52 % de nos employés parlent les deux langues, dont presque tous les membres de la haute direction. Je ne ferai pas de compromis sur la place du français au sein du COC.»

Le siège social de Montréal a pris de l'ampleur. Installé dans de nouveaux locaux, il sera inauguré au printemps prochain.

On saura bientôt si cette volonté d'assurer au français la place qu'il mérite résistera au tourbillon des Jeux de Sotchi.