Un soir de juin 2010, à Copenhague. Lars Eller soupe tranquillement lorsque le téléphone sonne. À l'autre bout du fil, c'est Doug Armstrong, le DG des Blues de St. Louis.

- Lars, je t'informe qu'on vient de t'échanger au Canadien de Montréal. On aurait voulu te garder, mais c'était la seule façon de conclure cette transaction. Alors bonne chance!

La conversation n'a pas duré une minute. Dans le sport professionnel, les annonces sont souvent brutales, encore plus lorsqu'elles n'ont été précédées d'aucune rumeur. Repêché par les Blues trois ans plus tôt, le jeune Danois croyait faire carrière au sein de cette organisation.

«Le premier sentiment qui m'est venu en tête, c'est que mon équipe ne voulait pas de moi, raconte Eller. Ça m'a rendu un peu triste. Mais quelques minutes plus tard, j'ai compris qu'un autre club désirait réellement obtenir mes services!

«Je connaissais les noms de Jean Béliveau, Guy Lafleur et Patrick Roy, et je savais que le Canadien avait souvent remporté la Coupe Stanley, mais guère davantage... C'était un sentiment étrange. Tout à coup, j'étais un joueur du Canadien.»

Trois semaines plus tard, Eller débarquait à Montréal à l'occasion d'un camp de perfectionnement des espoirs de l'équipe. Il avait vu la ville une seule fois auparavant: une rapide visite avant le Championnat du monde de 2008, tenu à Québec, où il portait les couleurs de son pays.

Sitôt arrivé au complexe d'entraînement, plusieurs micros ont été pointés sous son nez. Après tout, le Canadien venait de céder Jaroslav Halak, son joueur le plus populaire, pour acquérir Eller.

«Je savais que l'échange avait choqué des gens, mais ça ne m'a pas dérangé, dit-il. Au contraire, j'étais très excité.»

Lars Eller a plusieurs qualités. Mais au-delà de ses atouts sur la glace, ce qui frappe le plus, c'est son calme. On sent qu'il en faut beaucoup pour déstabiliser ce jeune homme de 24 ans.

Tenez, lorsque je l'ai rencontré mercredi après l'entraînement du Canadien, il venait de répondre à plusieurs questions sur son commentaire controversé de la veille à propos des Oilers d'Edmonton. Tout au long de ce quasi-interrogatoire, il a conservé son flegme, souriant à l'occasion.

Non, ce gars-là n'est pas facilement impressionnable. La meilleure preuve, c'est qu'il a atteint la LNH après avoir grandi dans un pays où le hockey est moins populaire que le soccer, le badminton, la natation, le cyclisme et combien d'autres sports...

Pour réussir dans ces conditions, il faut avoir foi en son talent.

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Dès l'âge de 2 ans, Lars Eller a découvert les arénas. Son père, professeur, dirigeait aussi une équipe de hockey senior dans une ligue danoise.

«J'ai tout de suite aimé ce sport, explique Eller. Et la patinoire est devenue ma meilleure amie. J'ai eu d'excellents entraîneurs, notamment un Finlandais qui nous enseignait le patin. Si la session durait une heure, on ne touchait pas à une rondelle durant les 30 premières minutes. Il utilisait des notions de patinage artistique et de patinage de puissance. Ça m'a beaucoup aidé.»

De la côte danoise, on atteint la Suède en une trentaine de minutes grâce à un pont-tunnel de 16 kilomètres entre Copenhague et Malmö. Ce lien, inauguré en 2000, facilite les déplacements entre les deux pays. Les jeunes sportifs en ont aussi profité.

«On affrontait souvent des clubs suédois, qui alignaient d'excellents joueurs, dit-il. À l'âge de 15 ans, je me suis installé dans ce pays. Lorsque j'ai réalisé que je tenais mon bout sur la glace, j'ai compris que j'avais une chance d'atteindre la LNH.»

En 2006-07, Eller a connu une excellente saison avec l'équipe Frölunda, de Göteborg, championne du hockey junior suédois. Son nom s'est mis à circuler parmi les joueurs susceptibles d'être choisis au premier tour du repêchage de la LNH. Ce fut le cas lorsque les Blues l'ont sélectionné au 13e rang.

«Je n'oublierai jamais cette journée, dit-il. C'est un des plus beaux souvenirs de ma vie. C'était à Columbus, en Ohio. Mon père et mon jeune frère m'accompagnaient. Je savais que ce n'était que le début d'une longue route. Mais c'était tout de même une expérience vraiment cool!»

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Six ans plus tard, Eller s'impose comme un des joueurs les plus fiables du Canadien. Il se sent à l'aise à Montréal, où sa femme et lui ont eu leur premier enfant.

La terrible charge dont il a été victime au printemps dernier, lors du premier match éliminatoire contre les Sénateurs d'Ottawa, ne l'a pas ralenti. En fait, il joue avec une fougue renouvelée.

«Je ne me souviens de rien, alors ça ne peut pas m'indisposer, dit-il. J'ai vu la séquence sur vidéo, c'est tout. J'ai toujours su que je m'en remettrais, la peur ne m'a jamais habité.»

Cette confiance dans l'avenir semble être un trait de caractère des Danois. Selon une récente étude de l'ONU sur le bonheur dans le monde, ils forment le peuple le plus heureux sur terre, devançant les Norvégiens et les Suisses. (Le Canada occupe le 6e rang et les États-Unis, le 17e.)

«Nous sommes des gens optimistes, explique Eller. On croit toujours que les choses s'arrangeront.»

Lars Eller est un athlète volontaire et talentueux. Mais son succès s'explique aussi par cette attitude positive. Du Danemark à la LNH, le défi était considérable. Il l'a relevé avec aplomb.