Le préfet de discipline n'est pas fou. Il sait bien que les coups à la tête et les tentatives de blesser l'adversaire ne peuvent plus durer. Il réalise que ces coups salauds, loin de rehausser le spectacle, donnent à son sport une image rétrograde.

Le préfet de discipline sait de quoi il parle. Il est lui-même un ancien joueur. Il a tout gagné durant sa carrière: la Coupe Stanley, le Championnat du monde et l'or olympique. Il a inscrit des centaines de buts et son talent a été internationalement reconnu. Le hockey n'a pas de secrets pour lui.

Le préfet de discipline ne veut plus vivre dans l'âge des ténèbres. Au moment où le danger des chocs au cerveau est solidement documenté, il refuse que son sport s'accroche aux années 90. Vingt ans, c'est une goutte d'eau dans l'histoire, mais c'est beaucoup sur le plan des découvertes médicales. Aujourd'hui, personne ne peut ignorer le danger des commotions cérébrales.

Le préfet de discipline réalise que la ligue offre un meilleur spectacle lorsque ses meilleurs joueurs s'expriment sans craindre de recevoir un coup de coude en plein front ou un double-échec dans le dos lorsqu'ils sont près de la bande.

Le préfet de discipline n'aime pas ce qu'il voit depuis le début de la saison. Les derniers jours ont été particulièrement pénibles, avec une recrudescence d'attaques absurdes envers des joueurs en position vulnérable.

Le préfet de discipline estime que les choses doivent changer. Et il a décidé d'assumer du leadership. Vendredi, il a émis un communiqué témoignant de son ras-le-bol.

«C'est avec un profond regret que nous constatons une hausse significative de blessures graves en raison de coups à la tête ou d'attaques par derrière, a-t-il écrit, en substance. Nous ne pouvons ignorer ce signal d'alarme. Nous serons désormais beaucoup plus sévères pour sanctionner ces comportements.

«Nous comprenons très bien que toutes les équipes luttent pour une place en séries éliminatoires, mais cela n'excuse pas le jeu salaud. (...) Nous croyons aussi que l'Association des joueurs doit réagir et demander à ses membres de respecter leurs adversaires sur la patinoire.»

* * *

J'aimerais vous dire que Brendan Shanahan, le préfet de discipline de la LNH, est l'homme dont je vous parle. Après tout, il a gagné la Coupe Stanley, le Championnat du monde et l'or olympique. Il a inscrit des centaines de buts et son talent a été internationalement reconnu. Et le hockey n'a pas de secrets pour lui.

Mais ce n'est pas Shanahan qui a expédié ce message très fort pour rappeler les joueurs à l'ordre. Celui qui a agi ainsi est Valeri Kamensky, un ancien des Nordiques et de l'Avalanche, avec qui il a gagné la Coupe Stanley en 1996. Il est aujourd'hui préfet de discipline de la KHL, la Ligue continentale de hockey.

En Russie aussi, la violence ternit le hockey. Et s'il est trop tôt pour mesurer l'impact de ses propos, il faut admirer la manière dont Kamensky dénonce ces écarts de conduite.

Rêver que les gens en autorité dans la LNH s'expriment un jour avec la même vigueur relève de la pensée magique. La direction du circuit, les propriétaires d'équipe et l'Association des joueurs cherchent surtout à désamorcer les cas problèmes. Seul le message antibagarres de trois courageux directeurs généraux, dans la foulée de l'affaire Parros, a momentanément brisé le silence.

Voyez un peu: Brendan Shanahan a convoqué Cody McLeod, de l'Avalanche, et Maxim Lapierre, des Blues de St. Louis, à des rencontres personnelles après qu'ils eurent enfoncé un rival dans la bande avec de lâches coups dans le dos. Cela signifie que l'analyse préliminaire de la LNH indiquait qu'une suspension minimale de six matchs était envisageable.

Shanahan et son comité ont plutôt cherché des excuses afin de limiter leur responsabilité. La victime de McLeod a changé de direction au dernier moment, celle de Lapierre était légèrement en déséquilibre... Résultat, ils ont été suspendus pour cinq rencontres.

Vous croyez sérieusement que cette sanction provoquera un fort effet dissuasif? Moi non plus!

Mais attention: Shanahan n'est pas le seul à blâmer, comme l'affaire Kaleta le démontre si bien.

Dans ce dossier, Shanahan a frappé fort et imposé une suspension de dix matchs à l'attaquant des Sabres de Buffalo. Mais l'Association des joueurs a porté cette décision en appel, démontrant ainsi sa véritable priorité: les revenus des joueurs pèsent plus lourd que leur intégrité physique.

Le parallèle avec la réaction de l'Association des joueurs du baseball majeur durant l'été est intéressant. Lorsque Ryan Braun (Milwaukee) et plusieurs joueurs ont été suspendus 50 matchs pour dopage, la sanction a été acceptée. (Seul Alex Rodriguez, des Yankees de New York, dont le dossier est beaucoup plus complexe, a fait appel.)

Les baseballeurs coupables ont même été blâmés par certains de leurs camarades, un bris historique avec la sacro-sainte solidarité syndicale. Pourquoi cela s'est-il produit? Parce que les joueurs «propres» en ont assez d'être éclaboussés par ces scandales.

La problématique dans le hockey n'est pas la même. On parle de violence, pas de dopage. Mais comment se fait-il que les joueurs n'en aient pas assez des coups salauds? Pourquoi ne contribuent-ils pas à nettoyer leur sport du danger causé par les coups à la tête?

Pour enrayer les comportements dangereux sur la patinoire, il faudra une volonté politique claire.

Actuellement, ni la direction de la LNH, ni les très silencieux propriétaires d'équipe, ni les joueurs ne veulent assumer ce leadership.

Résultat, d'autres charges dangereuses se produiront. Et Brendan Shanahan n'a pas fini d'imposer des suspensions de cinq matchs.

________________________________________________

Le communiqué de Kamensky a d'abord été relayé par Sports Illustrated. On le retrouve aussi en anglais sur le site de la KHL.